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Dominique Nasta - professeure et coordinatrice de filière Cinéma à l’Université Libre de Bruxelles

Publié le 17/05/2022 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Parce que le septième art s’enseigne autant sur les bancs de l’université que dans les écoles de cinéma, nous sommes allés à la rencontre de Dominique Nasta, professeure et coordinatrice de la filière Cinéma du Master en Arts du Spectacle à l’Université Libre de Bruxelles. Un programme qui soufflait ses trente bougies en 2021, et qui a formé son lot de cinéastes belges et internationaux.

Cinergie : Depuis quand y-a-t’il des études de cinéma à l’ULB?

Dominique Nasta : C’est en 1991 qu’elles ont vu le jour. Elles sont nées d’une carence constatée dans la formation académique de certains candidats qui, malgré une formation en écriture créative et des compétences scénaristiques, n’avaient pas le bagage nécessaire pour une mise en perspective plus diversifiée. Il y a beaucoup d’écoles de cinéma en Belgique, mais à l’époque il n’y avait pas de formation universitaire.

 

C. : Une formation particulière, car elle mêle écriture créative et analyse filmique?

D.N. : Initialement, l’idée était de pouvoir bénéficier de la formation de romaniste, d’historien de l’art, ou d’autres étudiant.e.s de sciences humaines et de leur proposer la possibilité de se former à l’écriture créative en vue d’un projet de scénario. Très vite, nous avons constaté la nécessité de compléter ce parcours avec des volets historiques, de genre, pour un parcours sinon incomplet. Cela a coïncidé avec une volonté d’étoffer la formation en arts du spectacle, et nous en sommes arrivés à ce master hybride.

 

C. : Concrètement, qu’est-ce que l’on y étudie?

D.N. : Autant les bases de la culture cinématographique au sens large que ce qui relève de l’apprentissage du scénario, aux cours d’ateliers d’écriture. Notre but a aussi été d’initier les étudiants aux métiers du cinéma, avec une optique professionnalisante. Avec des cours sur les circuits économiques, les volets juridiques, mais aussi tout le langage cinématographique en ce compris le montage, les techniques sonores, etc.

 

C. : Comment êtes-vous devenue directrice de cette filière?

D.N. : Après avoir moi-même suivi une formation de linguiste à l’ULB, sous la direction de Marc Dominicy et avec l’aide précieuse du grand cinéaste qu’était André Delvaux, je suis devenue l’une des premières docteures en études cinématographiques en Belgique. Après ce parcours, l’opportunité s’est présentée via une ouverture de poste, pour pouvoir être intégrée à cette nouvelle formation en tant qu’enseignante.

 

C. : Qu’y enseignez-vous?

D.N. : Trois axes principaux : un volet généraliste autour de l’histoire du cinéma, couvrant des périodes telles que le cinéma classique hollywoodien, le cinéma moderne européen ou encore le cinéma de genre ; un axe plus “cérébral” avec les cours d’esthétique et philosophie du cinéma ou encore des séminaires de recherche théorique, où l’on étudie et applique des concepts sur les oeuvres et chez les auteurs ; un axe sur les cinématographies nationales, avec une spécificité sur les cinémas d’Europe de l’Est. Ce dernier est un cours avec lequel j’ai pu voyager à travers le monde, et dont l’actualité reste tout à fait pertinente, au vu du contexte d’aujourd’hui.

 

C. : Parmi les alumni, des noms qui ont marqué la filière?

D.N. : Évidemment, Nicolas Guiot qui a remporté le César du court-métrage en 2012 et depuis ces dernières années dans le monde des séries notamment. Frédéric Castadot, scénariste sur Ennemi Public, mais aussi Benjamin D’Aoust, Magritte du meilleur documentaire en 2014 avec La nuit qu’on suppose, et co-créateur de la série La Trêve. Au-delà de ces noms, il y a de nombreuses personnes qui sont venues compléter leur formation pratique acquise à l’INSAS ou à l’IAD chez nous, à la recherche de réflexions théoriques sur le cinéma, comme Micha Wald ou Yvan Flasse par exemple. Notre grande fierté, c’est d’avoir eu Luc Dardenne parmi les premiers enseignants de la filière. De par sa notoriété, celui-ci nous a également permis de renforcer nos partenariats à l'international, notamment avec la mise en place de Masterclass avec la Fondation Bernheim, et l’invitation de grands cinéastes comme Agnès Varda, Bertrand Tarvernier,Olivier Assayas, Corneliu Porumboiu pour ne citer qu’eux.

 

C. : Des moments marquants à partager?

D.N. : Des dizaines bien sûr. Dès la première année, nous avons eu l’occasion - avec la RTBF et la SACD- d’inviter le grand spécialiste du scénario Robert McKee, qui a pu interagir avec les étudiants devant une salle comble. Mais aussi, des moments plus légers comme lors des projections de films à sketch réalisés par les étudiants autour du cinéma des frères Dardenne, entre hommage et parodie. Ce que je préfère dans mon travail, c’est cette idée de renouvellement permanent. De nouvelles questions, de nouvelles thématiques apparaissent dans les sujets et les travaux. C’est très vivifiant et cela nous remet sans cesse en question. L’histoire du cinéma, c’est comme la littérature, impossible de tout voir, mais il y a cette envie, cette soif de découverte et d’aller toujours plus loin. Et c’est quelque chose que nous retrouvons aussi chez nos étudiants.

 

C. : Après trente ans, comment envisagez-vous l’avenir de la filière?

D.N. : Le changement dans la continuité. Poursuivre au sein du nouveau Master en arts du spectacle, ce que nous avons entrepris jusqu’ici, une formation hybride mêlant la réflexion théorique et la création pratique, tout en orientant plus nos enseignements dans des domaines de pointe bien spécifiques. Nous proposons désormais en deuxième année avec mon collègue de spectacle vivant Karel Vanhaesebrouck des modules d’orientation se déclinant sous des aspects très différents. Un premier pour approfondir l’écriture créative, un second autour des corps, du genre et de l’identité, ce sont des problématiques d’actualité et qui touchent nous étudiants plus que jamais ; un troisième qui me tient particulièrement à coeur, centré sur la réactivation du patrimoine cinématographique (restauration,’archivage et la conservation et des films) ; un quatrième et dernier module pour l’année 2023 sur la musique et le son dans les arts du spectacle en partenariat avec le Conservatoire de Mons. Chaque module aura une partie théorique d’apprentissage, mais aussi un stage et des ateliers pratiques. Au travers de ces quatre axes, nous voulons proposer des pistes d’insertion professionnelle pour les étudiants à la fois dans les institutions mais aussi dans les boîtes de production, en synergie avec les acteurs privés du cinéma en Belgique et à l’international. C’est en tout cas le but de la filière depuis son origine, et c’est ce que nous continuerons à mettre en place dans les années à venir !.

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