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Les métiers du cinéma: Le montage avec Susana Rossberg

Native du Brésil, forte d’une carrière de plus de trente ans, émaillée par la fidélité de plusieurs grands noms du cinéma belge (Marion Hänsel, Jaco Van Dormael, Benoît Lamy), et réalisatrice à ses heures (voir notre numéro précédent), Susana Rossberg a mis toute sa verve au profit de ce nouveau chapitre de notre dossier sur les métiers du cinéma, consacré au travail des monteurs… et des monteuses!

Cinergie : Pourriez-vous nous donner deux définitions de votre travail ? L’une factuelle, l’autre plus personnelle?
Susana Rossberg :
À partir de la matière qui a été tournée en différentes angulations et grosseurs de plan, et dans le désordre, le travail du monteur consiste à parvenir à raconter l’histoire du film. Il faut trouver la meilleure façon d’agencer ce matériel, en choisissant les meilleures prises pour reconstituer l’histoire.
Ça, c’est la définition générale. Mais il faut s’y connaître en scénario, car il ne suffit pas de raccorder des plans pour que le film fonctionne.
En général, on livre un premier montage strictement basé sur le scénario, et même quand le scénario est très bon, on constate toujours que ça ne fonctionne jamais. Alors que faire ? Que faut-il enlever, bouger? Quelle information manque? Le défi est qu’en Belgique, on a rarement le budget pour faire des retakes (tournage de nouvelles scènes pour compléter le film, après une première étape de montage - NDR), il faut donc se débrouiller avec ce qu’on a !
J’ai étudié le montage de 1967 à 1970 mais depuis, la pratique a beaucoup changé. À l’époque, toute action devait être montrée dans son intégralité, mais aujourd’hui, le montage devient elliptique. On coupe dans les actions, on va à l’essentiel. Ceci en grande partie à cause de la télévision. Le public s’est habitué à un rythme rapide et à comprendre rapidement les informations. Une des tâches primordiales du monteur est de trouver le rythme juste pour le film.Portrait de Susana Rossberg, monteuse

C. : Il faut donc combiner des compétences techniques et artistiques. Quelle formation permet de maîtriser ces deux pôles?
S. R. :
De toute évidence, les écoles de cinéma. Il existe un autre système qui consiste à apprendre sur le tas en assistant des monteurs professionnels. Cette pratique se perd avec la disparition du montage pellicule. Moi, j’invite les assistants, en même temps que des professionnels étrangers au projet, à assister aux diverses étapes du montage, afin de participer au débat. Ils peuvent ainsi observer l’évolution d’un film. Reste qu’aujourd’hui, si l’on possède un ordinateur, il est facile d’obtenir un programme de montage bon marché à la maison. Mais maîtriser un programme ne vous apprend toujours pas à raconter une histoire !

C. : À quelle étape du tournage le monteur est-il impliqué?
S. R. :
Dès avant le tournage. On rencontre le réalisateur et on discute avec lui du tour que prendra le film, c’est d’autant plus important si c’est le producteur qui vous a choisi. Aujourd’hui, très souvent, on monte même pendant le tournage, pas dans l’ordre du film mais scène par scène, en parallèle. L’avantage est que l’on est en communication avec le réalisateur et on peut l’avertir s’il manque du matériel ou si une prise n’est pas exploitable. Il peut retourner la scène dans la foulée, ce qui n’est plus possible une fois le tournage achevé.

C. : N’est-il pas plus difficile d’établir le rythme lorsqu’on travaille à partir d’un film non complet ?
S. R. :
Non. De toute façon, le premier montage n’est jamais définitif. Je trouve que la matière vous dicte le rythme. Attention, deux monteurs ne monteraient jamais une scène de la même façon, à chacun de déchiffrer à sa façon ce que la matière indique. La sensibilité humaine joue beaucoup dans le résultat, ce n’est pas un travail distant.

C. : Lorsque vous montez un film en même temps qu’il se tourne, quel poids reste-t-il au réalisateur dans le processus ?
S. R. :
Le monteur est en communication constante avec la scripte. Idéalement, tout ce qui se dit sur le plateau doit me parvenir grâce à elle. Je veux tout savoir, surtout des réactions du réalisateur face à telle ou telle prise, au moment du tournage comme à la vision des rushes. Il faut savoir ce qui lui a plu pour livrer un montage qui lui correspond. Lorsque la scripte n’est pas à la hauteur de cette tâche, ça pose un sérieux problème. Et puis, on parle régulièrement avec le réalisateur au téléphone, on lui envoie parfois quelques extraits, au moins pour le rassurer. De toute façon, le montage se poursuit après le tournage et, grâce au numérique, on peut faire des changements jusqu’au dernier moment.

C. : On a vu à quel point la relation entre le monteur et la scripte peut être cruciale. En général, ces formations sont associées dans les écoles de cinéma. Y a-t-il un intérêt à exercer les deux fonctions sur un même film, lorsque c’est possible ?
S. R. :
Cela m’est arrivé et ça ne me dérange pas. La raison pour laquelle on déconseille cela, c’est que le monteur doit être détaché des tensions du tournage, il doit oser sacrifier une séquence qui ne sert pas le film même si il a fallu des jours et des jours pour la tourner. En France, généralement, ces deux carrières sont distinctes, mais en Belgique il est toujours bon d’avoir une corde de plus à son arc.

C. : Jusqu’à présent, nous avons évoqué la fiction. Quelles sont les spécificités des autres genres. La publicité par exemple?
S. R. :
La publicité n’est jamais improvisée, tout est prévu dans les détails avant le tournage, il y a des storyboard, tout se passe très vite, le montage doit prendre un jour ou deux maximum. Ensuite, de très nombreuses personnes s’en mêlent. Le réalisateur, le producteur, le client et tous les gens de l’agence qui passent par là. Franchement, il faut beaucoup de patience, car chacun veut mettre son grain de sel et ils se contredisent souvent - histoire de justifier leur salaire. D’un point de vue stylistique, la publicité requiert un montage hyper-elliptique, on ne retient que l’information clef de chaque plan. Il faut aussi une maîtrise des effets spéciaux. Travailler pour la pub, c’est dur, mais heureusement, c’est bien payé !

C. : Et le documentaire ?
S. R. :
D’abord, contrairement à ce qu’on croit souvent, un bon documentaire a un scénario. C’est d’ailleurs une condition nécessaire pour obtenir des subsides en Belgique. Il y a donc une réflexion en amont. Bien sûr, c’est seulement avec la matière tournée que le film naît vraiment. Et c’est un travail passionnant. Il y a un certain snobisme qui dénigre le documentaire, mais du point de vue du monteur il est en fait plus intéressant. On a plus de liberté, plus de choix, on doit gérer l’imprévu etc.

C. : C’est donc le processus de tous les possibles, est-ce pour cela que le montage a la réputation d’être l’étape la plus longue dans la création d’un film ?
S. R. :
Je ne sais pas si cela est toujours vrai car les outils numériques ont énormément simplifié les choses. Ceci étant, le montage est une étape qui n’est pas très chère (un local, un ordinateur, un monteur, un assistant) et c’est là qu’un film peut être sauvé. C’est pourquoi on n’hésite pas à le rallonger parfois. Malheureusement, on se retrouve souvent dans la situation d’avoir une date de sortie ou de diffusion à la télé déjà définie, on doit alors monter dans l’urgence. Le grand cauchemar en la matière, c’est le festival de Cannes ! Il vaut mieux prendre le temps de bien monter, pour avoir l’occasion de se poser des questions, de faire des essais. Ce temps n’est pas du luxe, d’autant que c’est un processus très stressant, surtout pour le réalisateur, il a besoin de temps pour se remettre du choc de voir ce que donnent ses images.

C. : Y a t-il toujours deux étapes, le montage image d’abord et le montage son ensuite ?
S. R. :
Oui. Ce sont toujours deux étapes distinctes, mais le montage image se réfère tout de même au son direct (tout ce qui a pu être enregistré pendant la prise de vue - NDR). D’une certaine façon, on pré-monte le son. En travaillant sur le logiciel Avid, qui propose jusqu’à huit pistes sonores (deux fois quatre pistes en stéréo), on peut même poser provisoirement la musique sur les images pour voir si ça fonctionne. Le montage image ne concerne donc pas que l’image, mais le montage son est nécessaire pour rajouter les ambiances, les doublages, les bruitages etc.

C. : Vous venez encore de citer un exemple de la façon dont le montage numérique, ou virtuel, a facilité votre travail. Y a t-on aussi perdu au change dans certains cas ?
S. R. :
La possibilité de tester de nombreuses versions différentes du film est à la fois l’avantage majeur du numérique, et un inconvénient. Très souvent, les réalisateurs n’ont pas de point de vue, et se perdent dans les différentes versions. Alors que le montage pellicule obligeait à faire des choses, à se forger une opinion rapidement. Autre inconvénient, il devient si facile de modifier le montage que si trop de monde s’en mêle, cela tourne à l’épreuve de force et le film ne ressemble plus à rien. Mais enfin, ce problème se pose surtout aux Etats-Unis, où les réalisateurs n’ont pas le final cut.

C. : D’où l’accélération récente du phénomène des “director’s cut”.
Vous avez travaillé à plusieurs reprises avec les mêmes réalisateurs. Quelle relation se noue au fil du temps ? Cela facilite-t-il le travail?
S. R. :
ll est certain que ça facilite les choses, on comprend plus vite ce qu’il cherche, où il veut en venir, c’est une relation de confiance. Ceci dit, on a parfois l’impression de travailler sans cesse sur le même film. Ça me plaît de changer, de découvrir d’autres façon de raconter.
Lorsque le courant passe bien, il est très facile de tisser un lien quasi-familial avec le réalisateur. Lorsque le courant ne passe pas, on fait tout pour que ça ne rejaillisse pas sur le film, mais cela devient très douloureux, les sensibilités sont mises à rude épreuve car on ne peut pas monter en “pilotage automatique”.

C. : Deux questions banales mais incontournables pour terminer. Est-il facile de vivre du métier de monteur en Belgique ?
S. R. :
Une fois que l’on est établi, ça va, d’autant que l’on est protégé par un statut qui vous donne accès au chômage. Mais il est très difficile de démarrer. Même une place d’assistant devient difficile à trouver.

C. : Alors, justement, quel conseil donneriez-vous à ceux qui essaient de démarrer ?
S. R. :
Le plus important est de bien faire son travail, dès le premier job que l’on trouve. Car c’est le bouche-à-oreille qui vous donnera du travail. Moi-même on m'appelle souvent pour me demander si je ne connais pas un jeune monteur qui pourrait participer à tel projet. Si vous vous appliquez à chaque fois, le bouche-à-oreille fonctionnera. Il faut, en plus du savoir, une attitude personnelle positive et investie. En anglais on dit “walk the extra mile”, ne pas faire les choses à moitié, s’appliquer jusqu’au bout. Moi-même j’ai construit ma carrière comme cela.

C. : La motivation, c’est le secret ?
S. R. :
Le secret, c’est de bien travailler !

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