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Rue Santa Fe de Carmen Castillo

Publié le 02/06/2008 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

 

critique rue santa feTant que nous serons vivants, nos morts ne seront pas morts

En 1965, au Chili, création du MIR, mouvement de la gauche révolutionnaire. Le 4 septembre 1970 victoire de Salvador Allende, premier président socialiste du Chili. Le MIR a appelé à voter pour lui.

Le 11 septembre 1973 coup d’état militaire d’Augusto Pinochet. La junte prend le pouvoir et tente d’éradiquer toutes formes d’opposition. Le MIR passe dans la clandestinité et la lutte armée.

De ce retour naît un film, Rue Santa Fe, formidable investigation affective autant que politique qui, d’un récit dramatique et personnel, fait surgir l’histoire de toute une génération en lutte, celle d’un pays déchiré sous la dictature et celle d’un mouvement révolutionnaire, le MIR, avec ses enthousiasmes et ses contradictions.Le 5 octobre 1974 dans la rue Santa Fe, Miguel Enriquez, chef de la résistance clandestine et du Mir est abattu par la Dina (services secrets de Pinochet) et les militaires. Sa compagne Carmen Castillo, enceinte et blessée, est expulsée du Chili en novembre 74. Exilée en France, elle ne revient réellement au Chili que trente ans plus tard. 

Entre les jours de l’exil et cette ré appropriation en situation d’un passé douloureux, Carmen Castillo a construit son film, conjuguant la mémoire d’une résistance armée et ses retrouvailles avec ceux qui furent au cœur de ses élans et de ses questions. En le centrant autour de cette rue Santa Fe où elle a vécu avec Miguel Enriquez, où celui-ci a connu une mort inacceptable, elle noue les fils d’une intrigue à portée universelle, celle d‘un désir de révolution et du prix à payer qu'un tel engagement impose.critique rue santa feRetrouvant et questionnant ceux qui étaient ses voisins, elle fait revivre ces heures tragiques, décrivant des cercles autour de cette rue devenue autant mémoire que présent, faisant rebondir les témoignages d’alors avec les paroles d’aujourd’hui. Et les rencontres appelant d’autres rencontres, elle pénètre cercle après cercle, le labyrinthe complexe de cette guerre permanente où conscience révolutionnaire, exigences du parti, élaborations stratégiques et clandestinité se mesurent aux bouleversements affectifs, aux dimensions de l’exil, à la douleur de vivre une absence, une disparition, la fin d’un amour.

Et sans cesse, elle revient s’éprouver dans cette rue Santa Fe comme si d’y revenir, lui permettait de lever à chaque fois de nouvelles zones d’ombre, repoussant sans cesse les peurs et les blessures, revenant toujours à ce qui animait et anime ceux qui se révoltant, s’organisent et disent non.Cinéma à la première personne, Rue Santa Fe se vit comme une quête lucide et féroce où Carmen Castillo raconte et se raconte, cherchant à comprendre comment, comme elle, d‘autres ont survécu et ont répondu à cette terrible question du prix à payer pour leur engagement politique. Refusant la nostalgie d’une autobiographie enfermée dans le passé, elle retrouve ceux qui furent les nerfs autant que les chevilles ouvrières du MIR et avec eux elle tisse la trame de ce qui relie les luttes du passé à celles d’aujourd’hui dans ce que leur commune nécessité a de plus essentielle.

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Film politique dans ce qu’il conjugue avec émotion et rigueur, la charge d’éveil d’un parcours personnel à celle d’un mouvement historique, le film de Carmen Castillo ne fait ni l’économie ni le déni des erreurs qu’un parti révolutionnaire a pu connaître durant ces années de braises. Dépassant, et de loin, le cadre du Chili, Carmen Castillo rompt avec le cycle des vaincus, tourne le dos aux défaites et autres sentiments de culpabilité pour témoigner avec cette pertinence qui sous-tend tout son film combien est vivant, encore et toujours, ce rêve qui portait le MIR.

Et quittant la rue Santa Fe comme si elle quittait le camp des survivants et cette question lancinante du pourquoi ils ont survécu, Carmen Castillo se tourne résolument vers ceux qui continuent de faire de leurs rêves, une réalité, avec cette évidence qui nous rapproche et nous emporte que tant qu’ils seront vivants, leurs morts ne seront pas morts et marcheront à leur côté.À la question de savoir si Miguel Enriquez et ses camarades sont morts pour rien, Rue Santa Fe dit clairement qu’il n’est aucun renoncement. Elle le dit et elle le montre. Dans toutes les voix qui composent comme le cœur battant du film s’affirme la permanence d’une volonté d’être pour la vie dans ce qu’elle a de plus collectif et de plus vrai. Chacun à sa manière y inscrit comme un invariant, cette passion d’un autre monde, d’un engagement, d’une façon de prendre parti.

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