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R.A.S. Nucléaire. Rien à signaler

Publié le 06/05/2009 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Danger extrême

Il n’est pas question ici de cinéma... pas directement. Il est question de nucléaire, et cela d’une façon qui nous concerne tous, extrêmement. Difficile alors de parler, dans un premier temps, d’une écriture, d’une esthétique, d’un regard quand ce qui s’énonce glace le sang, choque et effraie, quand ce qui est en jeu pose une urgence qui mobilise tous les affects et toutes les pensées. Plus tard, dans un deuxième temps, se pose précisément la question de la forme cinématographique, de ce qu’à son tour elle mobilise et met en jeu et en quoi elle signale une façon d’être là sans y être.

 

R.A.S. Nucléaire. Rien à signaler

R.A.S. Nucléaire. Rien à signaler, le dernier documentaire d'Alain de Halleux va au plus pressé. Son propos : donner la parole aux travailleurs de base du nucléaire chargés de l’entretien des centrales et du contrôle de leur bon fonctionnement, autrement dit, écouter ceux qui œuvrent à l’ombre des réacteurs et sont garants de notre sécurité. Rien de moins, rien de plus, et c’est déjà beaucoup. D’interviews en prises de parole sur le terrain, d’états des lieux en réactions syndicales ou citoyennes, R.A.S. fait le constat critique d’une situation où la gestion publique du contrôle des centrales nucléaires est, depuis une vingtaine d’années, passée progressivement aux mains du privé. Avec cette conséquence alarmante que des intérêts économiques (rentabilité et profit) sont responsables de la multiplication des risques que supportent les travailleurs et de la détérioration des mesures de sécurité minimales.
À dresser les conditions de vie ou plutôt de survie, de misère et d’exploitation de ces travailleurs du nucléaire, le film d'Alain de Halleux nous fait partager ce que le développement des sous-traitances a entraîné au niveau des entreprises privées, la sous-traitance des tâches étant d’abord sous-traitance des risques et des responsabilités. Au fil des témoignages, surgit l’évidence que le risque zéro est un leurre et que le spectre de Tchernobyl n’a pas fini de nous hanter quand on sait que les incidents derrière les barbelés qui « protègent » les réacteurs sont quotidiens, quand on comprend pourquoi, chez les « invisibles » du nucléaire, sévit ce désespoir brut, ce désir d’en finir, de se foutre en l’air avec, heureusement chez certains, cette volonté d’attirer l’attention par le biais de comités de soutien, de grèves de la faim et de blocage de site.

R.A.S. a le mérite d’anticiper, à partir de la situation des travailleurs du nucléaire, ce qui nous pend au nez et met en cause les rouages même de notre société. Informatif et militant, succombant aux appels de la démocratie et du « citoyennisme », il emprunte les modes de l’enquête documentée jouant de cette objectivité du reportage et des vérités de l’interview pour mieux asseoir la pertinence de son propos. Courageux dans ce qu’il révèle, posant clairement le problème et rendant compte précisément des questions et des enjeux qu’il soulève, le film d'Alain de Halleux laisse malheureusement le spectateur perplexe et effrayé qui, n’ayant plus confiance dans la transparence de l’Etat et des organisations syndicales, met en doute les capacités de résistance des seules valeurs démocratiques qui sont, dans le film, posées comme solution à ce qui se passe.

Par son approche du sujet et son souci de tirer la sonnette d’alarme, R.A.S. est plus que nécessaire. Il s’impose dans un océan de silence et de désinformation, mais par son commentaire engagé et ses choix de réalisation, il sacrifie toujours aux normes d’un certain cinéma militant qui laisse peu de place à l’aventure personnelle du spectateur... et c’est dommage.

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