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Le Bourgmestre a dit de Marie-Hélène Massin

Publié le 01/02/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Les lois de l'hospitalité Le Bourgmestre a dit est un documentaire attachant grâce au parti pris fictionnel qu'a adopté Marie-Hélène Massin, la réalisatrice. Quelques séquences nous rappellent l'humour des films tchèques des années 60 (L'As de pique, la Famille Papouseck, etc.)

Le Bourgmestre a dit de Marie-Hélène Massin

Passionnée par son personnage (Guy Cudell, "bourgmestre socialiste qui règne depuis cinquante ans sur la commune la plus petite et la plus pauvre de Bruxelles"), curieuse de découvrir les ressorts qui l'animent, elle le suit au jour le jour, reconstituant une liturgie, c'est là l'intérêt du film, qui ne cesse de montrer ses failles, de déraper, de faire surgir des petites fictions amusantes qui sont comme autant de respirations et donnent au film toute sa saveur.

Le pompeux, l'ennuyeux, ont un devenir ludique, le sens devient non-sens : voir la séquence du conseil communal pendant lequel Cudell semble perpétuellement distrait (on a l'impression qu'il n'écoute pas ce qu'on lui dit mais ses interventions prouvent qu'il a l'oreille fine) et se met tout à coup à polémiquer avec les conseillers communaux de l'opposition sur la paupérisation récurrente de la commune, s'exclamant d'une voix de tribun que les bourgeois et les nobles avaient fui Saint-Josse bien avant son arrivée au pouvoir! Celle de la fête du 1er mai a les allures d'un tournoi.

Deux militants socialistes (dont l'un est enseignant), la main armée d'une rose rouge, s'affrontent, tels Lancelot et Gauvain, dans une joute verbale sur la gestion des socialistes lorsqu'ils détiennent le pouvoir. Eternelle question! Peut-on garder les mains propres? Ne pas opérer des restrictions budgétaires douloureuses dans un pays paralysé par les réformes linguistiques?

La réalisatrice a eu la bonne idée de ne pas interviewer Cudell. Elle a compris que le bourgmestre avait l'épaisseur, l'ambiguïté d'un personnage de fiction, d'un acteur de cinéma. Une sorte de Buster Keaton impassible comme un roc et dont la bonne volonté est sans cesse mise à l'épreuve par la complexité du monde. La séquence du mariage est irrésistible. Un couple étranger (deux habitants sur trois le sont) voit son mariage empêché à cause d'un accroc administratif de dernière minute. En bas de l'escalier de la Maison communale, la noce attend stupéfiée par cette décision de l'officier d'Etat civil, tandis qu'en haut, Cudell essaie de fléchir l'Officier : On ne pourrait pas trouver une solution? Vous seriez poursuivi pour faux et usage de faux", rétorque l'autre. Cudell a un air aussi désespéré que les non-mariés qui, tristement, vont célébrer, par un repas commandé à l'avance dans un restaurant, un scénario dont l'intrigue leur échappe complètement. Massin nous rappelle que le cinéma est un art réaliste, une machinerie et non un dispositif comme la télé ("la télé empêche de voir, le cinéma montre").

Le Bourgmestre a dit est conçu comme un film, c'est du cinéma, avec un regard et un point de vue (avec lequel on peut ne pas être d'accord), que la réalisatrice exprime à l'aide de plans larges et moyens afin de nous faire découvrir, outre Cudell et son entourage, le décor dans lequel il évolue, le rituel auquel il se soumet, et dont les ratés font la joie des spectateurs, procurant au film une veine comique singulière.

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