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Nicolas Rincon Gille, Tantas Almas

Publié le 12/07/2016 par Edith Mahieux / Catégorie: Entrevue

Pendant le Festival de Cannes, l’Atelier de la Cinéfondation met en relation au Village International du Pantiero, l’équipe d’un futur film au projet déjà bien avancé et des professionnels qui pourraient les aider à le finaliser.
Tantas Almas/La Vallée des âmes de Nicolás Rincón Gille, le premier long-métrage de fiction du réalisateur belgo-colombien, y avait été défendu à Cannes. Le réalisateur y était présent avec ses producteurs, Caravan Pass (France) et Medio de Contention Producciones (Colombie), il était à la recherche d’un distributeur ou d’un acheteur, prêt à s’allier au projet.

Tantas Almas de Nicolas Rincon Gille

 

Son projet de film continue dans la lignée des thèmes abordés dans sa trilogie documentaire Campo Hablado, intégralement tournée en Colombie : la violence commise par les paramilitaires qui a laissé des traces indélébiles sur la population, la tradition orale, et l’intime relation entre le réalisme et les croyances magiques. Dans Tantas Almas, il s’agit de José, un pêcheur colombien, qui rentre chez lui après une longue nuit de travail et qui découvre, à son retour, son village et sa famille à feu et à sang. Les paramilitaires ont tué ses deux fils, Dionisio et Rafael, et jeté leurs corps dans le fleuve. Submergé par la douleur, José se met en quête de leurs dépouilles pour sauver leurs âmes d’une errance sans fin.

 

Cinergie : Comment ton projet a-t-il été sélectionné à l’Atelier ?
Nicolás Rincón Gille : L’Atelier de la Cinéfondation, c’est 15 projets que George Goldenstern, [le directeur général], choisit à tout stade. Certains réalisateurs n’ont même pas encore de scénario définitif. Mais dans notre cas, le scénario est terminé. On lui a donc envoyé le scénario en respectant les dates de l’appel à projet ainsi que la note d’intention. Il l’a lu, l’a aimé, donc il l’a inclus. On a su en février dernier que notre projet allait être présenté à l’Atelier. 

 

C. : Pourquoi Cannes t’intéressait plus que d’autres endroits pour développer un projet ? Bien sûr, c’est le haut lieu du cinéma mondial, mais y a-t-il d’autres raisons ?
N.R.G : J’ai fait des documentaires. Tantas Almas est ma première fiction. C’est un film qui joue sur beaucoup de choses et sur des registres différents. C’est un projet fragile aussi parce que c’est du cinéma d’auteur. Donc, être ici, dans une section qui privilégie le cinéma de création, cela offre un nombre de possibles incroyables. Tous ceux qui s’approchent pour prendre connaissance du projet sont des gens de toutes sortes, de toutes les parties du monde. Il n’est jamais évident de trouver des fonds pour ce type de cinéma. Cela nous aide à pouvoir faire nos films. Cela ouvre des portes aussi et surtout, par rapport à la possibilité que les films soient vus après. 

 

C. : Comment se passent les rencontres entre l’équipe du film et les professionnels à l’Atelier ?
N.R.G : Nous sommes trois avec mes coproducteurs français et colombiens, et même à cinq, car les coproducteurs colombiens sont deux [Hector Ulloque & Manuel Ruiz] et les coproducteurs français aussi [Natalie Dana et Corentin Sénéchal]. Nous avons un planning organisé par jour jusque 14h00, avec une demi-heure de rendez-vous pour chaque partenaire. Cela peut être des agents de vente, des distributeurs, des fonds, des coproducteurs aussi. On discute, et par la suite, si le projet intéresse les partenaires potentiels, on leur envoie le scénario complet, et ils nous disent si oui ou non ils veulent faire partie du projet.
Dans le cas précis de Tantas Almas, comme c’est un projet qui se passe en Colombie, des coproducteurs latino-américains viennent nous voir. Ils définissent ce que nous cherchons exactement, car chaque projet cherche quelque chose de spécifique. Ce qui nous intéresse surtout, c’est la vente/distribution, ainsi que de potentiels partenaires de coproductions. Mais, comme nous sommes déjà trois pays (Belgique, France et Colombie), et chaque pays a déjà ses exigences par rapport aux fonds, plus on ajoute de pays au projet, plus on est obligé de diviser l’équipe technique et de faire appel à des comédiens des pays coproducteurs. Or, l’idée de mon film, c'est de rester très intimiste. Je veux que cela se passe en Colombie et que cela soit joué par des Colombiens (professionnels et non professionnels). Je veux aussi qu’une grande partie de l’équipe technique reste la même que celle avec laquelle je travaille d’habitude : on est tous Belges. Il y a une entité dans mes films. Avoir d’autres coproducteurs, ce serait très compliqué car cela dénaturerait un peu le projet.

 

C. : Est-ce que vous connaissiez déjà les partenaires de vente/distribution qui viennent vous voir avant le Festival de Cannes ?
N.R.G: Personnellement, je ne les connais pas mais Natalie [Dana] les connaît mieux puisqu’elle est française et qu’elle est déjà venue à Cannes. Elle sait bien qui est qui, ainsi que ce que chacun cherche comme équipe de cinéma. Notre film n’est pas fondé sur des comédiens connus, ce n’est pas un film de genre. C’est un film général, d’auteur, donc il faut essayer de trouver un agent et un distributeur qui comprend cela. Dans la vente et la distribution, tous les types de profil existe. Il faut savoir lesquels approcher.
Natalie Dana (productrice associée, à Caravan Pass): On vient depuis 25 ans à Cannes. On connait beaucoup de monde, des distributeurs, des producteurs, etc. On sait donc déjà à l’avance si le projet correspond ou non aux personnes qui demandent rendez-vous. On sait qui est honnête, qui ne l’est pas, ceux qui rendent des comptes, ceux qui ne les rendent pas. On ne veut pas faire semblant que c’est un projet qui va intéresser tout le monde mais au contraire, on va axer sur sa spécificité. Il faut trouver la personne adéquate. Cela ne sert à rien d’aller vendre un projet comme Tantas Almas à un vendeur comme Metropolitan.
N.R.G. : Quand tu vends des choses, il est important de bien les vendre pour que tout le monde soit satisfait.

 

C. : Est-ce que ce sont des rendez-vous que vous avez pris en amont ?
N.R.G. : Non. Notre travail était essentiellement d’envoyer les projets. Ils sont ensuite publiés dans le livre de l’Atelier qui les présente et propose aux professionnels de s’inscrire pour prendre rendez-vous. Dans mon cas, il est spécifié que c’est un er long-métrage de fiction, dont le tournage est prévu en Colombie, en espagnol, quand je vais tourner et combien de temps, en quel format et les budgets que l’on a déjà. Il y a aussi un très court synopsis et une brève note d’intention. Les gens lisent cela et, si cela les intéresse, ils viennent voir. Par la suite, si des partenaires sont très intéressés, ils peuvent nous demander à lire le scénario dans son intégralité. Mais c’est ici que les rencontres se font. Il n’y a pas de rendez-vous avant. C’est ce qui est bien à la Cinéfondation, c’est que c’est une plateforme d’échange.
N.D. : Nous ne sommes allés à la rencontre que d’un partenaire avant de venir à Cannes car il se charge et de la distribution et de la vente internationale et on pensait que le projet était adapté. Il l’a lu, nous a fait le retour sur scénario. Il attend encore un peu pour s’engager.

 

 Nicolas Rincon Gille et ses producteurs

 

C. : Avez-vous fait des rencontres intéressantes ? De quel pays venaient les partenaires ?
N.R.G. : Oui, c’était très intéressant. Il y a de tout, des professionnels de France, des Etats-Unis, des coproducteurs chiliens, brésiliens, mexicains, espagnols et des agents de vente, mais encore une fois, surtout des professionnels originaires des Etats-Unis et de la France. Quand les Etats-Unis sont intéressés, on sait bien qu’on ne se situe pas dans le même type de cinéma donc c’est assez dur. Ceux qu’on a vus étaient certes des vendeurs et distributeurs américain indépendants mais tout de même.
N.D. : À l’Atelier, il y a assez peu de distributeurs étrangers. Il y a beaucoup de Français car ils connaissent bien le système et ils connaissent George Goldenstern qui travaillait avant chez Arte, en tant que directeur de l’Unité Cinéma. Comme il est très exigeant sur la qualité des projets qu’il choisit, il y a une marque de qualité qui attirent les distributeurs et les vendeurs français.

 

C. : Y-a-t-il des choses qui se concrétisent à Cannes ?
N.R.G. : Pas pour nous. On a eu, par exemple, quelqu’un qui était très intéressé et qui voulait signer, mais on ne peut pas dire tout de suite « C’est bon ». On avait encore beaucoup de rendez-vous. Le principe de l’Atelier permet de ne pas foncer tête baissée, mais de prendre le temps. Ce qui est beau dans le fait d’être ici, c’est que le projet n’a pas encore été tourné, il commence petit à petit à prendre forme. Ce genre de rencontres est très fragiles. Elles reposent beaucoup sur l’affect. Quand tu concrétises, tu sais que c’est avec des gens avec lesquels tu vas travailler pendant trois-quatre ans, donc si tu t’embarques avec quelqu’un qui ne comprend pas très bien là où tu veux aller ou qui attend autre chose, c’est fatal pour le projet. Par exemple, comme je disais, si on trouve un coproducteur d’un autre pays, les fonds de son pays peuvent exiger qu’on prenne un chef-opérateur de ce pays-là. Or, moi, je tiens à garder une continuité avec l’équipe.

 

C. : Est-ce que la Colombie est un pays qui intéresse les distributeurs ? C’est un pays qui a été très présent à Cannes l’année dernière avec des films comme L’Etreinte du serpent de Ciro Guerra à la Quinzaine des Réalisateurs. Il y a aussi eu le film La Tierra y la sombra de César Augusto Acevedo qui a remporté la Caméra d’Or.
N.R.G. :
La Colombie est un pays qui commence à être de plus en plus connu sur la thématique que j’aborde, et comme c’est un pays en plein changement, il a beaucoup de choses à dire au cinéma. C’est aussi le regard de notre projet qui intéresse les gens que l’on rencontre : mon regard n’est pas axé sur la violence, ce n’est pas non plus un film d’intrigue aux multiples rebondissements, c’est un parcours, inspiré du documentaire. Encore une fois, il ne faut pas réduire un film au point où tout le monde pourrait le trouver à son goût. Il faut garder ses spécificités. De cette façon, il y a ceux qui n’accrochent pas et ceux qui accrochent.

 

C. : Avez-vous eu un coup de coeur avec un distributeur ou un agent de vente particulier jusqu’ici ?
N.R.G.: Nous préférons ne pas en parler pour l’instant car cela fait partie des discussions que nous avons ensemble avec mon équipe. Mais ce que je peux dire, c’est qu’on en a rencontré certains qui ont déjà travaillé avec la Colombie et la Belgique, notamment des distributeurs de Joachim Lafosse. On a rencontré beaucoup de gens qui connaissent bien le cinéma belge, et un peu le cinéma colombien mais l’inverse est vrai aussi : d’autres connaissent plus le cinéma colombien que le belge. Le parcours de mes films précédents est un aval important. Beaucoup regardent avec considération Tantas Almas parce qu’il y a eu ce parcours avant, et mes films, tournés en Colombie, sont belges aussi. Peu d’entre eux ont vu mes films, mais s’ils se montrent intéressés, ils ont la possibilité de les voir via le site de l’Atelier, ou bien nous les leur communiquons. J’ai aussi préparé un vidéopitch de 5 minutes qui est un montage vidéo de mes films précédents et qui présente le scénario et les enjeux du film.

 

C. : À part à l’Atelier, cela permet-il de faire des rencontres d’être à Cannes ?
N.R.G. :
C’est la première fois que je découvre tout ça ! Je peux aller voir les films de la compétition, rencontrer des gens de toutes sortes. Cannes intéresse tout ceux qui font du cinéma car c’est une plateforme énorme. Si un film est vu ici, c’est sûr qu’il sera vu ailleurs ! On n’est pas à Cannes pour être à Cannes en soi, mais c’est un beau passage vers le public. Mes précédents films n’ont pas été faciles à diffuser car ils n’avaient pas de publicité. Etre ici, c’est la possibilité pour moi, que mon film soit vu, une fois qu’il aura été tourné. Cela a du sens dans mon parcours.

 

C. : Avez-vous tissé des liens au sein de l’Atelier ? Allez-vous en garder par la suite ?
N.R.G. : Nous n’avons pas eu trop le temps de faire des rencontres entre nous. C’est assez intense tous les matins, et quand on finit vers 14h00, on va voir un film, mais c’est super intéressant de voir ce que les autres sont en train de faire. Il y a des réalisateurs dont c’est la première expérience comme moi, d’autres avec plus d’expérience. Nous avons tous des profils très variés. Santiago Mitré, par exemple, est un réalisateur argentin très connu1.
N.D : L’Atelier est surtout une plateforme d’accueil. Ce n’est pas comme la Résidence qui, elle, offre un suivi car les projets sont encore en développement. Ici, nous nous présentons tous à des stades différents, mais à la phase supérieure [munis d’un plan financier]. Auparavant, il y avait un accord tacite passé avec les films de l’Atelier. Ils étaient tous présentés dans les différentes compétitions du Festival. Maintenant, ce n’est plus le cas, car certains films étaient ratés. Mais bien qu’il n’y ait plus de systématisme, le film sera regardé avec une attention particulière. 


Focus sur Natalie Dana, coproductrice française du projet avec la Société Caravan Pass, société de production et de ventes internationales, dans laquelle elle est associée à Corentin Sénéchal :

C. : Pouvez-vous nous raconter la rencontre avec Nicolas ?
N.D : J’ai rencontré Nicolas Rincon Gille et ses producteurs colombiens, Medio De Contencion Producciones, au Forum de coproduction du festival de San Sebastian. Nicolas y défendait son projet de manière très convaincante et en s’exprimant très bien. On comprend tout de suite qu’il connaît bien son sujet. C’est par la suite que j’ai pris connaissance du scénario dans sa totalité et que j’ai regardé tous ses films. J’aime la particularité des films de Nicolas qui mêlent violence et tradition orale. De plus, la Colombie est un territoire que j’ai à l’œil depuis quelques temps. Tout d’abord parce que certains de mes amis y font des films, mais aussi parce que cela fait quelques années maintenant que le cinéma colombien s’exprime. L’année dernière, j’ai voulu m’engager sur les ventes de la Caméra d’Or, La Tierra y l’Ombra.

 

C. : Qui a eu l'idée de soumettre le projet à l’Atelier ?
N.D :
C’est moi qui l’ai soumise à Nicolas dès que je me suis engagée dans le projet. Depuis que je viens à Cannes, c’est un rendez-vous que je ne manque jamais. Section du festival à part entière, elle est gage de qualité. C’est la deuxième fois que je viens en tant que participante.

 

C. : Quel a été le bilan du festival de Cannes cette année ?
N.D : Nous étions surtout à la recherche d’un distributeur français, ce qui débloquerait des fonds pour le projet. Nous ne faisons pas forcément les ventes internationales des projets que nous coproduisons. Le projet a suscité beaucoup d’intérêt. Nicolas avait préparé un vidéopitch qui a attiré les partenaires. Nous avons donc eu beaucoup de retours.

 

C. : Quel sera le calendrier du projet ?
N.D : Juste après le Festival, je m’occupe du suivi de Cannes, j’envoie le scénario à ceux qui se sont intéressés au projet, si nous pensons que nous pourrions le continuer avec eux. Nous devrions avoir les premiers retours fin juin. Ensuite, on espère pouvoir tourner dès le premier semestre 2017, pour ensuite présenter le projet à Cannes en 2018.


 1 Le Prix Arte International, aide au développement pour la mise en place d’une coproduction internationale, d’un montant de 6000 euros a été remis à Santiago Mitre pour son projet de long métrage La Cordillera dans le cadre de l’Atelier.

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