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Frédéric Delcor, Secrétaire Genéral de la Communauté française

Publié le 04/05/2009 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Cinergie : Vos nouvelles fonctions de Secrétaire Général de la Communauté française vous ont-elles fait voir différemment les relations de travail entre la fourmilière des fonctionnaires et les cabinets ministériels ?
Frédéric Delcor : Mon ambition, en débutant ce nouveau poste, était de trouver une nouvelle expérience professionnelle dans le secteur public et dans les matières traitées par la Communauté française. J’y ai découvert des personnes très motivées et passionnées par ce qu’elles font, et qui partagent le même intérêt que moi pour la « chose publique ». Cet investissement se sent dans la qualité du travail fourni, bien que la structure ne soit pas complètement adéquate pour valoriser au mieux les talents. Mon désir est de souligner la force des propositions du Ministère pour qu'il puisse jouer réellement son rôle d'inspiration de politiques.
Même si la fonction de l'administration est d'exécuter des décisions prises par les ministres, cela ne devrait pas nous empêcher de soumettre des projets sur base de nos connaissances du terrain. Cela se fait déjà dans de nombreux domaines, mais il faudrait les étendre.

C. : L’enveloppe budgétaire, au début du 21ème siècle, s’est améliorée grâce à l’apport de Wallimage et de la détaxation du Tax Shelter. N'y a-t-il pas moyen de faire mieux en prélevant, comme en France, une taxe, aussi minime soit-elle, sur les tickets d’entrées des salles. Taxe qui permet aux Français de faire 200 films par an !
F. D. : Je ne sais pas si c’est la seule raison qui permet au cinéma français de faire 200 films par an. Tout ce qu’on peut faire pour apporter plus d’argent au cinéma est le bienvenu. Je constate simplement que cette idée de taxe sur les tickets d’entrées est une vieille idée, compliquée à mettre en œuvre dans notre pays, car le niveau de pouvoir qui lèverait la taxe n’est pas celui qui en profiterait. La Communauté française n’ayant pas de pouvoir fiscal, il faudrait passer par une taxe fédérale ou une taxe régionale et trouver des arrangements pour faire venir l’argent vers le secteur du cinéma qui est, quant à lui, une matière communautaire. Quoi qu'il en soit, c’est un projet que je souhaite remettre sur la table à l’occasion de la constitution du prochain gouvernement.
Cela dit, globalement, nous sommes dans un système où les différentes sources de financements existantes permettent d’avoir une production cinématographique de qualité avec, en 2008, 5 films sélectionnés à Cannes.
Le rôle de la Communauté française se situe en parallèle aux sources de financement comme le Tax Shelter ou Wallimage concentrés sur le long métrage et quelques documentaires. Nous avons un rôle spécifique pour tous les autres types d’œuvres. Nous avons établi un système qui fonctionne bien en tant que soutien à la créativité avec des productions d’œuvres de qualité, maintenant, nous devons nous atteler à la promotion et la diffusion de nos œuvres pour faire en sorte que nos films puissent mieux rencontrer leur public.

Portrait de Frédéric Delcor, secrétaire général de la communauté française.

C. : Ne croyez-vous pas qu'il est primordial, plutôt que de favoriser des campagnes de promotion, de faire un travail d’éducation dès l’enseignement primaire, pour créer le public de demain ?
F. D. : Bien entendu, l’aspect éducation est fondamental si nous voulons augmenter le public qui va voir nos films. Avec l'organisation du Prix des lycéens par exemple, on essaye d’intéresser les étudiants au cinéma, et je suis d’accord avec vous qu’on pourrait lui donner plus d’ampleur, renforcer les dispositifs qui existent et les multiplier. Nous devons montrer que la diversité de notre cinéma est enrichissante. Le rôle des pouvoirs publics, par rapport à la culture en général, c’est de montrer la richesse de la diversité.
On doit faire en sorte que nos jeunes soient attirés par les chemins de traverses et pas seulement par les grandes autoroutes de l’information où se trouvent tous les produits culturels et audiovisuels qui n’ont pas besoin de nous pour rencontrer leur public et qui jouissent de gros moyens pour financer leur promotion.
Cette mission est fondamentale, mais il ne faut pas s’interdire d’utiliser les armes du marketing et de la promotion. Nous devons y consacrer plus de moyens. Nous devrions recréer le côté événementiel autour du cinéma, nous devons utiliser la notoriété de nos acteurs et réalisateurs pour attirer les gens vers notre cinéma.
Mis à part l’éducation et la promotion, notre souci devrait également se focaliser sur la qualité des salles, et en particulier les salles qui diffusent le cinéma d’auteur. Il est inadmissible que ces salles aient des conditions d'accueil et de projection exécrables. Nous allons consacrer un effort particulier pour les réhabiliter. Et enfin, n'oublions pas, et Cinergie est précurseur en la matière, la contribution que peuvent nous apporter les nouvelles technologies, comme Internet, pour atteindre le public. Internet est une énorme opportunité, il permet d’atteindre un public à moindre coût et de diffuser des œuvres à moindre coût. Le grand défi, c’est d’amener les gens vers ces produits-là.

C. : Allez-vous mettre des moyens supplémentaires à la disposition de la promotion ?
F. D. : Des dispositions ministérielles ont été prises dans ce sens. Mais outre les augmentations de moyens, on veut aussi modifier le système d’aide à la promotion, pour en faire un système que l’on peut solliciter avant le tournage du film, pour que ce souci de la promotion soit pris en compte dès le début. Par ailleurs, il faudrait pouvoir accorder des aides en fonction de plans de promotion spécifiques à chaque film.
Le but est d'augmenter les moyens, mais aussi, qualitativement, de changer la manière dont nous octroyons nos aides en matière de promotion.

La Ministre de l'Audiovisuel a élaboré un projet de décret avec l’administration pour donner une base légale à nos aides, et donc sécuriser ces dispositifs et les pérenniser.

C. : Pensez-vous qu'il soit possible d'étendre le système de détaxation qu'offre le Tax Shelter à la production de courts métrages ?
F. D. : Pourquoi pas ! Mais croyez-vous que ce type de production pourrait attirer les investisseurs ?! Rien n’interdit de mettre de l’argent dans la production de documentaires, mais très peu bénéficient de ce système !
Soyons réalistes, il y aura toujours une partie de la création audiovisuelle pour laquelle la Communauté française, en tant que pouvoir public, aura un rôle spécifique à jouer pour permettre à ces œuvres non « rentables » d'exister et ainsi cultiver le vivier dans lequel notre cinéma puise ses qualités.

C. : À ce sujet, nous constatons que le Tax Shelterfinance un grand nombre de coproductions minoritaires belges. N'est-ce pas là une conséquence antinomique aux effets souhaités ?
F. D. : Mais la production de films dits « minoritaires » est tout aussi bénéfique à notre industrie cinématographique. Non seulement pour le développement du secteur industriel technique (un grand nombre de nos techniciens et de nos studios ont des engagements grâce à ce système), mais également pour favoriser la recherche de fonds étrangers pour la réalisation de films majoritairement financés par des fonds nationaux.

Portrait de Frédéric Delcor, secrétaire général de la communauté française.

C. : Pensez-vous que la crise financière et économique que nous traversons aura des répercutions néfastes dans le domaine culturel ?
F. D. : Sans nul doute la crise se fait déjà sentir dans l'organisation d'événements; les entreprises sponsors et de mécénat investissent moins. Les festivals rencontrent de réelles difficultés à intéresser les fonds privés.
En revanche, le public ne semble pas déserter les manifestations culturelles : le besoin d'émancipation et d'évasion par la connaissance et la réflexion restent intacts.
Quoi qu'il en soit, nous, pouvoirs publics, nous continuerons à défendre l'idée que la culture est un secteur dont le bénéfice ne paraît pas immédiat, mais qui a des conséquences fondamentales quant au développement global d'une région; qu'il soit économique, social ou même de santé mentale et de bien-être.

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