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Thierry Odeyn

Thierry Odeyn

Métier : Réalisateur

Ville : 1050 Bruxelles

Province : Bruxelles-Capitale

Pays : Belgique

Galerie photos

Filmographie

Mais nous sommes tous antiracistes

Mais nous sommes tous antiracistes

Réalisateur(-trice)
documentaire
1983
 
Ville, mode d'emploi

Ville, mode d'emploi

Réalisateur(-trice)
docu-fiction
 

Le déclic...

Thierry Odeyn

"Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux"

Je n’ai pas connu l’étincelle, le chemin de Damas, l’illumination décisive. Je n’en ai pas le souvenir. Mon cheminement avec le cinéma a été lent et progressif. Il y eut des films bien sûr, quelques lectures, des rencontres, la vie même. C’est une histoire de sédimentation.
Je pourrais vous raconter qu’enfant, j’allais toutes les semaines dans une salle de quartier avec mes parents. Le batiment existe toujours. On y vend des aspirateurs. Nous nous engloutissions dans de vastes épopées pleines de couleurs et de bruits. A la sortie, mon père me commentait les photographies punaisées où j’apprenais à reconnaître Maureen O’Hara, Alan Ladd ou Olivia De Havilland. J’ai pleuré avec Bambi, j’ai eu peur avec Sinbad le Marin et je suis tombé amoureux de Sissi Impératrice. Ce n’est que bien plus tard, dans un pensionnat de province... Imaginez vingt adolescents agglutinés devant la fenêtre d’un téléviseur noir et blanc. L’objet trônait au-dessus d’une armoire métallique dans le fond du vaste réfectoire. Pour la plupart d’entre-nous, ces soirées n’étaient qu’un prétexte à retarder le coucher, militairement fixé à vingt-deux heures. Les pions évitaient ces soirées « culturelles », et laissés à nous-même, nous commentions le film à haute voix. Cela se clôturait rituellementdans un chahut qui n'avait rien de cinéphilique. Parfois, le proviseur interrompait le spectacle par un coup de téléphone impérieux. Je l’entends encore retentir dans la nuit des cuisines. Le hasard voulait, qu’à domicile, il regardat notre programme. C’est ainsi que je ne connus la fin de French Cancan que des années plus tard, l’autorité morale du lieu ayant jugé Renoir pornographique. Un autre soir, je ne sais quelle chaîne diffusait tardivement le Procès de Welles. Jeanne Moreau parlait anglais et nous tentions, sans grande conviction, de déchiffrer les sous-titres néerlandais. Il y eut quelques rires, mais je me souviens d’une grande émotion collective. Nous avions la certitude que ce film parlait un peu de ce que nous vivions.
Plus tard, nous avons créé un ciné-club. J’y ai programmé le Procès et au risque de nous voir confisquée notre sortie de week-end, nous nous sommes levés la nuit pour nous reprojetter la dernière bobine. C’est sans doute là qu’est né le rêve d’un film qui raconterait vraiment nos années d’internat. J’en ai rempli des carnets.
Je pourrais vous raconter notre Zéro de conduite. Tout est parti d’un film, à la réflexion, assez anodin. Nous avions loué Mourir à Madrid. A l’époque, nous ignorions tout ou presque du régime franquiste. La plupart de mes compagnons passaient, comme beaucoup de Belges, leurs mois d’août sur la côte ibère. Mes parents avaient toujours refusé de franchir les Pyrénées, par conviction politique. Je ne les ai vraiment compris qu’en lisant Malraux. Sans la moindre explication, la projection fut interdite. Le lendemain, nous avions couvert les murs et les tableaux du fameux slogan «Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux». Ce fut le début d’une période houleuse et l’ouverture vers un certain dialogue, l’autorité avait été déstabilisée par la violence de nos revendications. Le film de Rossif fut notre «Muette de Portici». C’est ainsi que j’appris que le cinéma pouvait être politique. Cela se passait quelques années avant 1968. La suite fut boulimique. Notre confrérie découvrit les Cahiers du Cinéma, les monographies Seghers, Bazin, Sadoul, Mitry et la Cinémathèque où, mon temps de pensionnat terminé, je passais mes soirées, en collectionneur. Ce fut ma première école. L’année suivante, j’étais reçu à l’Insas, mes parents me croyaient en faculté de Droit. Je devrais parler ici d’Edmond Bernhard, d’Hadelin Trinon, de Michel Khleifi, de Pasolini, de Fassbinder, de Vertov, mais ceci est une autre histoire.

Thierry Odeyn