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Abbas Kiarostami

Publié le 01/11/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Révélé en 1990 avec Où est la maison de mon ami ?, qu'il avait tourné trois ans auparavant, Abbas Kiarostami s'est vu décerner, en mai dernier, la Palme d'Or du Festival de Cannes pour Le goût de la cerise. En 1995, le festival de Locarno a organisé une rétrospective intégrale de ses films. L'occasion pour Les Cahiers du cinéma de consacrer un numéro spécial au cinéaste iranien - repris pour l'essentiel dans cet ouvrage que Les Cahiers viennent de publier dans leur collection de poche - et de découvrir le réalisateur d'Au travers des oliviers.

Abbas Kiarostami

Ce cinéaste secret et étonnant a réalisé plus d'une vingtaine de films et participé comme scénariste ou monteur à plus d'une dizaine d'autres films. Est-il dans le documentaire ou dans la fiction  ? Kiarostami ne s'embarrasse pas de ces distinctions, documentaire fictionnalisé (Devoirs du soir) ou fiction documentariste (Et la vie continue) qu'importe ! Ses films sont d'abord et avant tout des paraboles. Comme l'écrit avec pertinence Laurent Roth : "Dans tous les cas, c'est un enfant (violenté?) qui parle, qui raconte toujours la même histoire, et d'abord avec les armes de la fiction : comment l'enfant qui est en l'homme est systématiquement brisé par les lois du monde adulte, comment il devra rassembler toutes ses ressources morales pour laisser parler son désir et accéder à sa propre humanité." 

Close-up est l'un des rares films de Kiarostami où l'enfant ne paraît pas (sinon à travers un adulte qui, comme les enfants, a tendance à confondre la réalité et la fiction). Un film d'une complexité et d'un raffinement tel, sous des allures de simple fait divers, qu'en y réfléchissant, on se demande tel Montesquieu : "Comment peut-on être Persan ?" Close-up est un jeu de miroir vertigineux. C'est le portrait d'un homme qui joue avec le leurre du cinéma pour assouvir sa mythomanie mais n'est-ce pas là le ressort du désir de tout spectateur de cinéma ? 

Ali Sabzian abuse une famille bourgeoise chez qui il s'installe en se faisant passer pour le célèbre cinéaste iranien Moshen Makhmalbaf. Kiarostami filme son procès pour escroquerie (d'une valeur plus symbolique que matérielle) et la reconstitution de celle-ci. Dans Close-up, Ali Sabzian est (pendant le procès) et joue (lors des reconstitutions). Ali Sabzian interprétant Makhmalbaf qui lui-même apparaît, à la fin du film tel l'acteur d'un film de Kiarostami, pour jouer son propre rôle (il va qui plus est engager Ali Sabzian dans un de ses films à lui afin de lui permettre d'assouvir sa passion du cinéma). Ce que reproche le tribunal à Ali Sabzian, le faux Makhmalbaf, c'est de fictionnaliser la réalité, ce que n'arrête pas de faire Kiarostami qui, en filmant imperturbablement la scène, rappelle qu'on peut se servir de leurres pour dire la vérité, plaide pour le droit à la fiction, le droit de faire du cinéma. 

Le passager est une autre traversée du miroir par le spectateur vers l'écran de ses rêves. Quasem, un gamin passionné de football se rend à Téhéran (en escroquant ses condisciples) pour assister à un match que dispute l'équipe nationale iranienne. Sur place, fatigué, il s'endort. A son retour il invente la partie qu'il décrit à son copain Akbar fasciné par son récit. Charles Tesson a raison d'y voir une fable sur le cinéma : "Il (Quasem) devient cinéaste sans le savoir alors qu'il vient juste pour voir. Au lieu de la réalité absente, celle du match raté, il devra imaginer ce qui s'est vraiment passé afin d'atteindre et d'exprimer la vérité de cette réalité qui se dérobe". Et Tesson d'ajouter : "Un mensonge est aussi beau que le récit de la réalité, à condition qu'il soit conforme à la vérité de ce monde auquel il se substitue"
On se souvient des propos que Godard attribue à André Bazin dans le générique du Mépris, en voix off : "Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs". Dans la même veine, Kiarostami dit : "Je cite volontiers une phrase de Jean-Luc Godard : La réalité est un film mal réalisé, ou Shakespeare qui dit : Nous sommes la matière de nos rêves ou nous ressemblons plus à nos rêves qu'à la vie qui nous entoure".


Textes, entretiens, filmographie complète, Abbas Kiarostami, Ed. de l’Etoile, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma,1997, 143 pages.