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Abbas Kiarostami aux Cahiers du Cinéma

Publié le 01/05/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Abbas Kiarostami

Devenu cinéaste par hasard, Abbas Kiarostami démarre en faisant de la photographie, de la peinture et du cinéma publicitaire. En 1969, Firuz Shirvanlu, directeur de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants, crée une section cinéma et invite Kiarostami après avoir vu une pub pour une crème adoucissante pour les mains que celui-ci venait de réaliser.

Il commence donc sa carrière de cinéaste par des courts métrages éducatifs pour les jeunes Iraniens. Des films qui le conduisent à se servir du monde de l’enfance pour développer les thèmes sur le mensonge (né du désir de se montrer comme on aimerait être) et la réalité, ainsi qu’un goût très iranien pour conter des histoires avec les armes de la fiction tout en s’inspirant en partie de faits réels.
Dans Le Passager (72’), un jeune garçon qui joue au football dans son village désire aller à Téhéran pour regarder et participer au match de l’équipe nationale iranienne. Pour y arriver, il vole de l’argent à ses parents, escroque ses camarades de classe et n’hésite pas à vendre les accessoires de football de son équipe pour obtenir l’argent lui permettant de réaliser son projet. Epuisé par tant d’efforts consentis, il s’endort dans le train et rate le match auquel il désirait tant assister.

Les premiers longs métrages d’Abbas Kiarostami poursuivent cette veine de l’enfance face à la société dans laquelle elle vit et la réalité à laquelle elle est confrontée. Dans Où est la maison de mon ami ? un jeune enfant néglige d’écrire ses devoirs dans son cahier de classe. Nematzade risque l’exclusion s’il ne rend pas ses textes. Ahmad, son meilleur ami, prend par mégarde le cahier de Nematzade. Lorsqu’il s’en aperçoit, il parcourt le hameau en cherchant la maison de son ami pour lui éviter l'exclusion, mais il n’ose pas y entrer. Il rentre chez lui, rédige ses propres devoirs et ceux de son ami, ce qui lui permettra de rester à l’école. Du coup, il roule le maître d’école avec un double qui est un faux.

Le moment est venu de parler de Close-up (malheureusement pas en DVD), de ce "Je est un autre". Qu'est-ce que l’identité ? On croit, en voyant le film pour la première fois, être face à un mythomane qui roule tout le monde en se faisant passer pour Moshen Makhmalbaf, le cinéaste le plus connu en Iran. Ce dernier surgit pour de vrai dans la dernière partie du film car Sabzian, le menteur qui vit dans une famille qu’il dupe en se faisant passer pour Moshen Makhmalbaf écrivant le scénario de son prochain film, est poursuivi par la justice iranienne. Face à lui un religieux se prend pour un juge, un journaliste pour Ornella Fallaci, le chauffeur de taxi est un aviateur. On reconnaît le style en poupées russes, d’une rare subtilité (très iranienne) d’Abbas Kiarostami (Makhmalbaf démarre comme faux réalisateur et finit comme acteur). Du tout grand Kiarostami qui part d’un fait-divers réel qui l’a, lors de sa découverte dans un journal, empêché de dormir. « J’ai passé une série de nuits blanches sur le scénario, parce que la réalité avait de l’avance sur nous (…) Sabzian n’est pas un mythomane ; l’être humain veut être un autre. Devoirs du soir montrait justement comment l’éducation nous fait perdre notre personnalité ». Très habilement, Kiarostami, dans ce procès contre un homme qui se sert d’une famille, fait un plaidoyer en faveur du droit à la fiction, à changer d’identité, à faire du cinéma, tout simplement. 

C’est aussi le thème de Et la vie continue, son chef-d’œuvre. Le cinéma dans le cinéma. Kaker, le village de Où est la maison de mon ami ? victime d’un tremblement de terre est-il accessible ? Que sont devenus Nemtzade et Ahmad, les deux enfants du film ? Ont-ils survécu ? Un cinéaste et son jeune fils s’y rendent en voiture. Le cadre est celui formé par la fenêtre de la vieille Renaud 5 en train de rouler. Sans habitacle, pas de film. Le son : est-ce que la route est ouverte ? L’image : comment filmer à la fois le mouvement et le paysage qui ne cesse de se dérouler sous les yeux du père et de l’enfant ? Cadrage fixe à travers la fenêtre avant ou arrière du véhicule ou travelling latéral. Ce sur-cadrage de la vie à travers l’habitacle d’une voiture, Kiarostami va continuer à s’en servir dans Au travers des oliviers (1994) et Ten (2002).

Abbas Kiarostami ne travaille point avec des acteurs professionnels. Pourquoi ? Il nous explique qu’avec les acteurs non professionnels il s’agit de « toucher la sensibilité et parler de cœur à cœur », tandis qu’avec les pros, il faut parler de technique. Il faut être en symbiose avec eux afin « que sans avoir besoin de vos instructions, ils fassent ce que vous désirez ».

 Ce n’est pas pour autant que Kiarostami fait du reportage : il n’est pas « question de faire un film de reportage, parce que je ne travaille pas pour la télévision ». Il n'aime pas ce style télévisuel d’une image éclairée comme des photos d’identité : « Quand les acteurs marchent dans une zone sous-exposée, les chefs opérateurs coupent la prise. Mais on peut mettre l’obscurité au service du film ».
 Il pense aussi à l’importance du son, celui-ci « accorde à cette image la profondeur, sa troisième dimension. Le son comble les lacunes de l’image ».
 « Je pense que l’image est, d’une certaine façon, la mère de tous les arts ». Elle est à l’origine de tout, « bien souvent, j’ai écrit un scénario à partir d’une image mentale ».
 Sur la création : « La photographie satisfait les sentiments créateurs et rend possible l’accès à la sérénité (1). On ne peut saisir Abbas Kiarostami qu’en constatant sa volonté d’une morale intransigeante de la création artistique.
 Cet excellent livre qui vous permet de découvrir ou de revoir (en DVD) les films de Kiarostami est bourré d’interviews parues dans Les Cahiers du Cinéma mais aussi d’une filmographie complète (avec résumé pour chaque film) réalisée en 1995 pour le festival de Locarno et complétée.
 (1) Photographies d’Abbas Kiarostami, éditions Hazan. 

Abbas Kiarostami, Textes, entretiens, filmographie complète, Petite Bibliiothèque des Cahiers du Cinéma.