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Abel & Gordon : Rumba

Publié le 01/09/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Et maintenant, je vous prie d'accueillir comme il se doit... Abel & Gordon !
Rencontre colorée d'un couple sur scène et dans la vie, uni par une passion débordante pour le burlesque, ayant de nombreux spectacles à son actif et déjà un deuxième rendez-vous en salles.

Cinergie : Nous vous savions comédiens burlesques sur scène et au cinéma, mais nous ne savions pas que vous étiez également danseurs ! Votre performance est impressionnante. Est-ce un aperçu de ce qu'on peut voir sur scène ?
Fiona Gordon : Oui, dans la mesure où dans nos spectacles, nous incluons toujours l'une ou l'autre danse, et je ne sais pas par quel hasard, nous avons omis d'en mettre une dans l'Iceberg. Manque qu'on a comblé avec Rumba ! On a choisi la musique des rumbas cubaines des années ’60. C'est sensuel et physique. Ça parle du couple et nous, on voulait parler du couple dans ce film. Nous ne sommes pas danseurs, mais nous aimons bouger, et c'est un défi pour nous de faire semblant d'être de vrais danseurs !
Dominique Abel : Dans le burlesque, il y a une espèce de rythme particulier. Pour que ce soit vraiment drôle, il faut un rythme de gags assez soutenu. On a remarqué que la danse ou le chant (on ne chante pas très bien, donc on s'est tu) sont bienvenus, ça colle assez bien au registre comique/physique.

 

C : Comment travaillez-vous ? Est-ce que le film s’élabore sur scène, créant des situations que vous allez ensuite inclure dans un film ou, au contraire, écrivez-vous un scénario classique de film ?
Dominique Abel : On passe sans arrêt des planches à l’écriture. Quand on a un canevas qui tient, on l’essaie pour être sûr de l'effet « drôlesque » avant de l'inclure dans le scénario. Nos quinze ans de scène en tant qu'acteurs physiques nourrissent notre écriture. On fait, comme on dit en BD, des cases, mais on n'écrit pas le contenu de la case. Par exemple on écrit : « Le couple a une insomnie parce que le lendemain ils se présentent à un concours et sont très nerveux ». Ça, c’est le thème, et dans ce thème, il y a plein de possibilités de jeu, et on n'a pas besoin d'écrire davantage. C'est une écriture particulière, parce qu'on sait à l'avance où Fiona sera drôle, mais on n'est jamais tout à fait sûr avant de l'avoir essayé. Même chose pour moi et pour Philippe Martz, on a appris, en affinant notre jeu sur scène, le genre d’histoires qu’il nous faut. On ne va pas étonner les gens dans la complexité ou dans la surprise scénaristique mais dans la manière, dans le mouvement. Il faut qu’on trouve des histoires où on laisse beaucoup de place au mouvement.

 

C. : Avez-vous gardé toutes les scènes que vous avez répétées, écrites et jouées après le montage ?Dominique Abel : On gaspille peu de pellicules, on jette peu au montage. Par contre, en amont, quand oncrée, on improvise beaucoup de variantes de la même scène qu’on jette pour n’en garder qu’une.
Fiona Gordon : Au final, il y a trois scènes qu’on a voulu mettre dans le film et qui n’ont pas trouvé leur place.
Dominique Abel : Il y a toujours des surprises. On a beau préparer beaucoup, répéter, car le jeu physique ne permet pas l'improvisation, il y a toujours deux ou trois scènes, ou plutôt plans séquences, dans lesquels on est pas aussi bons qu'en répétitions ou qui ne trouvent pas leur place dans l'ensemble. Ce qui est paradoxal dans notre jeu, c'est que nous avons besoin de beaucoup de répétitions pour que les mouvements s'agrègent dans le rythme, mais il ne faut pas que cela se voit. Il faut absolument retrouver la spontanéité avant de tourner.

 

Abel & Gordon © JMV/Cinergie

 

C. : Il y a très peu de parole dans un film burlesque et ça ne date pas d’aujourd’hui. C'est pourquoi le burlesque avait sa place dans le muet. Avec l'apparition du son, on a vu la parole remplacée par un son bizarre comme chez Tati. Comment avez-vous résolu la question ?
Fiona Gordon : Nous, on n’essaie pas de ne pas parler, cela nous vient naturellement.
Dominique Abel : Quand on improvise, on ne s’empêche pas de parler, on met juste la quantité qui nous plaît. Ce qui nous intéresse, c’est l’humain. Quand on l'observe, on entend sa voix, mais il y a aussi et surtout le corps. Dans notre registre du comique, le corps est un élément essentiel.

 

C. : Mais vous ne vous appuyez pas sur le bruitage ou la musique pour habiller l’image.
Dominique Abel :
Nous ne mettons pas de musique d'ambiance. Chez nous, tout est épuré, le cadre, l'image, les gestes et le son aussi. Quand on met de la musique, c'est qu'elle a une raison d'être écoutée; soit pour danser soit pour autre chose. Notre rapport au cinéma ne tient pas du réalisme, on ne mettra jamais un son pour affirmer la réalité, on vient d’un univers plus théâtral, on a l’habitude d’imaginer et si un son est présent, c’est pour sa musicalité.
On pourrait comparer la bande-son de nos films à la ligne claire en bande dessinée. Hergé disait qu’il ne dessinera jamais un téléphone sur un bureau si le téléphone ne va pas sonner. Pour nous, c'est la même chose, dans la composition de l'image et du son.
Fiona Gordon : Souvent, on pense qu’on est des nostalgiques d’une période qui n’existe plus. Mais pas du tout, c’est juste notre style aujourd’hui, c’est juste sa rareté qui fait penser aux choses qui n’existent plus : on n'essaie pas de ressusciter le passé.

 

C. : Le burlesque, c’est autre chose qu’un jeu d’acteurs, c’est une autocréation. Ce qui n’est pas du tout le cas d’un acteur qui change de rôle de film en film.
Fiona Gordon : Nous ne sommes pas acteurs, ni interprètes. On n’interprète pas ce qu’on nous demande ou suggère. On est des auteurs.
Dominique Abel : Nous sommes des clowns qui se sont appropriés l’écriture et la réalisation. En fait, il n'y a que dans les interviews qu’on théorise sur le burlesque et notre jeu. Mais nous, quand on improvise et on fait notre film à trois, on fait ce qu’on veut, on discute très peu, on fait ce qui nous fait rire, ce qui nous touche, c'est tout.

 

C. : Dans beaucoup de burlesque, le même personnage évolue d'un film à l'autre. Est-ce que vous allez garder les personnages que vous avez créés ?
Fiona Gordon : Je pense que oui, mais ce ne sont pas des personnages créés, c’est nous et ce qui en ressort quand on improvise.
Dominique Abel : Quand on donne des cours de clowns, un exercice classique c’est de mettre un acteur sur une chaise, et essayer de ne pas le faire jouer, de gommer tous les artifices. Et quand il y arrive, qu'il arrête de jouer et qu’il est face au public, c'est à ce moment qu'il devient hyper drôle, c’est là qu’on trouve le fond de son clown.
Notre maladresse c’est vraiment la nôtre, on ne va pas l’inventer, on part avec nos particularités, nos grandes mains, une grande bouche, un grand ou un petit corps et ça tu ne l’inventes pas, tu l’as, chaque personne à un clown différent. C’est probablement essentiel dans ce style qu’on a appelé burlesque.
Fiona Gordon : Mais d'autres acteurs l'ont fait dans leur film, et chez eux, on ne peut pas parler de burlesque, comme Woody Allen, ou Nanni Moretti. 

 

C. : Pensez-vous que votre style va changer ?
Fiona Gordon : Evoluer, mais pas changer. On n'achète pas les styles, on fait ce qu’on adore depuis toujours et on creuse notre petit bonhomme de chemin, on apprend. Finalement, deux longs métrages, c’est pas beaucoup !

 

Dominique Abel & Fiona Gordon ©JMV/Cinergie

 

C. : Parlons des couleurs. Les couleurs étaient déjà bien présentes dans l'Iceberg et dans vos courts métrages. Mais dans Rumba, vous avez explosé. C'est un feu d'artifice, un véritable arc-en-ciel.
Fiona Gordon : Le thème s'y prêtait, mais de toute façon, on aime les couleurs, les jolies couleurs, on ne fera jamais un film en noir et blanc.
Dominique Abel :
Les couleurs transmettent des émotions, comme en peinture. On ne fera jamais une peinture beige et grise !
Fiona Gordon :
Avec le jeu des couleurs, on cherche à faire ressortir les personnages principaux de leurs décors, qu’ils ne soient pas perdus dans le contexte, mais qu'ils soient bien présents. On a l'impression de ne pas avoir totalement réussi dans l'Iceberg, c'est la raison pour laquelle on a essayé de pousser encore plus les contrastes dans Rumba.
Dominique Abel : On dit souvent : « Les personnages en été et les décors en hiver ». Si on a choisi la Normandie comme lieu de tournage, c'est pour cette raison; on aime les ciels chargés, les lumières froides sur lesquelles se découpent les personnages éclairés d'un halo, comme dans les contes de fées, où la lumière émane des personnages.
Fiona Gordon : C’est un choix esthétique, mais aussi stylistique, car en plus de faire rire, il faut voir les comédiens. C’est vraiment difficile d’avoir une bonne définition quand on filme les gens de loin comme nous le faisons, alors on trouve toutes sortes d'astuces pour capter et maintenir l’intérêt sur les personnages.

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