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Age d'Or/Cinédécouvertes : programme exceptionnel

Publié le 13/07/2007 par Jean-Michel Vlaeminckx et Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Depuis plus de 30 ans, la Cinémathèque Royale propose, à travers une double compétition, l’Age d’Or/Cinédécouvertes, de découvrir des films inédits en Belgique. Depuis 1973 le Prix de l’Age d’Or récompense l’auteur d’un film qui, ‘par l’originalité, la singularité de son propos et de son écriture, s’écarte délibérément des conformismes cinématographiques. Cinédécouvertes vise à faire découvrir au public des films remarqués dans divers festivals internationaux (Cannes, Berlin, Rotterdam) et d’en encourager la distribution. Repérages avec Jean-François Pluijgers, programmateur d’un cinéma qualitatif, exigeant et esthétique.

 

Cinergie : Le Prix de l’Age d’Or a été créé par Jacques Ledoux qui aimait les films d’avant-garde. Peux-tu nous expliquer la particularité de l’Age d’Or ainsi que celle des Cinédécouvertes apparues plus tardivement ?
Jean-François Pluijgers : L’Age d’Or a en effet été créé par Jacques Ledoux. C’est un prix qui récompense l’auteur ou sa démarche. Au départ, il y avait une volonté de saluer l’avant-garde. Puis avec le temps, dans le courant des années 70, Ledoux souhaitait aussi souligner des films qui accordaient une importance particulière au langage cinématographique. C’était un peu en réaction au fait que l’engagement se faisait parfois au détriment de l’écriture cinématographique. Ledoux, lui, était partisan de films à la fois subversifs dans leur portée mais aussi dans leur approche cinématographique. Ainsi, l’Age d’Or a évolué et à la fin des années 70, les Cinédécouvertes sont venues s’y greffer. Celles-ci visaient plus spécifiquement à encourager la distribution de films de qualité en dehors des circuits commerciaux classiques. Les deux démarches se rejoignaient donc d’emblée. D’ailleurs, je crois que ça correspondait déjà à une réalité : beaucoup de films de qualité à rayonnement commercial limité pouvaient être vus dans les festivals internationaux mais avaient une chance infime d’arriver sur les écrans belges.

Portrait de Jean-François Pluijgers, programmateurC. : Vous êtes sensibles aux premiers films comme au suivi de réalisateurs déjà confirmés…
J.-F. P. : Oui. Même si ce n'est pas une constante, il y a une audace plus grande dans des premiers et deuxièmes films. Parallèlement, on a envie de suivre certains auteurs dont on a déjà projeté les films. C'est le cas par exemple cette année avec Naomi Kawase dont on avait montré les deux films précédents. On a l'occasion aujourd'hui de montrer La Forêt de Mogari. Cette année, on aurait aussi aimé montrer le film de Béla Tarr dont on a déjà présenté plusieurs oeuvres, mais ça n'a pas été possible. En principe, le film est distribué sur le marché belge et une des conditions de sélection est qu'il n'y ait pas de distributeur.
Outre le suivi d'auteurs à la démarche profondément originale, il y a la volonté d'accompagner des gens dans leur parcours. On se rend compte que certains auteurs établis comme Oliveira ou Godard continuent à poursuivre une démarche originale du point de vue esthétique. Et ça nous intéresse…

C. : Même si certains films seront distingués, on a le sentiment qu’effectivement, vous mettez surtout en avant des démarches uniques, exclusives et novatrices, éloignées d’un certain cinéma.
J.-F. P. : Oui. C’est vrai qu’inconsciemment, je pense qu’il y a un désir de montrer un état du cinéma tel qu’il est aujourd’hui, qui n’est peut-être pas celui qu’on peut voir. Ce n’est pas contre un autre cinéma mais "en plus" ou "à côté" d’un autre cinéma. Dans la sélection, on essaye de ne pas se mettre d’œillères. Par exemple, cette année, il y a un film de Harmony Korine, Mister Lonely qui est un ovni. Je trouve que c’est un film qui peut procurer énormément de plaisir  et qui présente aussi une démarche tout à fait originale. On n’a pas souvent l'occasion de voir ce genre de films. Pour évoquer d’autres films inattendus de la programmation, il y a La France de Serge Bozon, une espèce d’errance chantée en périphérie de la guerre 14-18. Je crois qu’à la base, il y a un plaisir qu’on a envie de partager en allant trouver des films un peu hors du commun, sans non plus chercher l’originalité pour l’originalité.
Ce qui m’a frappé en voyant la vingtaine de films qu’on propose cette année, c’est que bon nombre d’entre eux étaient finalement assez légers. Ils traitent de sujets graves en prise sur leur temps (notamment de l’aliénation de l’homme) de façon assez légère et même accessible.
Je pense par exemple à Meduzot, le film israélien qui a obtenu la Caméra d’Or. Il dresse le portrait croisé de gens vivant à Tel-Aviv : de prime abord, il possède un côté polyphonique que d’autres ont déjà abordé, mais en même temps, il touche à quelque chose de très profond. Encore maintenant, c’est un film qui continue à me travailler…

C. : Cette manifestation, festival de promesses ou d’émotions, existe depuis 30 ans. Vous avez probablement déterminé une ligne éditoriale qui se veut le reflet d’un cinéma mondial, actif et évolutif.
J.-F. P. : Oui. C’est clair qu’il y a une volonté de refléter l'évolution d'un certain cinéma. Mais depuis quelques années, on constate que beaucoup de films correspondent aux Cinédécouvertes alors qu'il est de plus en plus difficile de trouver des films qui correspondent à l’Age d’Or. Donc, on a conscience d’être à un tournant. Et effectivement, la ligne éditoriale évolue sensiblement : on cherche des films originaux, mais objectivement, tous ne sont pas des Ages d’Or potentiels.

Extrait de MeduzotC. : Qu'est-ce que tu penses de l'émergence du cinéma asiatique ? C’est un cinéma qui est en train de montrer que le film d'auteur et créatif n'est pas du tout mort. On remarque que vous le suivez d'assez près. En 1998, l'Age d'Or a tout de même récompensé Xiao Wu, le premier film d’un inconnu : Jia Zhang Ke.
J.-F. P. : Effectivement, on a vu apparaître une série d'auteurs asiatiques essentiels. Jia Zhang Ke est un bon exemple. Je pense aussi à Naomi Kawase dont on avait montré Moe no Suzaku, il y a presque 10 ans. C’était un film tout à fait étonnant et ses qualités de cinéaste n'ont fait que se confirmer par la suite. Il y en a d'autres... Tsai Ming-Liang est pour moi un des cinéastes les plus passionnants. C'est un peu difficile d'expliquer pourquoi ce cinéma est tellement fécond. Il y a en tout cas une chose à laquelle je suis très sensible : ce sont des démarches qui ne font pas la négation du formalisme.
Quelle que soit l'intensité d'un film, il y a vraiment une démarche esthétique qui sous-tend le propos. Pour moi, Jia Zhang Ke et Naomi Kawase font des films à la fois en prise sur leur temps et sur des sentiments immémoriaux. La Forêt de Mogari [Naomi Kawase] traite d'une histoire de deuil : c’est un sujet absolument intemporel, vraiment universel qu’elle a décidé de mettre en lumière. Quand on voit Syndromes and a century d'Apichatpong Weerasethakul, c’est vraiment une démarche tout à fait unique et extrêmement exigeante. 

C. : Dans le travail de sélection, t’intéresses-tu plus particulièrement à certaines zones géographiques ?
J.-F. P. : C’est franchement aléatoire. On ne cherche pas à privilégier une zone plutôt qu’une autre. Pendant très longtemps, il y a eu beaucoup de films sud-américains parce qu’ils semblaient correspondre à la définition de l’Age d’Or et à ses dimensions subversives. On s’intéresse aussi systématiquement aux films européens. Cette année, les deux pôles centraux sont l’Europe et l’Asie. Il y a certains films coréens et japonais qu’on n’a pas pu avoir pour diverses raisons. Ce qui est évident, c’est qu’il y a une volonté d’être ouvert à un cinéma en train de se faire et un cinéma en devenir et que ça passe par des films plus exigeants. Chercher des films qui s’écartent des conformismes cinématographiques, c’est le pendant de cette volonté-là. Tropical Malady, son film précédent, avait été primé en 2004 et est sorti dans la foulée pour un public limité. Néanmoins, je trouve fondamental qu’il y ait encore des manifestations comme Cinédécouvertes qui restent ouvertes à ce type de cinématographies. Sans ça, les films seraient vraisemblablement inaccessibles pour le public belge.


C. : Tu te rends à Cannes, à Berlin mais aussi à Rotterdam où a lieu un festival moins connu mais qui programme beaucoup de films intéressants dont le dernier Apichatpong…
J.-F. P. : Cette année, les films viennent effectivement de Rotterdam. On ne va pas à Venise pour une question de calendrier (le festival a lieu juste après notre manifestation), et parce que l’expérience a montré que les films qu’on aurait éventuellement repérés pouvaient être vus au marché à Cannes ou être distribués entre temps. Rotterdam représente, par contre, une source importante. C’est un festival où l'on peut voir un tas de choses qu’on ne voit nulle part ailleurs. C’est un festival "têtes chercheuses", extrêmement précieux. La source privilégiée reste évidemment Cannes : les films de la Sélection officielle et de la Quinzaine sont, en général, de qualité. De plus, les dates correspondent à notre deadline : on sait qu’à Cannes, on peut encore composer une bonne moitié du programme. Cette année, à Rotterdam, il y avait une quinzaine de films sélectionnables. À l’arrivée, je pense qu’il en reste trois. Sur Berlin, on avait une quinzaine de possibilités et on en reprend six. Le reste vient de Cannes.Extrait de La Forêt de Mogari de Naomi Kawase

C. : Est-ce qu'il serait possible de faire tourner ces films dans d’autres salles en concoctant des programmes "spécial Cannes", "spécial Rotterdam", …?
J.-F. P. : Dans l’absolu, rien n’est exclu. Il faut savoir qu’on obtient souvent des copies festival auprès des vendeurs internationaux. Une confiance existe : la compétition a quand même une belle histoire derrière elle. Mais pratiquement, je crois qu'il serait difficile d’avoir les copies assez longtemps car elles tournent de festival en festival. C’est déjà une gymnastique avec une série de copies parce que notre manifestation a lieu à la même époque que le festival Karlovy Vari et est à cheval sur celui de Jérusalem. Donc, je pense que vraisemblablement, il y aurait un problème matériel. Ce n’est pas comme la Quinzaine des réalisateurs qui organise des reprises un peu partout : on n’a pas cette notoriété-là non plus (rires)!

C. : Comment se fait-il que certains films primés ne sortent pas en salle ?
J.-F. P. : 
L'expérience montre que les Cinédécouvertes sortent régulièrement, pas systématiquement. Quand je vois les deux films qui ont été primés l'an dernier, Day night day night et Sehnsucht, ils ont tous les deux trouvé un distributeur. L'année d'avant, Sangre est sorti. Par contre, Dumplings de Fruit Chan, qui à mon sens, avait un potentiel commercial supérieur, n'est pas sorti. C'est clair qu'il n'y a pas de garantie. On sélectionne des titres, c'est la preuve qu'on y croit. On espère évidemment qu’ils sortiront, mais à un moment, la vie des films nous échappe. 

Portrait de Jean-François Pluijgers, programmateurC. : On constate surtout que beaucoup de films de Cinédécouvertes étaient distribués par Progrès Films. Sa disparition aurait-elle influencé le sort des films que vous mettez en lumière ?
J.-F. P. : Progrès Films surveillait notre sélection de près et trouvait des films qui entraient dans leur créneau de distribution. Parmi les films que Progrès distribuait, il y avait beaucoup de films novateurs, audacieux et beaucoup de films asiatiques. Des distributeurs comme Imagine Films, Cinéart, Beeck Turtle ou CNC par exemple continuent à observer et à suivre ce que nous faisons. Depuis les années 70, le champ de la distribution s’est beaucoup élargi, sans pour autant pouvoir englober l'ensemble des films intéressants qui se font. Nous attirons l'attention sur certains de ceux-là. Pour l'Age d'Or, c'est un peu plus difficile. On tente d'y remédier timidement en prenant parfois nous-même la décision de sortir un film qui a reçu l'Age d'Or. C'est le cas cette année avec Hamaca Paraguay qui a eu l'Age d'Or l'an passé. Je trouve que c’est un film bourré de qualités mais, objectivement, difficile à sortir. Ce sera une sortie limitée, mais ce sera une présence sur les écrans, non seulement à Bruxelles, mais aussi dans le reste du pays. 


C. : Quel public fréquente la manifestation ? Est-il différent du public de l’année ?
J.-F. P. : Je pense qu’il y a vraiment un public d’habitués de Cinédécouvertes. Pendant longtemps, la presse avait présenté Cinédécouvertes comme le festival des festivals, celui où on pouvait faire la synthèse de tous les autres. Je crois qu’il y a vraiment une part de cinéphiles curieux qui se disent que c’est peut-être l’occasion unique de voir toute une série de films de qualité. Depuis que les séances ont également lieu à Flagey, il y a un public sensiblement différent qui vient à nos séances parce qu’elles sont présentées dans le cadre d’un événement plus large, le Festival de Bruxelles.

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