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Amours fous de Manu Bonmariage

Publié le 01/02/1998 par Nicolas Longeval / Catégorie: Critique

Le diable en liberté

Instigateur de la fameuse émission Strip-tease, Manu Bonmariage s'inscrit dans la veine du documentaire et du cinéma direct, dont on a souvent dit qu'elle est une tradition sur notre terre sociale.

Amours fous de Manu Bonmariage

Lorsque Amours fous fait revenir ce baroudeur sur les lieux de son enfance, c'est pour lui l'occasion d'exorciser la peur qu'il avoue avoir ressentie lorsque, gamin, il entendait les horribles cris venant du centre psychiatrique tout proche. Pourtant, s'il est bien question de malades mentaux, c'est surtout de l'Amour que traite l'un des documentaires les plus personnels du réalisateur... Qui mieux que les fous peut en parler avec autant d'émotion sincère et spontanée, sans tourner autour du pot  ?

Lhierneux, village en Famenne. Jean (67 ans) aime Ginette (59 ans)  : "Elle ne sait pas vivre sans moi, ça non alors, elle ne sait pas se passer de moi  !" Ginette aime Jean  : "Tu es un vieux cochon, un vicieux !" Plusieurs kilomètres séparent leurs familles d'accueil. Entre les deux, à travers les prés, de petites routes que, fredonnant avec insouciance, Jean parcourt en claudiquant, les mains dans le dos. Il a droit à trois visites par semaine. Comme les internes, ils iront alors à la cafétéria, carrefour où les pensionnaires se rencontrent et se retrouvent. Depuis quelques semaines, ils y préparent une soirée spectacle dédiée à la magie et aux chansonnettes sentimentales. Ici, autour d'un verre, tous parlent -parfois avec une naïveté comique, parfois avec détresse, toujours avec force d'un Amour que leur esprit décalé a laissé à sa vraie place  : au centre du monde. Cette obsession qu'ils avouent et affichent haut et fort entre leurs murs, n'est-ce pas notre véritable obsession à tous ? Objets de toutes les discussions, leurs histoires de coeur ressemblent tellement aux nôtres !

Alphaville : des coeurs lobotomisés

Pour laisser le temps de s'attacher à ces hommes et ces femmes, de se reconnaître en eux, Manu Bonmariage laisse longtemps l'Institution (hospitalière en l'occurrence) dans l'ombre, en toile de fond, comme quelque chose d'abstrait, d'invisible, de flou. Mais s'il réveille en nous un immense Amour, c'est pour mieux nous faire ressentir sa frustrante impossibilité : condamné par un ordre social rationnel et froid qui le voit comme une menace, ce diable d'Amour s'est vu bridé, atrophié en douce par des principes assimilés comme les calmants dont on gave les malades. Peu à peu, on ouvre les yeux, et le parc idyllique se transforme en cage aux barreaux dorés  : enfin, un médecin donne son (vrai) visage à une autorité institutionnelle qui sépare à leur insu ceux qui ne cherchent qu'à se rencontrer. "Deux aveugles ne sauraient pas s'aider à traverser la route !", et l'on interdit à Jean et Ginette et autres de se marier. Si cette séquence, avec son long travelling élaboré, rappelle l'habituelle virtuosité des cadrages de Manu Bonmariage, l'opposition n'en est que mieux rendue, avec la sobriété et l'effacement qui caractérisent de manière générale la mise en scène du film : la caméra, très prude, très attentive à ses personnages, échappe au moule des cyniques Strip-Tease...

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