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Ang Lee : Coffret

Publié le 08/03/2007 par Grégory Cavinato et Anne Feuillère / Catégorie: Sortie DVD

Un bel objet édité par Cinéart que ce coffret d'Ang Lee, le très fameux réalisateur taïwanais à qui l'on doit le ravissant Raison et Sentiment (1996), le glacial Ice Storm (1998), l'incroyable Tigre et Dragon (2000), le psyché… délique Hulk (2003), un cinéaste dans la grande lignée des maîtres d'Hollywood, de ceux qui s'essaient à tous les genres et nourrissent toutes les commandes de leurs obsessions.  Mais qu'on ne s'attende pas à trouver toutes ces petites perles de l'industrie hollywoodienne ici. Très bizarrement, ce coffret remet au goût du jour le dernier film de Lee, Brokeback Mountain (2005), déjà sorti en DVD, accompagné d'un disque entier de bonus.

Aigre-doux
Pas besoin de revenir sur cet excellent « western gay » (qui n’est d’ailleurs pas un western)  célébré par les Oscars (meilleur réalisateur) et déjà parodié à de multiples reprises depuis sa sortie (cependant loin d’être le meilleur film de son réalisateur, la palme revenant plutôt à son western Ride With the Devil - 2001), penchons-nous donc un moment sur les bonus présentés dans ce coffret. Malheureusement, c’est là que le bât blesse ! En effet, drôle de politique éditoriale que de proposer un disque entier pour des bonus dont la durée n’excède pas les 45 minutes ! Un seul disque aurait largement suffi. De plus, les bonus présentés ici se révèlent symptomatiques du mal dont souffrent un grand nombre de bonus accompagnant les films américains : l’autocongratulation abusive et la promotion bateau. En effet, quatre petites featurettes promo sont présentes pour accompagner la sortie du film.  Le problème, outre le fait que chaque module reprend les exactes mêmes scènes de tournage et les mêmes interviews, c’est que l’on n’apprend absolument rien d’intéressant si ce n’est que, comme aurait dit Jean Yanne, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil...
Commençons par On Being a Cowboy, 5 trop courtes minutes pour nous raconter l’apprentissage des trois acteurs principaux (Heath Ledger, Jake Gyllenhaal et Anne Hathaway) pour monter à cheval. Marrant de constater l’inutilité de ce module quand Heath Ledger nous déclare fièrement monter parfaitement à cheval depuis ses 3 ans ! Ensuite, vient Ang Lee, un Réalisateur de Cœur, documentaire de sept minutes où tous les participants du film nous offrent un concert de louanges manquant réellement d’humour. En gros, Ang Lee est le plus beau, le plus gentil et le plus talentueux. Peut-être est-ce vrai mais était-ce vraiment trop demander que d’avoir plus d’informations sur sa carrière, ses choix de metteur en scène, ses méthodes de travail ? Du Script à l’Ecran : Une Interview de Larry McMurtry et Diana Ossana revient, comme son titre l’indique, sur l’adaptation du roman d’Annie Proux écrite par ce grand (très grand) écrivain qu’est Larry McMurtry et sa collègue Diana Ossana. Malheureusement, encore une fois, tout ça est vite expédié en 10 petites minutes dans lesquelles les différents intervenants du film repartent pour une nouvelle fournée de dithyrambes. Larry McMurtry a l’air de s’ennuyer comme rarement auparavant. Enfin, un module de 20 minutes réalisé pour l’émission télévisée Logo Movie Special revient sur le tournage. Les images datant d’avant la sortie du film nous en apprennent finalement peu, mais l’on s’amuse à observer les acteurs lors du tournage. Rien de farouchement inoubliable donc pour ceux qui ont déjà vu et revu le film... Un deuxième disque qui ne s’imposait donc pas ! Reste évidemment la joie de revoir ce très bon film superbement écrit et interprété, tour à tour brutal, drôle et émouvant... 
À ces deux disques s'ajoutent, comme des scories, les premiers films de Lee : Pushing Hands (1992), The Wedding Banquet (en français plus connu sous le titre de Garçon d'honneur – 1993) et le savoureux Eat Drink Man Woman (Salé sucré, 1994), qui forment à eux trois une trilogie intitulée Father Knows Best. Un vrai délice, donc, que de pouvoir découvrir – ou redécouvrir pour la plupart – ces premiers films, tous teintés de cet humour bien "angléen", une forme d'ironie tranquille, de doux désespoir et d'humour laconiquement pince sans rire. Dans Pushing Hands, un père chinois vient retrouver son fils aux Etats-Unis et se heurte à une culture ; dans Garçon d'honneur, un jeune homme homosexuel s'invente une fiancée pour échapper à la pression familiale, et dans Salé sucré, trois jeunes femmes tentent de s'émanciper d'un père qui cherche lui-même à s'émanciper de ses filles. Et on redécouvre, mis à nu dans la comédie, ce qui revient dans toute la filmographie d'Ang Lee, l'obsession majeure de ce cinéaste parti à 24 ans faire ses études aux Etats-Unis, la quête de liberté et d'émancipation d'individus avec ce qui les définit malgré eux, leurs luttes avec des codes et des lois hérités d'une famille, d'une histoire ou d'une culture.
Alors, si l'on se réjouit, on s'étonne que ces films ne soient accompagnés d'aucun bonus. Non, pas le moindre petit entretien, pas de commentaires audio, pas un seul critique français (exégète) pour se lancer dans une analyse pointilleuse d'on ne sait quel plan (si, on sait : le raccord entre la fille du cuisinier en train de faire l'amour et le cuisinier en train de souffler dans un canard vide et dépecé qu'il va fourrer de divers aliments avant de l'embrocher dans Salé sucré  – on vous le dit, c'est drôle, et souvent délicatement irrévérencieux Ang Lee). Jusqu'à l'absence de sous-titrages des génériques des films qui sont en mandarins. Pas de monographie donc, dans ce coffret qui se contente d'un très bref mais pertinent résumé en "quatrième de couverture". Pas même de filmographie pour remettre en perspective tous ces films dans une carrière qui est loin d'être terminée. On en déduit donc qu'on a juste là les trois premiers films et le tout dernier, comme un cheval sur la soupe.  
S'agirait-il d'une question de droits de distribution en Belgique ? Devons-nous nous attendre à un autre coffret avec les meilleurs films du réalisateur à venir ? Reste ce sentiment un peu frustrant, qu'en accompagnant ce dernier film, c'est la trilogie qui fait office de gros bonus dans ce coffret. Mais après tout, pourquoi pas ?