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Anne Closset à propos de Au-delà

Publié le 01/04/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Le second métrage documentaire d’Anne Closset est sorti en salles le 27 avril 2005 à l’Actor’s studio. Un pari de plus en plus fréquent qu’adoptent les documentaristes depuis que la diffusion en télé pose des problèmes insurmontables pour peu que le réalisateur fasse preuve d’une certaine singularité incompatible avec les exigences supposées du « prime time. »

Au-delà est un film sur la transmission ou plus exactement sur ses effets. Emin, jeune turc de vingt trois ans, part à la recherche de Jacob (aidé en cela par la réalisatrice), un père spirituel disparu, qui lui a permis de changer de vie. Le film, telle une enquête dans un film policier nous amène séquences après séquences à découvrir la personnalité de Jacob et la trajectoire d’Emin.

 

Entretien avec Anne Closset

Cinergie : Au-delà est ton second film documentaire de long métrage. C’est un film sur la transmission avec cette particularité que Jacob, le passeur est absent, hors champ. C’est la quête d’Emin que tu as reprise à ton compte ?
Anne Closset
 : La vie m’a apportée quelque chose d’inattendu : un coup de sonnette m’a permis de retrouver Emin. Il voulait savoir où était enterré Jacob. M’ayant rencontré lorsqu’il avait 12 ans avec Jacob. Ce qui m’a touché dans cette rencontre c’est comment il était habité par Jacques et comment il lui était nécessaire de le retrouver. Plus encore, Emin disait des choses qui lui avait été transmise par Jacob mais avant celui-ci par mon père qui a été, en quelque sorte le deuxième père de Jacques. Il disait des choses qui n’avaient rien à voir avec ce que peut exprimer un jeune turc venant du quartier Nord et cela m’a doublement touché. A la base, il y a une promesse non tenue. Emin ayant promis à Jacques que lorsqu’il serait mort il irait graver l’étoile de David sur sa tombe et ne l’ayant pas fait, il commençait à faire des cauchemars. C’est la raison pour laquelle il est venu chez moi.

 

C. : À un moment donné tu t’impliques dans le parcours à la recherche de Jacob. Ce qui ne transparaît pas vraiment dans le film.
A.C. : C’est une volonté de garder une certaine distance, d’avoir de la pudeur. Lorsque je suis entrée dans le processus du film j’avais d’abord envie d’être à l’écoute du film. J’aurais pu être plus présente que je ne le suis mais je préférais l’être dans une certaine absence qu’il m’intéressait de garder parce que Jacob, étant mort, est absent. Au niveau dramaturgique c’était important.

 

C. : La quête d’Emin, c’est une quête d’identité à travers le père de substitution qu’a été Jacob ?
A.C. : Je n’ai pas voulu faire un film sur l’immigration. Le film est, en effet, une quête identitaire qui exprime la relation de l’individu avec son environnement et la pression qu’exerce celle-ci. Etre jeune aujourd’hui est plus difficile qu’avant parce qu’on est coincé par des valeurs économiques qui ne sont pas toujours les valeurs humaines. La relation entre Emin et Jacob m’a fascinée au départ. Qu’ont-ils à voir l’un avec l’autre. Tous deux sont dans la marginalité mais tout les oppose. Notamment le fait que pour l’un la liberté est plus importante que l’argent et que pour l’autre l’argent représente le pouvoir social. Qu’est-ce qui les a unis au-delà de leur différence. En questionnant cela je me suis rendu compte que j’interrogeais le monde dans lequel je vis moi-même. J’ai vécu un processus avec Emin. Pour moi, faire un film c’est ce qui m’intéresse dans le documentaire, entrer dans une expérience de vie, l’ouvrir et la communiquer.

 

C. : C’est un film qui donne l’impression d’avoir été construit comme une chronique, jour après jour. On a l’impression que tu désires capter les moments forts d’un vécu au-delà de la trame narrative.
A.C. : Dans le dispositif de tournage que j’ai mis en place, ce que j’ai chercher c’est avoir une relation d’intimité avec Emin. C’est la raison pour laquelle je suis à la caméra avec un preneur de son, avec une équipe minimum. Je n’ai jamais voulu travailler un plan pour construire un plan. J’ai voulu travailler dans l’instant, dans la spontanéité d’un moment. Rien n’est mis en scène car la vie se met naturellement en scène. Il s’est agit de saisir comment celle-ci s’exprime dans de petites choses, des petits événements. Au montage on avait envie de suivre l’histoire au fil des rushes, parce que la plupart des séquences dégageaient beaucoup d’intensité. On était sans cesse ému par ce qui se passait entre nous trois. Ce qui paradoxalement rendu la construction du film plus difficile. J’ai du aller en sens inverse pour retrouver le processus de la rencontre.

 

Au début du tournage, Emin n’avait envie que de parler de Jacob alors que je voulais l’amener à parler de lui. J’ai fait le film pour aller à la rencontre d’Emin et lui pour aller à la recherche de Jacob. C’est ce chassé-croisé qui est la trame du film. Qui est jacob? Je préfère que cela reste dans l’imaginaire, que le film reste ouvert.

 

C. : Il y avait-il une raison pour qu’il soit si souvent hord cadre au début, comme s’il hésitait à se livrer ?
A.C. : Ce n’est pas voulu d’une manière rationnelle, cela fait partie du dispositif que j’ai mis en place avec lui petit à petit. La première fois que je suis allée au cimetière avec ma caméra, je n’arrivais pas à le cadrer. Il sortait tout le temps du champ. C’était compliqué dans la mesure où je désirais être proche de lui, mais dans la vie il était comme cela. J’ai donc essayé de mettre, au niveau du cadre un dispositif juste. Il y a d’ailleurs une progression. Au début il est dans une posture marginale, il se défile alors qu’a la fin il est plus centré. Pour moi, c’est le dispositif qui crée la forme.

 

C : Après ton expérience de documentariste désires-tu continuer ou passer à la fiction ?
A.C. : Ce qui m’intéresse est d’explorer la limite entre la fiction et le documentaire. Les deux genres m’intéressent. Je trouve que les frontières entre documentaire et fiction sont fragiles. La réalité est pleine de projection, d’imaginaire et la fiction essaie de se baser sur la réalité pour la retraduire. Ce que je cherche, en ce moment est de partir de la richesse de la réalité pour la traduire dans une dramaturgie qui soit proche de la fiction. Si un film peut être une expérience de vie pour un spectateur, c’est merveilleux.

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