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Anton Corbijn, inside out

Publié le 15/05/2012 par Dimitra Bouras / Catégorie: Critique

Certains films se font après une commande, d'autres par intérêt pour le sujet, d'autres encore par hasard, au détour d'une rencontre. Lorsqu'on s'attaque à une personnalité du monde artistique, c'est souvent la création ou l'acte créatif qui motive le réalisateur. Ce n'est pas le cas pour Klaartje Quirijns qui a, quant à elle, suivi une démarche labyrinthique pour conclure son film sur l'artiste Anton Corbijn. 


Anton CorbijnJuriste de formation, Klaartje Quirijns a réalisé plusieurs documentaires d'investigation à teneur politique dont Brooklyn Connection, sur les pas de Florin Krasniqi, Kosovar immigré aux Etats-Unis qui organisa de bout en bout un trafic d'armes pour soutenir la rébellion du Kosovo. Elle accompagna également, durant trois ans, Reed Brody, connu sous le nom de "chasseur de dictateurs" dans sa traque d'Augusto Pinochet et Souleymane Guengueng, ancien fonctionnaire tchadien enfermé et torturé pendant deux ans dans les prisons du dictateur Hissène Habré. Brody et Guengueng mènent une campagne démesurée contre l'ancien dictateur réfugié au Sénégal pour lui intenter un procès. The Dictator Hunter montre ce que des personnes engagées sont capables d'accomplir pour briser le cadenas de l'impunité.

Avec le film Anton Corbijn, inside out, c'est en dehors de ces sentiers que l'on retrouve la réalisatrice. Pourquoi un film sur Corbijn ? À part leurs origines nationales communes, tous deux Hollandais, où peut bien se situer le lien entre ces deux êtres ? Anton Corbijn, musicien, photographe des stars, témoin du spectacle et lui-même participant à la médiatisation du show par ses images mondialement connues, n'a rien de la figure politiquement engagée. Il est l'auteur des « icônes » des plus « grands » de ce milieu (le visage de Miles Davis emprisonné dans ses doigts, David Bowie dans une posture christique, Iggy Pop en gargouille de cathédrale), des couvertures des albums de Depeche Mode, de Bruce Springsteen (pour ne citer qu'eux). Ses photos ont fait plusieurs fois la couverture du magazine musical britannique The Word, et ont suscité, à diverses reprises, l'intérêt des télévisions et des grandes expositions. Ce sont peut-être justement ces différences fondamentales qui existent entre la réalisatrice et son sujet qui ont abouti au décalage propice à la féerie dans laquelle baigne le film. Klaartje Quirijns, incrédule devant le phénomène médiatique qu'elle rencontre et avec qui elle se lie d'amitié, cherche à percer l'homme derrière l'artiste. De quelle étoffe doit être fait un être humain pour posséder un tel regard ? Et, de quel angle un regard doit-il être ouvert pour réaliser des photographies de cette ampleur et profondeur ? Les clichés d'Anton Corbijn sont diamétralement opposés aux tirages du studio Harcourt. Loin de vouloir gommer les imperfections et de tamiser les caractères, il souligne la personnalité de ses sujets par leur mise en scène.

Anton CorbijnLe film nous laisse percevoir les méandres de cet inconscient créateur grâce à la connivence de la petite équipe de Klaartje Quirijns. Elle a eu la patience nécessaire pour apprivoiser le poète, et pouvoir être présente aux instants magiques du déclenchement de l'appareil. Rien n'est plus tangible que de voir le photographe chercher son angle d'attaque, mettre en place les corps et les visages tel le marionnettiste tirant sur ses ficelles. Emportée par l'aura de son sujet, la réalisatrice s'est permis des prises de vues d'un esthétisme inhabituel dont le cadre et l'image lui rendent hommage. Cela nous étonne moins de savoir qu'après la réalisation de ce film documentaire, elle se lance dans la concrétisation de son premier film de fiction. Un beau film touchant dans sa portée et complexe dans la compréhension de l'état créateur.

 

 

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