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Arenberg cinémas nomades - Thierry Abel et Caroline Genart

Publié le 15/06/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Rappelons-nous… Le 31 décembre 2011, le cinéma Arenberg fermait ses portes. Malgré une pétition soutenue par les cinéphiles bruxellois pour sauver une des quelques rares salles d'Art et Essai de la capitale, la décision fut brutale.Cinédit, l'association qui gérait l'endroit, devait quitter les lieux et fermer cette salle vieille de 30 ans. La pilule fût plus facilement acceptée du public puisque la salle n'allait pas réellement fermer, elle changeait de propriétaire et serait encore plus cinéphile et performante. De cette mort annoncée, il y eut deux résurgences ; le cinéma Galeries et l'Arenberg Cinéma Nomade. Après deux années de fonctionnement dans sa nouvelle structure errante, nous sommes allés rendre visite à Thierry Abel, toujours aux commandes de l'association Cinédit, accompagné de Caroline Genart, permanente sur le terrain. Avec eux, nous retraçons l'histoire. Que s'est-il passé après la fermeture des salles, qu'en est-il advenu de l'asbl, qu'est-ce que le Smala ? Toutes ces questions que nous voulions élucider.

Thierry Abel : Le cinéma Arenberg a toujours défendu les mêmes positions qu'un centre culturel. Nous n'étions pas une salle commerciale. Notre projet était de développer une vraie politique éditoriale de défense et d'illustration du cinéma. L'asbl Cinéditfournissait un travail d'éducation à l'image considérable, même s'il était moins visible. C'était une manière de s'insérer dans le tissu social, de travailler à cette idée d'émancipation et de transmission.

C'est pourquoi nous pensions que le cinéma d'art et d'essai devait devenir non-marchand. Nous avons dû, dans les années 80, 90 et jusqu'à aujourd'hui, nous inventer un quotidien dans le monde tel qu'il était et non pas tel que nous l'avions rêvé quand nous avions vingt ans. Ce qu'on appelle globalement et d'une façon assez large « le cinéma d'auteur » en Europe, est développé avec des fonds publics, y compris quand ce sont des télévisions qui participent à son financement. Tandis qu'on arrive à une relation purement de marché au moment où les films sont proposés aux spectateurs. C'est ce maillon-là qui, à notre avis, ne convient pas. Tant qu'on restera dans une vision mercantile, la création, la diversité des regards, l'inventivité, la réflexion sur les formes et y compris le regard sur ce monde n'auront pas de place, car ce processus avance vers une standardisation.

Thierry Abel, programmataturC. : Fin 2011, vous êtes délogés, vous cherchez un endroit où vous pouvez atterrir. Par contre, vous continuez vos activités. Il vous a fallu un peu de temps j'imagine, pour pouvoir vous retourner et continuer ces activités ?

T. A. : Oui, c'est-à-dire que nous avons réussi à négocier une prolongation de nos activités dans des conditions un peu difficiles. On a renégocié notre convention sous des formes différentes avec un volet programmation mais qui s'est fait d'une manière complexe puisque ça implique de tisser des collaborations avec des lieux culturels divers. On s'est recentré sur nos activités de formation. On développe un programme, qui existait déjà du temps de l'Arenberg, qui s'appelle « On se fait notre cinéma », et qui se fait pendant toute l'année dans douze écoles. On développe un projet qui s'appelle « Le cinéma dans tout ses états » en coproduction avec l'INSAS. Notre démarche tend à décortiquer les enjeux politiques du langage.

C. : Le volet diffusion du cinéma est devenu nomade actuellement. Pensez-vous vous établir dans une salle ?

T. A. : Pas dans l'immédiat. Nous avons développé un travail avec un public plus jeune. On a développé un groupe qui s'appelle « Le Smala » et qu'on a décliné en trois volets différents. Il y a le Smala Cinéma Club, nous louons la salle du Projection Room, une ancienne salle à la Bascule. La programmation est établie par une équipe de jeunes, qui ont entre 18 et 30 ans. On a décliné ça dans une revue, le Smala Cinéma Revue à destination de ce même public. C'est une déclinaison, mais on ne doit pas nécessairement participer à la programmation pour avoir envie d'écrire. C'est une approche assez hétérogène que l'on revendique, où on retrouve côte à côte des plumes averties de cinéastes, de critiques, d'historiens et de théoriciens du cinéma. Nous sommes en train de transformer les réunions de rédaction en quasi atelier d'écriture. Il s'agit de donner envie à ces jeunes gens qui souhaiteraient écrire sur le cinéma, d'oser le faire et de leur apprendre cette approche qui s'inscrit dans la vision de Thierry Odeyn et d'autres, développée à l'INSAS, qui est une éducation du regard. Le troisième volet, Smala Cinéma Radio est une émission mensuelle sur la radio libre Radio Panik dont on est en train de redéfinir le concept avec toute une petite équipe qui arrive de l'INSAS.

C. : Ce sont des axes très différents, donc j'imagine qu'il y a une équipe derrière.

T. A. : On est une équipe de quatre personnes avec des responsabilités un peu éclatées. Les choses se passent quasi à l'unanimité, tous les sujets se discutent et on essaie de se retrouver sur des questions telles que « Que devient le cinéma qui nous intéresse ? »

Cela peut être aussi l'occasion de faire un bilan, après deux ans d'absence de l'Arenberg, des séries de choses qu'on nous avait promises et qui ne sont pas là. Et si mes informations sont bonnes, ceux qui ont pris nos places font la moitié en termes de spectateurs, comparé à ce que nous faisions. C'est bien la preuve qu'il y a un problème, quand bien même d'aucuns se plaindraient qu'ils n'ont pas le même soutien public que nous avions. C'est une preuve par l'absurde que l'équipe de l'Arenberg in situ était encore trop légère. La gestion de la communication, le développement de l'identité de l'association,... toutes ces choses demandent une équipe forte et extrêmement qualifiée. Si tu licencies une personne, tu te retrouves peut-être en équilibre financier, mais tu fais chuter le nombre de spectateurs. C'est pour cela que je refuse les critères de rentabilité économique. Tous les films ne se valent pas en termes de fréquentation. Il faut des résultats, mais on ne peut pas les compter en termes de rentabilité.Thierry Abel, programmateur

C. : Ce sont principalement des documentaires qui vous avez programmés au Ciné BRASS. Est-ce ce genre de cinéma que vous voulez défendre ?

T. A. : On défend un cinéma qui à la fois se pose des questions sur lui-même et un cinéma qui contribue à l'image, au monde. La programmation dite Smala Ciné-Club a plutôt proposé de la fiction, l'underground belge des années 60-70. À bien des égards le documentaire pose peut-être plus de questions à la fois formelles et de contenu. Il est clair que nous n'avons pas accès au cinéma d'auteur distribué et qui a déjà plus ou moins pignon sur rue. Ça correspond finalement à la vision radicale de l'Arenberg. Cette radicalité qui nous est en partie imposée par la réalité du marché, et en partie choisie, correspond à notre vision des choses.

Caroline Genart: Les moyens de production, de distribution et les moyens d'accéder aux salles sont bouleversés pour le moment. Toute la chaîne du cinéma est en train de se redéfinir. On assiste à un travail sous-terrain, totalement en marge des ciné-clubs qui « squattent ».

T. A. : On en parle d'ailleurs dans notre belle revue, Smala Cinéma n°2. Tout ce développement dans les marges se passe également ailleurs en Europe. La fermeture de l'Arenberg a donné un coup d'accélération. Le Nova, qui est pour moi la seule pure et vaillante salle d'art et essai qui subsiste à Bruxelles, est un modèle militant qui repose sur la gratuité principalement. Et ça, c'est vraiment un projet collectif. Nous, nous avions pris un autre chemin, celui d'en faire un métier et vingt personnes en vivaient. La fermeture des deux écrans de l'Arenberg a créé un vide terrible que de jeunes cinéastes cherchent à combler de toutes les manières et dont tout un certain public tente de combler l'absence. Il y a un renouveau du « ciné-club » et de ce type de projections, souvent gratuites. Ce qui pose d'ailleurs une autre question, sur le coût financier de l'accession à la culture et au cinéma.

C. : Est-ce que tu pourrais nous parler de ce qu'il y a dans ce magazine? Comment une publication écrite est-elle viable ? Cinergie a dû passer à la version numérique par manque de moyens, mais nous rêvons de pouvoir un jour revenir au papier.

C. G. : On voulait faire le premier numéro sur papier. L'idée d'avoir un bel objet qu'on peut se passer et feuilleter nous plaisait. Tous les exemplaires ont été épuisés et les gens étaient contents.

T. A.: La réflexion sur une revue numérique se pose. Ce sont des questions de moyens. Ce sont des discussions qui nous traversent, qui ne sont pas totalement résolues. C'est vrai qu'on a voulu donner une forme particulière, que ce soit quelque chose qui donne du plaisir à avoir dans les mains. 

Thierry Abel et Caroline GenartC. : Vous aviez imprimé combien d'exemplaires du premier numéro ?

T. A. : 200. Ça semble peu, mais liquidés si vite et vendus à 80%, ce n'était pas prévu. Maintenant, est-ce qu'on arrivera à tenir la distance, c'est un autre problème.

C. : Et le deuxième numéro, vous l'avez tiré à combien d'exemplaire ?

T. A. : On a doublé le chiffre, mais il est encore trop tôt pour faire le bilan.

C. : Vous avez des contributions d'étudiants, de critiques, de réalisateurs. Ce sont des réflexions sur le cinéma.

C. G. : C'est ça, c'est aussi un lieu de rencontre. C'est mettre en relation des professeurs avec des jeunes cinéastes et des jeunes qui sont à l'école afin de s'expérimenter. C'est une espèce d'école du regard.

C. : C'est ouvert à tout le monde ?

C. G. : Oui. On a placé des appels à différents endroits stratégiques. Qui veut peut venir nous rejoindre et discuter. L'atelier d'écriture se tient tous les mardis soir entre 18h et 20h au Paon Royal.

T. A. : C'est un bistrot près de la Place St. Catherine parce qu'on a un ami qui pense que ce n'est pas possible d'engendrer des idées nouvelles si on n'est pas dans un bistrot. On va voir s'il a raison.

C. : En quoi consistent ces ateliers d'écriture ?

T. A. : Ils seront ce que les gens vont en faire.

C. G. : C'est un processus, donc à chaque fois, on essaie de trouver la manière de faire. C'est aussi réfléchir à comment faire la revue, comment mettre en page, etc. Ce sont des questions que l'on se pose tout au long du texte. Avec les gens qui participent à l'atelier, on fait aussi des critiques de films en allant au-delà, en essayant de faire quelque chose de collectif. On se rend compte que parler du cinéma, c'est quelque chose qu'on fait peu.

C. : En quoi consiste votre travail de formation qui se fait dans les écoles ?

C. G. : Il y a deux choses différentes: il y a un atelier adressé à des classes de l'école fondamentale, Thierry Abel et Caroline Genart(enfants entre 6 et 12 ans) qui se tient tout au long de l'année avec un animateur. L'année commence avec une séance en salle de cinéma où les enfants regardent généralement un film en noir et blanc accompagné au piano. Ça se fait au Nova, ils visitent ensuite la salle. C'est une expérience que les enfants adorent. Tout le monde éclate de rire devant Buster Keaton. Ensuite, ils font un film collectif. Pendant l'année, il y a un atelier où ils apprennent les bases du langage cinématographique. Après, chaque classe fait son propre film. À la fin, les films sont projetés dans un cinéma où tout le monde est présent.

T. A. : Ce sont d'ailleurs des moments extrêmement émouvants. C'est une espèce d'avant-première où les enfants sont réunis avec leurs parents. Ce projet ne repose pas que sur nos épaules, il y a aussi des animateurs.

C. G. : Le deuxième atelier s'adresse, quant à lui, à des classes du secondaire supérieure. L'idée, c'est d'amener le cinéma à l'école et ça commence par une séance en salle dans les centres culturels. On choisit un film qu'ils n'ont pas l'habitude de voir, on essaie de les surprendre. On parle du film après. Le but est de transmettre un plaisir du cinéma parce qu'on a parfois tendance à ne considérer le cinéma que comme un document thématique pour parler d'un sujet. Nous, on veut démontrer que c'est aussi un art, et que l'art n'est pas inintéressant à amener en classe afin de faire réfléchir. On essaie d'inviter les professeurs pour qu'eux aussi utilisent le cinéma dans leurs différents cours. On voudrait arriver à la création de ciné-clubs dans les écoles. Beaucoup de choses sont faites en France, par exemple, pour la culture du cinéma dans les écoles et on se rend compte qu'en Belgique il y a un déficit que nous aimerions contribuer à combler. 

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