Cinergie.be

Formidable de Dominique Standaert

Publié le 07/05/2007 par Anne Feuillère et Marceau Verhaeghe / Catégorie: Tournage

Vendredi 13. On est superstitieux, on frisonne malgré un beau soleil déjà chaud. Nous nous rendons à Schaerbeek, derrière la Cage aux Ours, où se tourne une scène du nouveau long métrage de Dominique Standaert, Formidable. Déjà, on tremble : ne nous serions-nous pas perdus ? Mais non ! Devant une école, au fin fond d'une rue, l'attroupement coutumier : va et vient, grues, voitures, et autres machineries… Nous y sommes ! Généralement, sur un tournage, des visages inquisiteurs obligent le moindre inconnu à justifier sa présence, mais ici, à peine quelques regards interrogatifs. L'ambiance est tranquille, l’humeur badine. Et même si nous arrivons en pleine action, on nous demande juste de nous tenir silencieux un peu plus loin, dans la cour. C'est que l'entrée de l'école amplifie les voix et tout résonne jusque dans la rue. Là, sur le passage piéton, dans son gilet fluo, Philippe Grand'Henry, debout comme un navigateur à la poupe de son navire, fait traverser quelques enfants devant une file de voitures patiente. Et ça tourne. Un petit garçon traverse. Philippe Grand'Henry, jambes écartées et bras en croix, le protège de sa présence tutélaire et sans doute, tout à fait inutile. Un "Coupez!" claque, et la voix de stentor de Dominique Standaert ajoute : "J'ai le regret de vous annoncer que c'était la dernière scène de Philippe Grand'Henry." Un tonnerre d'applaudissements s'ensuit sous le soleil, tandis que l'intéressé salue, mi-figue mi-clown et s'éclipse pour se changer.Portrait de Serge Larivière, acteur dans Formidable de Dominique Standaert
Et voilà le tour de Serge Larivière, lui aussi, en tenue de navigateur de sortie d'école, prêt à se hisser sur le passage piéton. Avec Stéphane De Groodt, ils forment le couple tout à fait improbable de Formidable, deux hommes que tout, a priori, sépare. "Ils ne sont pas faits pour s’entendre, c’est sûr", commente Dominique Standaert, "même s’ils ont peut-être beaucoup plus de choses en commun qu’on peut le penser". D'un côté, il y a Mathieu, - Serge Larivière donc - "un chômeur, ancien travailleur de la Sabena" qui, avec ses petits panneaux ronds et autres moulinets des bras, fait traverser des enfants qu'il dirige comme des avions supersoniques (et à les entendre jouer en attendant dans la cour de l'école, on se dit qu'en effet, on n'en est pas loin).
De l'autre côté, il y a "un vendeur de gyrophare" interprété par Stéphane De Groodt. "Marc a une belle bagnole, une fille charmante, pas mal de choses dans la vie. Mais très vite, on découvre qu'il n’a plus rien". Sa femme le quitte, il est au bord de la faillite et surtout, il est "bien moins armé que son compère pour affronter cette situation. Mathieu, lui qui n’a rien sinon son enthousiasme, est positif tout le temps.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne souffre pas de sa situation. Mais s'il est beaucoup plus riche humainement que Marc, c’est qu’il a un rêve : être marshaller, faire atterrir les avions.On va le mettre dans une situation où il va réaliser son rêve. Si Marc a tout, il n’a pas de rêve. Quand ce qu’il possède de matériel disparaît, il s’aperçoit que sa vie est une coquille vide."
Comme son premier film, Hop !, Formidable n'est pas sans vision politique et porte lui aussi "un éclairage sur la société d’aujourd'hui", mais tandis que le premier partait d'une situation tragique, le second naît d'une envie "de réinventer les codes de la comédie". À l'école où le premier fait traverser les enfants, où le second va chercher sa fille, les deux hommes se rencontrent et se retrouvent liés l'un à l'autre par une suite d'événements improbables : "la probabilité de se retrouver avec un inconnu chez soi pendant trois jours et partager sa vie est proche de zéro, la probabilité de croiser un vendeur de gyrophares est totalement nulle, la probabilité que ce vendeur de gyrophares parte en Ardenne sur une Vespa est encore plus nulle. Dans ce film, on s’amuse à faire beaucoup de choses."
Avec des acteurs aussi populaires que Serge Larivière et Stéphane De Groodt, on joue avec les clichés. Entre deux prises, assis sur un banc de l'école, Serge Larivière nous le confirme : " Nous formons un couple très… belge, et nous nous amusons beaucoup. Même si nous apparaissons l'un et l'autre au générique de certains films, notamment Hop !, je n'avais jamais vraiment tourné avec Stéphane. Je suis très content de travailler avec lui et avec Dominique, c'est également un plaisir. C'est un vieux routier du cinéma, il a travaillé des années avec des gens comme Delvaux ou Benoît Lamy. Il a de la bouteille, il suffit de se laisser diriger. D'autant qu'il a une idée très précise de ce qu'il veut. Il a écrit le scénario en pensant à nous. C'est magnifique !" Serge Larivière en chômeur de la Sabena, on n'a pas trop de mal à imaginer, pour cet habitué de rôles doux-amers, de paumés au cœur tendre.
Et Stéphane de Groodt en vendeur de gyrophares en faillite ? "C’est absurde et très cinématographique. Il faut le voir pour s'en rendre compte, avec son gyrophare sur la Vespa. Un gyrophare, ça s’allume, ça fait du bruit … Et puis, vous savez, on est tous amenés dans la vie à faire certaines choses complètement idiotes. C’est juste le propre de la comédie de pousser les choses à l’extrême. " De toute évidence, Dominique Standaert s'amuse, et ses yeux pétillent avec malice quand il ajoute : " Dans le cinéma belge, on est familiarisé avec le cliché du chômeur, cela m’amusait aussi d'en jouer. Avec d’autres choses aussi, comme l’affaire de la Sabena et tout le mythe qu’il y a derrière. On est tout de suite dans un film éminemment belge. Mais, plutôt que de le traiter au premier degré comme on pourrait le faire dans le réalisme social, embarquons ces personnages dans quelque chose d’un peu plus drôle. Voilà !"Tournage de Formidable de Dominique Standaert
Et pour commencer, voilà nos deux "compères", comme il les appelle, embarqués dans un road movie qui tourne court. S'ils partent vendre des gyrophares dans les Ardennes à un bal de la police, à la différence de la traversée des Andes de Diario de Motocicleta de Walter Salles, qui lui a inspiré cette idée, Dominique Standaert fait "arrêter les siens à la première station d’essence. Comme dans Diario, ils partent à moto, mais le plan d’après, ils la poussent et traversent les Ardennes à pied." Si Formidable joue avec les genres, multiplie les situations comiques et travaille aussi autour de ce duo d'acteur, le comique s'y construit aussi sur des "non dits, des choses non explicites dans le film, notamment dans la relation entre les deux personnages, qui est assez complexe. Par exemple, à un moment, nos deux compères sont en train d’observer une très jolie femme qui tourne sans s'arrêter sa paille dans son cocktail. Et l’un des deux dit à l’autre :"Sais-tu pourquoi les femmes tournent toujours leur cuillère dans leur verre ? C’est leur façon à elles de dire qu’elles se noient et d’appeler au secours". Et moi, pendant tout le reste du film, j’ai deux mecs qui tournent leur cuillère dans leur verre." Dominique Standaert nous parle en buvant son café. Il arrête tout à coup de tourner sa cuillère et nous assure qu'il va bien !
Il fait un ciel bleu éclatant. Serge Larivière et sa femme à l'écran, Sabrina Leurquin, tous deux encapuchonnés et couverts de leurs gros gilets rayés, doivent passer sous une pluie hivernale devant une voiture à travers laquelle une petite fille les regarde. Une fois, deux fois, trois fois... Le couple passe, repasse. L'homme-pluie arrose les murs, la voiture, le sol : "Mouille la porte", lui crie t-on entre deux prises, tandis que Serge Larivière, placide, chantonne et réinvente la chanson d'Aznavour, transformant "La Bohème" en un "La Belgique", inspiré sans doute par cette pluie artificielle. Et c'est reparti, la caméra tente de capter un regard. Derrière l'œilleton de la caméra Sony HD, Rémon Fromont guette l'enfant, tandis que plus loin, au combo, Dominique Standaert dirige : "Dans le vague !", "Ton regard se perd à travers la vitre !" et il recommence "Attention ! Énergie et… Action". Et puis tout à coup, il est ravi, et un "Excellent!" enthousiaste fait vibrer les vitres de la voiture.
tournage de Formidable de Dominique StandaertLa scène est importante, "extrêmement technique, sans jeu à proprement parler, mais où le tout est d’arriver à synchroniser une ouverture de fenêtre avec un reflet dans une vitre". Et aujourd'hui, il faut faire avec ce beau temps quand la scène devrait être hivernale. C'est qu'il tourne "sans filet", en sept semaines, avec un petit budget d'1,2 million d'euros. Tout comme Hop !, le film est tourné en Haute Définition, "un support que je connais et que j'aime bien" nous précise le réalisateur : "Je n’attends pas d’avoir une image qui aura le même rendu qu’une image 35 mm, mais j’essaye de développer une esthétique propre à ce type de support".
Mais cette fois, cet amoureux du noir et blanc tourne en couleur et en scope : " D’une part, le noir et blanc – que j’apprécie toujours autant - a forcément un côté esthétisant qui met, d’une certaine manière, un label sur les films. D’autre part, faire une comédie de ce type en noir et blanc me semblait hors propos. Enfin, j’avais très envie de me frotter à la couleur." Ah ? Au souvenir des contrastes vibrants et des jeux de lumière de son film précédent, notre curiosité est à vif : "Un objectif de 600mm en digital correspond à un 1800 mm en 35.
C’est quasiment astronomique. On cadre presque une abeille à 100m ! Il y a des moments où j’emploie ces très très longues focales pour des plans de situation et on passe en courtes focales quand on se rapproche des personnages. Dans l'idéal, j’aimerais systématiser ce système de choc.C’est très gai à faire et, surtout, cela va donner, j'espère, une perspective sur la ville que, personnellement, je n’ai pas vue souvent. J’ai filmé des trams sur l’Avenue Rogier, et on se croirait à San Francisco tant les pentes semblent énormes. Voilà, je vous donne rendez-vous en salle pour voir à quoi ressemble Schaerbeek filmé en très très longues focales."

 

Tout à propos de: