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Philippe Baudhuin : mixeur

Publié le 11/12/2007 par Antoine Lanckmans et Matthieu Reynaert / Catégorie: Métiers du cinéma

Un des derniers maillons de la chaîne de fabrication d’un film

Voilà bien uneprofession méconnue du grand public. Son rôle est pourtant capital pour la compréhension et le confort du public.
S’étant illustré dans plus d’une centaine defilms, dont Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage, Trouble de Harry Cleven, A la petite Semaine de Sam Karmann ou le documentaire qui fit sensation Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, notre compatriote Philippe Baudhuin, pilier du Studio l’Equipe de Bruxelles (une référence), était l’hôte idéalpour nous en apprendre plus.

 

Cinergie : Pourriez-vous nous donner une définition simple de votre travail, et desdifférentes sources à votre disposition?
Philippe Baudhuin: Le travail de mixage consiste à mélanger les sons du film. Les sources sont: les sons directs (enregistrés sur le plateau même), les bruitages (créés en post-production par lebruiteur, qui vient renforcer le réel ou la présence des comédiens), les ambiances préparées par lemonteur (des sons correspondants à un type de lieu et qu’on peut utiliser pour connoter un décors, par exemple un chant d’oiseau ou un bus passant au loin) et les sons seuls, sur lesquelsnous reviendront. Moi j’arrive à la fin du processus et je dois organiser tous ces sons, déterminer le niveau de chacun ou les effets à appliquer par ordinateur. Le tout doit donner lacouleur que le réalisateur désire pour sa scène.

C. : Quelles sont les étapes du travail ?
Ph. B. : Lorsque le montage image du film est terminé, on organise une vision technique. Le mixeur, leréalisateur, les monteurs, épluchent le film d’un point de vue technique pour déceler ce qu’ilfaudra refaire. J’interviens à ce stade pour signaler ce qu’il est possible de faire avec le sonenregistré sur le plateau et ce qu’il faudra produire en post-production, je veille aussi à ce que lesdialogues soient compréhensibles. Le réalisateur peut aussi demander à modifier des dialogues(pour des raisons de jeu des acteurs ou de compréhension de l’intrigue). Ensuite, le monteur son commence son travail. Il a à sa disposition, outre le son direct, les sons seuls et les doubles. Lessons seuls sont des scènes un peu délicates jouées uniquement pour la prise de son, sansimages. Les doubles regroupent les sons direct d’une autre prise d’une même scène. Le but est d’utiliser le moins possible la post-synchronisation.

C. : Justement, parlez-nous de la post-synchronisation.
Ph. B. : Il s’agit d’une étape où un comédien double lui-même ses dialogues, en suivant une bande, qu’on appelle bande rythmo, sur laquelle le texte défile au même rythme que l’image. J’interviens avec le réalisateur pour aider le comédien à retrouver le même timbre de voix quelors du tournage (plusieurs mois se sont souvent écoulés). Parfois on ne refait qu’un mot ouune phrase, à cause d’un problème technique, d’un changement de dialogue ou pour affiner lejeu.

C. : Avec cette quantité de matériel à gérer, on se doute que vous devez en permanenceopérer des choix, voire jeter de la matière. Quelle est votre niveau d’initiative, par rapport à la volonté du réalisateur ?
Ph. B. : On prend souvent le temps avec le réalisateur de réécouter toutes les sources sonores! Il faitalors son choix, indique quelle source il préfère au niveau du jeu (cela peut aller jusqu’à choisirdes sources différentes pour chaque phrase). Moi, j’analyse si c’est possible par rapport auraccords dans le son, c’est-à-dire si l’on peut faire en sorte qu’on n’entende pas la différence. Au besoin, le réalisateur modifiera ses choix en conséquence, mais au final c’est sa décision qui prédomine.

C. : Comment se trouve l’équilibre entre un son réaliste et le confort d’écoute du spectateur ?
Ph. B. : Pour qu’un son semble naturel à l’écoute, il faut en fait beaucoup de travail, pour qu’on ait lasensation que tous les sons ont eu lieu simultanément. La connotation apportée par lesambiances et les bruitages est capitale. C’est elle qui détermine si l’approche du film est réalisteou fantastique. La nature du mixage varie aussi en fonction des scènes, plus crues, plus heureuses, plus éthérées, etc. 

Par exemple, dans une salle de bain il y a énormément de sons. On peut choisir de n’en privilégier qu’un (comme une goutte d’eau qui tombe du robinet) ou aller jusqu’à la collection complète, avec les vibrations du chauffe-eau, voire même couvrir les dialogues. Un élément important dont nous n’avons pas encore parlé est la musique.

C. : Quelle est la nature de votre collaboration avec le compositeur ?
Ph. B. :  Ça dépend beaucoup d’un film et d’une personne à l’autre. Dans le meilleur des cas, à mon avis, le musicien prépare son enregistrement dans un studio de musique, ensuite, on organise unevision avec le mixeur, le réalisateur et le compositeur dans un auditorium avec une acoustique decinéma et c’est la que le mixage de la musique à proprement se décide. L’idéal est de pouvoirmixer la musique entre le mixage des voix (qu’on appelle prémix) et le mixage des autres sons. De cette façon, on peut privilégier la compréhension (par exemple le son de la trompette masquefortement la voix, il faudra alors diminuer son importance s’il elle intervient sur un dialogue). Si la musique arrive trop tard elle peut rentrer en conflit avec le travail déjà effectué.

C. : Quelles sont les spécificité du travail sur le documentaire ?
Ph. B. :  Ça n’est pas très différent de la fiction, si ce n’est qu’il y a moins de temps et d’argent et qu’onaccepte beaucoup plus facilement les imperfections du direct. On va même jusqu’à sous-titrer, car on ne va évidemment pas doubler un interview ou des dialogues saisis au vol. La postsynchronisation concerne alors une éventuelle voix over, mais ce procédé a tendance à disparaître. Pour la télévision, le son est moins travaillé, mais pour un film destinée au cinéma, comme ceux de Thierry Michel, l’univers sonore n’est pas moins travaillée, et on peut retrouver des musiques originales. L’arrivée du numérique a dû bouleverser votre travail... Il y a eu de la polémique, mais pour moi, au niveau du mixage, le numérique a tout changé dansle bon sens. Avant tout le travail était fait à la main, c’était lourd et lent. Il fallait découper etrepiquer les sons sur des bandes magnétiques. Le numérique offre une palette beaucoup pluslarge, et comme le temps alloué au mixage n’a pas diminué, le travail est bien plus élaboré. 

C. : J’aimerais connaître votre point de vue sur la démocratisation des système de baffles dit Home Cinema ainsi que sur les normes en vigueur dans les salles (label THX et autres).
Ph. B. : Deux problèmes se posent dans les salles. D’une part le réalisateur exige parfois des écarts de volume très importants, qui font que les exploitants baissent le son de tout le film, rendantpresque inaudibles les scènes les plus calmes. Certains mixeurs se laissent aussi aller à cetravers. Mais surtout, le fait d’avoir une bonne installation dans une salle n’est pas une garantiequ’elle soit bien réglée! Je remarque souvent que des canaux sont inversés (la gauche pour ledroite et vice versa), que les baffles saturent très vite, malgré la hausse de la qualité des produits. Il faut bien comprendre qu’une installation correcte aux normes THX coûte entre 25.000 et 50.000€, c’est un investissement trop conséquent si on est pas un multiplex. Il y a donc une forte dichotomie entre la qualité qui est proposée au marché et ce qu’on retrouve dans les salles. 

Par rapport au Home Cinema, c’est le support DVD qui pose souvent problème. Les systèmes de compression sont très divers et de qualité très variable, ils peuvent changer la couleur du son. De plus, le mixeur a très peu de contrôle sur ce que devient son travail lors de l’impression des disques. J’essaie d’imposer depuis deux ans, un mixage spécifique au DVD en espérant que ledistributeur l’utilise, sans le modifier - comme c’est souvent le cas pour obtenir des effets spectaculaires ou des pistes spéciales (karaoké, etc.).
L’installation Home Cinema en elle-même est une bonne chose, mais c’est toujours mieux d’aller au cinéma! Personnellement comme je passe déjà mes journées dans les auditorium, je n’ai pas de Home Cinema à la maison!

C. : Quel est le rôle de l’assistant mixeur ?
Ph. B. : C’est un travail un peu ingrat, mais très formateur. Le mixeur se réserve toujours les voix, lesambiances et les musiques, car c’est sur ces éléments que vous se greffer les autres. Il peut alorsdéléguer, par exemple les bruitages qui demandent un lourd travail technique. L’assistant n’intervient pas artistiquement, mais des affinités peuvent se développer. En France, il y abeaucoup d’assistants, moi je préfère l’éviter, sauf si on est pris par le temps (le mixage étantune des dernières étapes, il subit le retard pris partout ailleurs). L’assistanat est donc une bonne formation.

C. : Qu’en est-il des écoles de cinéma ?
Ph. B. : Moi j’ai fait l’IAD, et mon mémoire traitait du mixage, ce qui m’a permis de rencontrer lemilieu. Même s’il n’y a pas de cours spécifique au mixage, je pense que faire une école est très souhaitable, surtout pour savoir de quoi on parle quand on travaille sur un film. 

Cependant, en France cette pratique n’est pas répandue, on apprend plus sur le tas que chez nous ou l’école paraît presque obligatoire.

C. : Est-ce facile de gagner sa vie en Belgique en tant que mixeur ?
Ph. B. : Il n’y pas tant de travail que cela, on compte une vingtaine de longs par an en Belgique, et il faut en faire cinq ou six pour en vivre. Aussi, on est environ six en Belgique. Moi j’arrive à ne vivre que du secteur du mixage cinéma depuis 1985, donc je ne me plains pas du tout, mais on ne voit pas vraiment poindre une nouvelle génération. Aussi je conseillerais aux jeunes de rentabiliser leur période passée à l’école de cinéma, car tout se passe de bouche à oreille, on ne vient pasfrapper à la porte d’un studio après ses études, il faut s’accrocher. 

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