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Baghdad Messi et Bad Hunter Sahim Omar Kalifa

Publié le 15/06/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Tel est pris qui croyait prendre

Il faut croire que tout ce que Sahim Omar Kalifa touche se transforme en un succès étonnant. Son premier court métrage, Lands of heros était à Berlin, hop, directement, en compétition officielle. Baghdad Messi a récolté tant de prix dans tant de festivals que cela lui a valu une nomination automatique sur la longlist des prochains Oscars. Et voilà qu'on découvre Bad Hunter au Brussels Film Festival avec une joie non dissimulée. Voici une petite perle burlesque aussi réjouissante qu'était triste et bouleversant Baghdad Messi.  

Baghdad Messi et Bad Hunter Sahim Omar Kalifa

Il y a, chez Sahim Omar Kalifa, un immense talent de conteur qui brode les petites histoires aux grandes et le burlesque au tragique avec beaucoup de brio – et de tendresse. Baghdad Messi s'ouvrait sur un gamin unijambiste, fan de Lionel Messi, et exclu de son équipe de foot pour cause de trop de trous dans ses filets de goal. Il tentait de retrouver sa place au sein de l'équipe en promettant à ses copains de visionner sur sa télé les prochains matchs de leurs idoles. Seul hic, la télé était en panne. Il s'en allait donc avec son père affronter les dangers de Bagdad pour la faire réparer et acheter ainsi sa place dans la communauté. Mélodrame tragique, l'enfant revenait seul, sans son père, qui y restait, victime d'une balle perdue en pleine rue. Avec beaucoup de pudeur, un véritable sens du burlesque, traitant son histoire avec beaucoup d'efficacité narrative, travaillant en gros plans les visages silencieux pour faire passer les émotions et les plans d'ensemble pour raconter les corps en prise avec leur environnement, Kalifa conduisait son récit d'une main de maître, ni trop ni pas assez, vers les rêves brisés d'un petit enfant déjà bien abîmé. Dans cet Irak déchiré par de multiples guerres civiles, la tentative de l'enfant pour trouver sa place se payait au prix le plus fort, la disparition du père.

 

 

Dans Bad Hunter, Kalifa fait le chemin inverse. Il part d'une situation tragique pour la conduire vers la comédie. Un jeune garçon part chasser le lapin dans les collines, et se retrouve, un peu malgré lui, le sauveur d'une jeune fille qui vient de subir un viol que son arrivée et son fusil de chasse bien armé ont interrompu. La jeune fille est très belle et fait pitié. Alors, il retourne chez lui, non sans lui avoir promis le silence (dans ce monde, avoir perdu sa virginité, même par le biais terrible d'un viol, peut valoir la mort) et lui laisse son nom, au cas où... Quelques jours plus tard, la même jeune fille débarque chez lui, accompagnée de son père et de ses oncles, armés et prêts à en découdre avec la famille du jeune homme. S'ensuit toute une série d'accusations que les beaux regards de la jeune fille énamourée vont tenter de faire passer par des messages exactement inverses. Entre les deux jeunes gens, tandis qu'ils se font sermonner et que leurs destins semblent en train de se décider sans eux, tout un jeu de regards vient peu à peu renverser les rôles. Dans un style burlesque, très proche du muet, à travers l'expressivité et la gestuelle des corps qu'il filme, les champs contrechamps de ses personnages et le jeu des regards, Kalifa construit un petit film burlesque, tendre et très drôle dont on sort réjouit par cet hymne à la vie, cette capacité de certains à se sortir des situations les plus tragiques, cette foi en l'humain. Le cinéma de Kalifa, qu'il soit mélodrame ou comédie, est fait de ce qui tisse les grands films populaires, ceux qui nous émeuvent et nous font rire, d'un vrai talent de conteur, de beaucoup de tendresse et d'un vrai sens du burlesque. Les grandes références ne sont pas loin...

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