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Barry Lyndon de Stanley Kubrick

Publié le 01/06/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Grognements à droite, crispation à gauche. Le seul film de Kubrick qui connut un insuccès triomphal (le pire échec commercial de sa carrière) aux Etats-Unis. Seul le public de la "vieille Europe" le sauva de la faillite. Au USA, chez les jeunes réalisateurs, ses "défauts" allaient devenir ses qualités les plus mémorables. Un exercice dans lequel Martin Scorsese allait s'illustrer. Ajoutons que dans le récent référendum organisé par POSITIF, à l'occasion de son numéro 500, Barry Lyndon fait partie des 10 meilleurs films de ces cinquante dernières années tant pour les critiques que pour les lecteurs.

 

Le film

"C'est sous le règne de Georges III que ces personnages ont vécu et se sont querellés ; beaux ou laids, pauvres ou riches, les personnages de ces films sont égaux maintenant ». C'est sur ce commentaire radical que se termine l'un des films les plus singuliers de Stanley Kubrick auquel l'édition en DVD restitue une magie que l'édition en VHS avait massacré incapable de restituer visuellement les images voulues par le réalisateur et enregistrées par John Alcott, le ChefOp. L'intrigue est adaptée des Mémoires de Barry Lyndon, un roman de William Thackeray (contemporain de Dickens et aussi célère que lui en Angleterre). Elle décrit de façon implacable l'ascension et la chute de Redmond Barry, jeune homme naïf et ambitieux, de petite noblesse irlandaise, aspirant à la noblesse d'Angleterre, à sa richesse, à son train de vie. D'emblée le premier plan du film nous montre un duel qui prive Redmond de son père et, de même, le film s'achève sur un duel qui voit Redmond, amputé d'une jambe, perdre toute prétention. Il serait vain de vous résumer un récit qui procède par longues séquences et dont la splendeur visuelle - ouvertement inspirée de la peinture de Gainsborough ou Constable - est stupéfiante. Le report digital du film nous permet non seulement d'apprécier les fameuses séquences éclairées à la bougie grâce à un objectif Zeiss de la Nasa mais de percevoir les moindres détails (avant-plans et arrière-plans) du film. On n'insistera pas sur les zooms arrières, procédé récurrent avec le contrepoint musical de la bande sonore qui donne au film un tempo où chaque scène trouve le ton qui convient à l'époque.

 

Ce n'est pas pour rien que Martin Scorsese a pu écrire de Kubrick : "Son audace fut d'insister sur la lenteur dans la recréation des rythmes de vie et des comportements ritualisés de l'époque. Le meilleur exemple en est la scène de séduction qu'il dilate jusqu'à ce qu'elle devienne une espèce de transe. Ce quim'a toujours frappé, c'est le ballet au ralenti des émotions. Fascinante est la tension entre les mouvements de la caméra et le langage corporel des personnages tel qu'il est orchestré par la musique". Et Scorsese de nous commenter dans Un voyage à travers le cinéma américain, la scène ou Redmond Barry s'avance lentement derrière Lady Lyndon sur le balcon de la salle de jeu comme l'une des plus belles scènes de séduction du cinéma. On pourrait vous parler de la scène où Sir Charles, Lord Lyndon, s'étrangle de rire et en meurt en disant son fait à Redmond : "Vous voulez chausser mes bottes !" ou celle de Barry racontant pour la seconde fois à son fils mourrant ses exploits guerriers. L'enchantement tient à l'ampleur du propos et aux moyens que s'est donné Kubrick pour reconstituer toute une civilisation, celle du XVIIIème siècle avec ses rites, ses conflits mais aussi avec une maîtrise de la durée qui s'il n'évite pas la dramatisation empêche le film de sombrer dans l'anecdotique comme le sont trop souvent les reconstitutions historiques au cinéma.


Le réalisateur

Kubrick est né dans le Bronx à New York, le 26 juillet 1928 et commence une carrière de photographe qui l'amènera à faire partie de l'équipe du prestigieux (et aujourd'hui disparu) magazine "Look". Avec l'argent familial il réalise Day of the fight, (16'), en 35mm. Le passage au professionnalisme s'opérant lors de sa rencontre avec James B. Harris avec qui il fonde la Harris-Kubrick Pictures et qui lui offre de réaliser l'Ultime Razzia, adaptation d'un thriller signé Lionel White. Suit, Les sentiers de la gloire un film qui lui permet de rencontrer Kirk Douglas. Celui-ci l'invite à reprendre le tournage de Spartacus à la place d'Anthony Mann qui avait commencé à réaliser le film. Une expérience qu'appréciera peu Stanley Kubrick qui reniera le film sitôt celui-ci terminé. Suivent Lolita (1962) et Doctor Strangelove (1964). Avec 2001, l'Odyssée de l'espace, Kubrick réalise un film culte, dont il écrit le script avec Arthur C. Clarke, s'interrogeant sur l'éventualité de l'existence d'une vie extra-terrestre. Il songe à tourner un film colossal : Napoléon. En attendant de concrétiser ce projet qui devient de plus en plus utopique il tourne Clockword Orange (1971), puis Barry Lyndon (1975).

 

Bonus

Bande-Annonce non sous-titrée.
Pour le reste le coffret de 8 films édités par Warner Bros vous offre en Bonus un neuvième DVD : A travers le prisme du maître. Un documentaire réalisé par Jan Harlan, beau-frère et producteur de Kubrick.
Sinon, on vous conseille de lire le Kubrick de Michel Ciment paru chez Calman-Levy et qui n'a pas de concurrent, en langue française.