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Bons baisers de la colonie de Nathalie Borgers

Publié le 07/10/2011 par Dimitra Bouras / Catégorie: Critique

Mulâtre vient du mot mulet, croisement entre un âne et une jument.

capture du film bons baisers de la colonie - Les secrets enfouis dans les coffres relégués dans les coins poussiéreux des greniers familiaux sont souvent chargés d'une émotion lourde à porter. 
Françoise Dolto, la pionnière de la psychiatrie enfantine, a fondé son travail sur les non-dits et les conséquences pathologiques sur les héritiers qui n'ont pas connaissance des antécédents de leurs aînés. 
Nathalie Borgers, cinéaste documentariste, journaliste de formation, a sillonné la terre, animée par ce besoin de comprendre le fonctionnement du monde. Femme dans un milieu dominé par les hommes, elle s'est attachée à décortiquer l'inégalité que les femmes subissent, recherchant les explications tant dans le domaine privé que politique.

Ses dernières réalisations étaient parties à la rencontre de jeunes femmes autrichiennes d'origine turque confrontées aux mariages arrangés (Arrangements avec le destin), des femmes françaises sous-représentées dans la vie politique du pays de la démocratie (Où sont les femmes), et dernièrement, film qui l'a fait découvrir au grand public grâce à sa sortie en salles, Vents de sable, femmes de roc, ou l'histoire de la recherche de l'indépendance économique des femmes Toubou traversant le désert nigérian pour cueillir les dattes qui assurent leur autonomie.

La cinéaste découvre par hasard l'existence honteuse d'une tante « mulâtresse ». Née d'une relation extra-officielle de son grand-père administrateur des biens coloniaux belges au Rwanda et d'une femme indigène qu'il reçut en mariage selon les rites locaux. Suzanne, reconnue par son père et emmenée avec lui en Belgique à l'âge de quatre ans, sera élevée dans les pensionnats catholiques du pays et par sa grand-mère et ses tantes.

Découvrir ce passé a dû bouleverser la cinéaste, suffisamment que pour laisser passer une dizaine d'années avant de filmer ses rencontres avec sa grand-mère paternelle et sa tante métisse. Ce film est un long dialogue avec sa tante Suzanne, parsemé de documents d'archives agrémentés des explications d'anthropologues et historiens sur ce phénomène du "métissage" entre colons européens et femmes africaines indigènes.

Laissant mère et frères au pays, Suzanne avait quatre ans quand elle accompagne son père et sa jeune épouse blanche de retour en Belgique. Malgré son métissage, ou à cause de celui-ci, étant fille et par conséquent plus fragile dans une société hostile aux demi-tons, que ce la soit de la part des blancs Européens ou des noirs Africains, elle débarque dans ce pays qui la tolère.

Son histoire de mulâtresse, elle la raconte simplement, sans émotion ni apitoiement, parfois juste une pointe de colère. "Mulâtre" vient du mot mulet, croisement entre un âne et une jument! Dans la raideur de Suzanne on prend conscience de la forteresse qu'elle s'est construite pour survivre et on a mal pour elle. Grâce à sa petite-nièce par alliance, ou par hasard, elle livre enfin le poids de son indignation, même si c'est encore à demi-mots. 
Ce film n'aurait certainement pas pu se faire si des liens familiaux n'unissaient pas ces deux femmes, mais son intérêt dépasse l'anecdote familiale pour dénoncer une réalité vécue par des villages entiers de « mulâtres », enfants illégitimes, bannis dans les zones suburbaines des villes coloniales. Une pierre a rajouter à l'édifice Histoire de Belgique.

Nous avons rencontré Nathalie Borgers et réalisé une interview à lire et à voir dans ce webzine.

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