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Bureau des Inventaires systématiques de la mémoire résiduelle de Yaël André

Publié le 01/12/2003 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Bureau des Inventaires systématiques de la mémoire résiduelle de Yaël André

 

Histoires d'eau

Durant les mois d'octobre et novembre de cette année, l'exposition « Je me souviens » (titre provisoire) a investit quelques lieux publics du quartier des Marolles à Bruxelles, proposant à une vingtaine d'artistes de créer, en s'inspirant d'un patrimoine architectural chargé d'histoire, des oeuvres autour d'un thème commun : la mémoire. S'inspirant du livre de Joe Brainard « I remember » l'exposition voulait, entre autres, réactiver la portée du souvenir en l'inscrivant ludiquement dans notre réalité quotidienne. C'est à cette occasion que Yaël André a campé son Bureau des inventaires systématiques de la mémoire résiduelle dans la piscine des Bains de Bruxelles et a réalisé un film vidéo homonyme à partir des souvenirs de ses employés et de ses nageurs. Reprenant le dispositif narratif qui avait présidé à son premier film Histoires d'amour, c'est à dire des personnes face caméra qui se racontent dans un cadre fixe, elle enrichit cette narration en multipliant les lieux où les habitués de la piscine se racontent et d'autre part en s'attachant à décrire l'espace même des Bains comme une histoire cachée dont on ne relève plus que des signes. A l'horizontalité narrative du présent « je me souviens », elle ajoute la verticalité de l'architecture en plongeant sa caméra dans les fondations de la piscine, nous entraînant dans cet univers de conduits, tuyaux, machines comme pour mieux nous faire sentir ce qui lie les racines d'un lieu et la parole de ceux qui le fréquentent. Il y a une véritable trouvaille dans ce jeu géométrique qui centre les histoires entre l'immédiat de leur énoncé, et cette référence à une autre histoire, un autre passé dans lequel elles viennent s'inscrire. Progressivement les histoires individuelles des maîtres nageurs, des baigneurs, des préposés au guichet ou à l'entretien, tous ces petits récits anecdotiques dont Yaël André se plaît à dresser un catalogue incomplet à la Perec, deviennent comme une seule et même histoire, celle de la piscine perçue comme entité. Des corps presque nus et ruisselants qui parlent des plaisirs aquatiques et de ces mystères de lumière à la surface de l'eau, en passant par les secrets telluriques des ténèbres du sous-sol, les Bains se dévoilent au-delà des mots, des souvenirs dans cet imaginaire étrange où le présent rencontre le passé en une conjugaison hors du temps. Film de commande, fait en quelques jours, avec cette obligation de le livrer à date fixe, Bureau des Inventaires systématiques de la mémoire résiduelle possède une rigueur d'écriture et une sûreté de regard inattendues pour ce genre d'expériences. Et si le montage souffre un peu de cette précipitation, l'humour et le charme de certains récits, la tendresse de Yaël André pour les gens qu'elle rencontre et les lieux qu'elle filme le font rapidement oublier. Ne restent alors que le plaisir de ces histoires d'eau et ce désir de mélanger à notre tour nos corps au grand corps historique de la piscine.

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