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Celui qui sait saura qui je suis de Sarah Moon Howe

Publié le 03/10/2017 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Fantomas en Ukraine

Précieux, le nouveau film de Sarah Moon Howe est une recherche sur l'absence et la difficulté de rencontre avec un homme qui, au fil du récit, se révèle un personnage romanesque, mystérieux et particulièrement insaisissable. En 2011, Sarah Moon présente un film documentaire consacré à l'épilepsie de son fils, à Kiev. Dans la salle, Andrii Fedosov connaît une révélation face à ce film qui lui parle directement. Lui-même épileptique, il demande à la cinéaste de réaliser un film sur les hôpitaux psychiatriques en Ukraine où les conditions d'internement sont déplorables : patients violentés, absence de soins et maltraitances psychologiques comme normes. Mais ce propos est dépassé par la disparition étrange de ce personnage. Après une séparation de trois ans, la cinéaste revient en Ukraine pour essayer de le retrouver. C'est là qu'elle apprend la mort d'Andrii. Dès lors, le film devient une enquête étonnante et foisonnante sur les circonstances mystérieuse de cette mort. Militant des droits de l'homme, Andrii avait fait l'objet de menaces car il dénonçait des sujets délicats qui impliquaient des responsables politiques locaux. La cinéaste interroge les proches, les voisins, les ami-e-s qui, la plupart, ne croient pas ou ne veulent pas croire à la mort de leur compagnon.

Celui qui sait saura qui je suisLe montage adopté est celui d'une recherche commentée par la cinéaste elle-même à laquelle elle mêle le matériau filmique qu'elle avait enregistré lors de ses premières rencontres avec Andrii. Ce format passionnant devient la tentative difficile de recomposer le visage et la personnalité de cet homme. Découvrir la vérité devient l'impossibilité du film. Au contraire de cette sculpture du visage d'Andreii que nous verrons en train de se faire tout au long du film, le portrait filmique se brouille au fur et à mesure: mythomane ? Joueur ? Acteur ? Chaque avancée, chaque nouveau plan, chaque nouveau témoignage bouleverse et complexifie cette recherche. En filigranes, le film pose la question du statut des images, de leur pouvoir et ce qu'elles disent ou non sur le réel. La voix-off très présente de Sarah Moon nous implique dans ses doutes, ses angoisses. Elle interroge également son éthique par rapport à son sujet. En aurait-elle fait autant pour Andreii s'il n'y avait pas eu ce film ?

La seconde partie du film se concentre sur l'arrivée d’Andrii en France. Invité par le Conseil de l'Europe, il pourra y dénoncer les conditions de vie des personnes handicapées et des personnes LGBT en Ukraine. Car militant homosexuel, sa vie est d'autant plus menacée dans un pays très marqué par l'homophobie et l'intolérance. Sarah Moon Howe va l'accompagner dans ses démarches pour demander le statut de réfugié afin de pouvoir rester en France, jusqu'à leur rupture définitive. Il ne restera plus à Sarah qu'à essayer de comprendre. Sans lui désormais. La dernière partie est particulièrement émouvante, l'histoire familiale marquée par le mensonge et la honte déroute un peu plus et multiplie les visages de ce personnage fantomatique.

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