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Cinédécouvertes et l'Age d'Or

Publié le 07/07/2008 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Événement

Cinédécouvertes et l'Age d'Or : La Cinémathèque à l'assaut du talent 

Les compétitions du Prix de l'Age d'Or /Cinédécouvertes figurent parmi les rendez-vous incontournables des cinéphiles bruxellois. Initiées par Jacques Ledoux, le premier conservateur de la Cinémathèque Royale, elles sont une occasion unique de voir, à Bruxelles, des films inédits en Belgique, mais qui se sont pourtant déjà fait remarquer à l’étranger, notamment dans les grands festivals de cinéma. Une occasion aussi de découvrir des œuvres et des cinéastes pas comme les autres.
Poursuivant des objectifs bien distincts, les vénérables compétitions (30 ans pour Cinédécouvertes et un demi-siècle pour l’Age d’Or), autrefois séparées, sont organisées ensemble depuis 1996. La programmation s’en est ressentie, difficile de le nier. Mais en mélangeant les films et les publics des deux compétitions, on a également permis au spectateur d’élargir ses horizons et de faire des découvertes supplémentaires.
Traditionnellement organisé la première quinzaine de juillet, le festival de la Cinémathèque est, depuis 2005, accouplé au Festival de Bruxelles, à Flagey. Plus exactement, la première semaine de projection se déroule à Flagey, dans le studio 5, la seconde semaine dans la salle du Musée du cinéma (bis). Tonie De Waele et Laurent de Martelaer, ses deux programmateurs, nous présentent ce classique.

L'Age d'Or et Cinédécouvertes

 Cinergie : Comment procédez-vous pour sélectionner vos films qui, pour la plupart, proviennent des grands festivals mondiaux ?
Laurent de Martelaer : À la Cinémathèque, quatre ou cinq personnes assistent à différents festivals, dont les plus importants pour nous sont Rotterdam (le premier festival de l’année), Berlin (qui vient juste après), et Cannes, bien sûr, qui nous intéresse non seulement pour la compétition officielle mais pour toutes ses sections, d’une grande richesse. La Cinémathèque est présente surtout pour nouer des contacts, voir des films restaurés ou des nouvelles copies de grands classiques, assister à des rétrospectives (très important à Berlin), etc… Mais, parmi ces occupations, nous essayons de voir un maximum de films récents, dans l’optique de cette programmation. Par ailleurs, la Cinémathèque a de bons contacts avec des journalistes, des distributeurs, des personnes qui assistent aussi à de nombreux festivals, dont le métier est de voir des films. Ils nous parlent de ce qu’ils ont vu, notamment à Locarno et à Toronto, et nous donnent des titres de films qu’on essaye alors de voir, soit plus tard en festival, soit sur DVD. Et nous recevons spontanément de nombreux films. S’ils sont bons et correspondent aux critères de l’Age d’Or et/ou de Cinédécouvertes, on peut très bien les sélectionner. Toutefois, on donne la priorité à ce qui a déjà été présenté en festival.

 C. : Quels sont ces critères particuliers, justement ?

L. M. : Pour figurer dans nos compétitions, le film doit avoir été tourné en 16 ou en 35 mm, doit durer plus de 60’, et il faut une copie disponible du format original car on ne montre pas de vidéo. En outre, le film doit être compréhensible pour une personne parlant le français, le néerlandais, ou l’anglais. Soit le film doit être dans une de ces trois langues soit disponible avec des sous-titres dans une d’entre elles. Pour l’Age d’Or, ce doit être un film qui s’écarte des conformismes cinématographiques, donc une œuvre hors du commun, un peu exceptionnelle. Pour Cinédécouvertes, il doit s’agir d’un film qui n’a pas encore de distributeur chez nous alors que, pour nous, il mérite une distribution en Belgique. Le prix de l’Age d’Or va directement au réalisateur tandis que les prix Cinédécouvertes sont des aides à la distribution. Sur les 22 films sélectionnés cette année, certains l’ont été parce qu’ils correspondaient davantage au critère de l’Age d’Or, d’autres parce qu’ils correspondaient plus à Cinédécouvertes, d’autres encore peuvent correspondre aux deux, et le jury, dans les 22 films, a le libre choix pour décerner le prix de l’Age d’Or et les prix Cinédécouvertes à n’importe lequel des 22 films. Il peut même décerner un prix Cinédécouvertes au film qui a aussi gagné le prix de l’Age d’Or. Mais cela, c’est rare.


C. : Cette complication vient du fait qu’il s’agit au départ de deux compétitions différentes qui ont fusionné ?
L. M. : Pour l’organisation, cette fusion représente une facilité, car une telle compétition demande beaucoup de préparation. Il nous faut trouver une bonne date, en dehors des périodes de grands festivals, pour nous permettre de disposer des copies des films qui, sinon, sont mobilisées pour ces événements. D’autant que les films sont montrés deux fois sur une période de quinze jours, ce qui nous oblige parfois à jongler avec les transports. Cela devient d’ailleurs chaque année plus difficile de pouvoir présenter un plateau d’une vingtaine de films en copie originale, car les festivals se multiplient.

C. : Le sous-titrage en FR, NL ou EN des copies de films qui ne sont pas dans une de ces trois langues constitue encore un problème supplémentaire ?
L. M. : Comme on se situe juste après Cannes, on peut généralement disposer d’une copie « Cannes », sous-titrée en français, mais une bonne moitié des films que nous présentons est quand même sous-titrée uniquement en anglais. Et quand c'est le cas, on le ressent au niveau de la fréquentation. Donc, on essaye d’avoir le maximum de copies sous-titrées en français. Un de nos grands projets pour l’avenir sera d’organiser un sous-titrage électronique bilingue (FR-NL) de tous les films présentés. Il faut réfléchir à ce sujet. Allons-nous rester une petite compétition efficace mais modeste comme nous le sommes aujourd’hui, ou devons-nous évoluer vers un véritable festival ? Cela dépendra évidemment beaucoup des moyens que nous pouvons réunir. Actuellement, nous sommes sponsorisés par la Région Bruxelloise, la Communauté française et la Fondation Jacques Ledoux, mais le budget est vraiment minuscule et les moyens très limités. Chaque année, obtenir autant de films inédits pour presque rien tient davantage du miracle, et on ne sait pas combien de temps on va pouvoir fonctionner de cette manière.

C. : On remarque, dans la programmation, des noms qui ont déjà vu un de leurs films présentés dans des éditions précédentes. Comme en compétition officielle à Cannes, y a-t-il des réalisateurs que l'on préfère ?
L. M. : Nous essayons de suivre des cinéastes qui ont déjà été présentés par le passé et qui ont soulevé l’intérêt ou gagné un prix. Cette année, par exemple, il y a Liverpool, le nouveau film de Lisandro Alonso qui avait gagné en 2004 le prix de l’Age d’Or avec Los Muertos; et Sad Vacations de Shinji Aoyama qui avait eu ce même prix en 2000 avec Eurêka. Il y a aussi des "vétérans" comme Raymond Depardon, dont nous présentons également le dernier film, La Vie Moderne, et qui est un habitué de notre sélection. Ou encore Charly, le deuxième film d’Isild le Besco. Nous avions présenté et beaucoup aimé son premier, Demi-tarif, et là, on trouve qu’elle va encore plus loin dans sa démarche.

 

Tony De Waele : Un autre exemple d'habitué est Alexei Balabanov. Son film Cargo 200 est justement un exemple de ce qui, de notre point de vue, correspond aussi bien aux critères de l’Age d’Or qu’à ceux de Cinédécouvertes. C’est une histoire assez folle d’un psychopathe en Russie au début des années 80, superbe visuellement, mais violente au-delà des limites admises. Un film qui va certainement susciter des réactions près de notre public, j’en suis sûr.

C. : C’est un autre de vos critères pour sélectionner un film, qu’il provoque des réactions et suscite des commentaires, une réflexion ?
T.D.W. :  De manière générale, on ne choisira pas un film juste pour son effet polémique, mais le fait qu’il puisse choquer tout ou une partie de notre public ne nous fera certainement pas reculer. C’était le cas aussi de Seul contre tous, dont on savait qu’il allait rebuter nombre de spectateurs, ou encore des films à contenu sexuel marqué ou vraiment sanglant. Notre but n’est pas de nous acquérir un public déterminé, mais de montrer de bons films dans le cadre d’une compétition en espérant qu’il y en ait plusieurs qui, grâce à cela, sortiront en salles pour être montrés à un plus large public encore.
L. M. :  En plus, les distributeurs auront davantage tendance à prendre leurs distances vis-à-vis d’un tel film, de peur de ne pas être suivis par le public, alors que s’il obtient un prix Cinédécouvertes, ou même l’Age d’Or, cela influencera peut-être leur décision de signer le film.

C. : Je remarque aussi une très belle répartition géographique des films sélectionnés qui proviennent de tous les endroits de la planète, à l’exception de l’Afrique noire où la production originale est pratiquement à l’arrêt. Et parmi tous ces films, un seul américain. C’est une volonté de représenter la planète sans donner au cinéma US la prédominance qui est la sienne habituellement ?

T.D.W. : S' il y avait eu dix films américains qui nous avaient frappés au point de penser qu’ils méritaient leur place, on aurait sélectionné dix films américains. Nous choisissons les bons films, d’où qu’ils viennent, mais je ne suis nullement étonné de les voir venir d’un peu partout. 
La tendance se remarque dans tous les grands festivals. Quand je suis arrivé dans ce boulot, il y avait une prédominance du cinéma asiatique. À présent, des films venus d’autres pays prennent le relais : Brésil, Turquie, Europe de l’Est, Argentine… Nous ne sommes que le reflet de cette évolution. Comme celle qui veut qu’il y ait de plus en plus, dans les films actuels, une réflexion sur les limites entre la fiction et le documentaire. On peut citer le dernier film de Jia Zhangke ou le dessin animé israélien Waltz with Bashir. Chez nous, outre le film de Depardon, qui est un documentaire pur, d’autres entrelacent de manière originale des images documentaires avec la fiction comme Témoins Behave, le documentaire brésilien de Maria Ramos sur de jeunes délinquants où elle a dû remplacer les vrais jeunes coupables par des comédiens. La démarche donne au film un autre impact. Ou encore The Existence du Polonais Marcin Koszalka, qui s’intéresse au don d’organe de manière particulièrement évocatrice en n’hésitant pas à recourir à une certaine poésie des images. Sans parler d’autres films, purement fictionnels, mais basés sur des faits tellement réalistes qu’ils pourraient être des documentaires.

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