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Cinéma et musique, accords parfaitscoordonné par N.T.Binh, José Moure, Frédéric Sojcher.

Publié le 15/03/2014 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Cinéma et musique, accords parfaits

Depuis l'avènement du cinéma sonore, les films n'ont cessé d'incorporer la musique aux images. Au temps du cinéma muet, quelques musiciens jouaient sur le plateau pendant les prises de vues pour donner l'ambiance aux acteurs. Avec le parlant, le silence sera requis afin d'enregistrer leurs voix, mais lorsque celui-ci chantera, ce sera en play-back

Cinéma et musique, accords parfaitsCinéma et musique : accord parfaitou attraction des contraires ? En tout cas, un siècle semé d'embuches, de réussites, d'accords et de désaccords. Le livre coordonné par N.T. Binh, José Moure et Frédéric Sojcher interroge musiciens et cinéastes. Il explore le parcours de ces artistes avec des entretiens. Le cinéma s'est servi de la musique et, à l'inverse, certains films ont offert un succès commercial aux chefs-d'œuvre du répertoire musical (signalons Barry Lyndon de Stanley Kubrick ou Manhattan de Woody Allen).
Dans certains cas, nous dit-on dans l'introduction, un réalisateur comme Stanley Kubrick se sert de musiques réalisées préexistantes (souvent réarrangées, réorchestrées). Plus radicaux, Bruno Dumont, Jean-Pierre et Luc Dardenne estiment que la musique est un artifice sonore qui détourne le spectateur des images. Par contre, les réalisateurs qui s'en servent forment souvent des duos qui se complètent avant, pendant et après le film.
Le livre propose neuf chapitres structurés en trois parties :
- Musiciens de cinéma à l'œuvre (Ennio Morricone, Vladimir Cosma, Carter Burwel, Alberto Iglesias)
- Compositeurs et cinéastes en duo (Jean-Paul Rappeneau et Jean-Claude Petit, Atom Egoyan et Michael Danna, Benoît Jacquot et Bruno Colais)
- Cinéastes en solistes, choisissant pour chacun des films d'autres musiciens (Claire Denis, Stephen Frears)

Ennio Morricone, dans un entretien passionnant avec Sergio Micelli, nous parle des nombreux films auxquels il a collaboré et dit aussi que la musique sert à des moments-clés : « Je crois que la musique doit être mise quand l'action s'arrête, se cristallise; comme dans le théâtre musical il y a le récitatif et l'aria, quand l'action s'arrête et qu'il y a la pensée, l'intériorité du protagoniste, non quand l'action a sa dynamique narrative ».
Ces propos sont d'autant plus intéressants que le grand musicien Maurice Jaubert travaillait différemment dans l'immédiate avant-guerre. Dans Le jour se lève de Marcel Carné, François (Jean Gabin) barricadé dans une chambre d'hôtel avant que la police ne donne l'assaut, vit ses dernières heures de liberté en revivant les circonstances qui l'ont amené à devenir un criminel. André Bazin écrit : « La musique ne constitue nullement un accompagnement, elle est incorporée à l'action, elle constitue, pour son propre compte, une action. Il s'agissait que le spectateur sentit le sens du passé, que le présent lorsqu'il revient n'échappât pas à l'emprise du passé. Quand l'action que nous voyons sur l'écran est passée, il n'y a pas de musique, (sauf la scène d'amour dans la serre) mais quand nous retrouvons Gabin, au présent dans sa chambre, la musique rentre dans le jeu et s'y maintient tant que nous sommes au présent, très vite grâce à la répétition du procédé, mais surtout de la qualité de la musique, nous l'identifions avec l'imagination de Gabin ». (1)

Examinons deux autres alchimies :
- Compositeur de beaucoup de films de Pedro Almodovar, Alberto Iglesias nous parle de sa méthode de travail. Il a développé un dictionnaire des dualités, une sorte de dix commandements qui lui sert de boîte à outils : « Enoncer/cacher; confirmer/transgresser; préparer/résoudre; symétrie/asymétrie; énoncer/métaphoriser ; thèmes/variations, similitude/différence; additionner/soustraire; prévenir/confirmer; convergence/divergence. Ces dualités forment pour moi une sorte de poétique liée au cinéma, elles m'ont parfois donné l'impulsion pour écrire ».
- Le film est terminé. Côté post-production, Stephen Frears nous raconte son aventure avec Alexandre Duplat pour The Queen. Le compositeur français découvre le film en entier avec le réalisateur avant de séquencer les scènes musicales. Frears dit avec son humour très british : « J'étais aux anges en travaillant avec lui, d'autant que cela irritait son producteur qui préférait la musique italienne ».
Bref, un livre passionnant pour les amateurs de musique sur écran et des bandes originales en disques ou en CD. Certaines musiques de films, en B.O., restent dans la mémoire sans que l'auditeur n'ait vu le film. C'est le cas de la musique de India Song de Carlos d'Alessio d'après le film de Marguerite Duras.


(1) André Bazin, Le cinéma français de la libération à la Nouvelle Vague, Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma.
Cinéma et musique, accords parfaits, dialogues avec des compositeurs et des cinéastes, coordonné par N.T.Binh, José Moure, Frédéric Sojcher.
Collection : caméra subjective, édité par Les Impressions nouvelles.

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