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Palmarès du Festival Méditerranéen, 2016

Publié le 12/12/2016 par Grégory Cavinato / Catégorie: Événement

Pour sa 16ème édition, le Festival du Cinéma Méditerranéen (le « Med » pour les intimes) qui s’est déroulé du 2 au 9 décembre, mettait une fois de plus à l’honneur la grande diversité (de genres, d’humeurs) qui se dégage des vingt pays du pourtour méditerranéen. Flux migratoires, montée des extrémismes, interrogations identitaires, incertitude de l’avenir… le cinéma méditerranéen est là pour nous offrir des clés afin de mieux comprendre notre monde en perpétuelle crise ! Comédies, drames, polars, documentaires... D’Istanbul à Sarajevo en passant par Athènes et Le Caire, le Med nous proposait un programme varié et d’une grande richesse.

On the Milky Road, Emir Kusturica

 

En ouverture, le revenant Emir Kusturica nous proposait On the Milky Road, son premier film de fiction en 9 ans. Une fois de plus, le magicien serbe nous proposait une de ces rêveries éveillées dont il a le secret, sorte de mélange foisonnant, brouillon, fou, souvent très réussi (les nombreux gags visuels, hommages délirants au cinéma de Jacques Tati), parfois raté (les effets spéciaux en images de synthèse) mais toujours poétique et d’une inventivité de chaque plan. Kusturica incarne un livreur de lait un peu simplet, traversant chaque jour la frontière en esquivant les balles pour apporter sa précieuse marchandise aux soldats. Il est aimé par une jolie villageoise et la chance semble lui sourire jusqu’à l’arrivée d’une belle italienne (Monica Bellucci) avec qui il va vivre une passion interdite, l’entraînant dans une série d’aventures fantastiques et dangereuses où l’amour fou fait un bras d’honneur à la guerre. Retrouvant un univers qui n’appartient qu’à lui (musique de fanfare et grands élans romantiques se mêlent à des images guerrières d’une cruauté effrayante), évoquant le cinéma de Fellini et de Terry Gilliam, Kusturica nous propose un film emballant, certes mineur dans sa carrière et beaucoup trop long, mais débordant de générosité et d’une passion jamais démentie pour un cinéma artisanal à grand spectacle, débordant de trouvailles visuelles et d’idées géniales.


Fiore de Claudio Giovannesi

 

Le jury officiel, composé des réalisateurs Olivier Masset-Depasse (Président) et Samuel Tilman, des réalisatrices Kaouther Ben Hania et Berivan Binevsa et du comédien Yoann Blanc a attribué son Grand Prix à l’italien Fiore, de Claudio Giovannesi. Histoire d’un amour impossible entre deux jeunes délinquants dans un établissement pénitentiaire pour mineurs, Fiore vaut principalement pour la révélation de l’exceptionnelle Daphné Scoccia, une jeune actrice au tempérament de feu (sorte de croisement transalpin entre Kristen Stewart et Béatrice Dalle), incarnant une ado à fleur de peau vivant d’agressions et de petits vols dans la rue avant d’être incarcérée. L’histoire d’amour entre Daphné et Josh s’avère touchante et honnête, notamment lorsqu’elle révèle la fragilité cachée de la jeune fille et le réalisateur fait montre d’un vrai sens du cadre grâce à l’utilisation de plans-séquences ambitieux et de courses-poursuites haletantes.


Une semaine et un jour d'Asaph Polonsky

 

L’israélien Une Semaine et un Jour, d’Asaph Polonsky, récipient d’une Mention spéciale du jury, fut l’un des films les plus applaudis du festival. Cette histoire d’un deuil difficile après la mort d’un adolescent prend des chemins inattendus, notamment celui d’une comédie burlesque dans laquelle les personnages se comportent de manière ridicule et imprévisible, comme dans un film des Frères Coen. Le père du défunt refuse de se rendre sur la tombe de son fils et lache progressivement prise en se mettant à fumer de l’herbe et à insulter ses voisins, tandis que la mère se réfugie (en vain) dans les obligations du quotidien. Le réalisateur nous propose quelques vignettes tragi-comiques du plus bel effet pour une œuvre irrésistible de drôlerie, qui a le bon goût de ne jamais s’apitoyer sur le sort du couple endeuillé et de chercher la légèreté au sein du drame. Fils spirituel de Larry David et du Jean-Pierre Bacri de Kennedy et Moi, Shai Avivi compose un misanthrope bougon d’anthologie !

Clash de Mohamed Diab

 

Le prix de la Critique, décerné cette année par un joyeux trio composé de votre serviteur (de l’UPCB), bien secondé par les virils Alan Deprez (UPCB) et Eric Van Cutsem (UCC), fut attribué au franco-égyptien Clash, le film coup-de-poing de Mohamed Diab. Au Caire, à l’été 2013, deux ans après la révolution égyptienne, de violentes émeutes éclatent après la destitution du Président Morsi. Une quinzaine de manifestants aux convictions politiques et religieuses différentes, voire complètement opposées, se retrouvent enfermés dans un fourgon de police qui va devoir traverser la ville et éviter mille obstacles. Unique film de genre de la sélection, Clash est un huis clos virtuose qui réduit les hommes et les femmes à l’essentiel, les dépouillant de ce qui les sépare et ne retenant que ce qui les soude : l’humanité et le besoin de survivre. Le fourgon, microcosme en forme de métaphore d’un pays déchiré, dont nous ne sortons jamais pendant 1h37, est filmé sous ses moindres recoins dans un style se situant à mi-chemin entre Son of Saul et le found-footage à la REC. Diab déploie des monuments d’inventivité afin de ne jamais rendre monotone un récit entièrement situé dans un endroit exigu ! Clash est donc la révélation d’un grand metteur en scène ! 

Mentionnons également le turc Big Big World (de Reha Erdem), plongée fascinante à la lisière du fantastique (malheureusement pas totalement aboutie dans son écriture) d’un frère et d’une sœur, adolescents délinquants ayant fui la ville après un triple meurtre, au sein d’une forêt mystérieuse avec laquelle ils vont entrer en osmose, au risque de se perdre à tout jamais… ou encore le grec Park (de Sofia Exarchou), fascinante observation de l’errance d’une bande d’ados désœuvrés dans les ruines du village olympique d’Athènes. Reprenant à son compte le style popularisé par Gus Van Sant dans Elephant et Last Days, Park fut l’un des films les plus mémorables du festival. Tour de France, de Rachid Djaïdani reçut quant à lui un Prix du Public certes prévisible mais néanmoins mérité. Malgré une réalisation parfois à la ramasse et une photographie assez terne, ce road movie doux-amer confrontant un jeune rappeur (Sadek, loin des clichés du genre) à un gros peintre un peu raciste (Gérard Depardieu, en grande forme), raconte avec beaucoup d’humour et d’émotion un choc des générations et des cultures aboutissant, vous l’aurez deviné, sur une amitié improbable ! A voir rien que pour la scène où Depardieu, énervé, « rappe » sur l’hymne national français !… 

Festival joyeux et gastronomique (les spécialités de chaque pays étant bien représentées et ont ponctué les débats des différents jurys), synonyme d’ouverture, de tolérance et de solidarité entre les peuples, le « Med », qui avait accusé une baisse de fréquentation l'an passé suite aux attentats de Paris, a vu son public retrouver le chemin des salles du Botanique et mériterait décidément d’être déclaré d’utilité publique !

Remerciement chaleureux à Aurélie Losseau et Alice Pétraud pour leur accueil, ainsi qu’à toute l’équipe du festival.