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Colette Braeckman, co-auteure de L'Homme qui répare les femmes

Publié le 15/04/2015 par Myriam Lanotte / Catégorie: Entrevue

De l’écrit à l’image

Colette Braeckman est journaliste au Soir, spécialiste des pays africains et tout particulièrement du Congo. Elle est co-auteure du documentaire L'Homme qui répare les femmes : la colère d’Hippocrate, film réalisé à Bukavu par Thierry Michel. Ce titre est aussi celui du livre qu’elle avait déjà écrit sur le Docteur Mukwege, publié en 2012.

Cinergie : Tu es une femme des mots, une journaliste qui témoigne de ce qu’elle voit : aujourd’hui, tu passes à l’image sur un sujet que tu connais depuis très longtemps. Depuis combien de temps suis-tu l’itinéraire du Docteur Mukwege ?
Colette Braeckman : Je le connais depuis les années 90’, depuis la fin de la guerre. J’ai toujours suivi son action et écrit des articles à ce sujet. C’est un peu ça qui m’a amenée à écrire un livre, parce que les articles ça passe, ils ont un impact un jour, et je me suis dit qu’un livre reste. Alors pourquoi passer à l’image ? C’est une idée que nous avions eue séparément, Thierry Michel et moi. Un ami producteur m’a suggéré de faire un film avec lui, Thierry me l’a aussi proposé et nous avons réfléchi chacun de notre côté. On s’est dit que l’image allait démultiplier le message. Et effectivement, lorsque j’ai demandé au Docteur cette semaine (il venait de voir le film), ce qu’il en pensait, il a répondu : « C’est bien, mais surtout cela va démultiplier mon action et le message que je veux faire passer, le film va le porter plus loin et à d’autres publics ».

 

C. : C’est un film que l’on peut considérer comme un film de combat, comme celui du Docteur.
C. B. : C’est surtout un film de témoignage, chacun son métier. Nous, nous témoignons de ce qu’on a vu, de ce qui se passe, et on demande à d’autres de prendre leurs responsabilités. Lorsque je dis d’autres, je veux parler du pouvoir politique qui doit lutter contre l’impunité, des sociétés multinationales qui doivent veiller à la traçabilité des minerais, des Nations-Unies qui doivent faire en sorte que les Casques bleus protègent vraiment les populations. Nous, nous faisons une photographie de la situation, et nous demandons que chacun tire les conclusions là où il peut le faire. 

 

C. : Tu crois que cette photographie par l’image va avoir un impact, les gens sont attirés par le spectacle de l’image…
C. B. : C’est trop tôt pour le dire, nous ne sommes qu’au début de la circulation du film. Je crois qu’il aura une bonne audience… Est-ce qu’il va y avoir des effets concrets sur l’action ? Je ne sais pas…

 

C. : Ce que tu avais écrit est devenu le scénario de ce documentaire ?
C. B. : Non. On construit le film à partir d’un message global qu’on veut faire passer bien sûr, mais on le construit à partir des images qu’on a ramenées. Les images, les séquences, les parties les plus intéressantes l’emportent sur l’éventuel texte écrit.

 

C. : L’impact de l’image est très fort dans ce documentaire. Est-il plus fort que l’écrit ?
C. B. : On le saura dans quelques mois, quand on verra les réactions. Ça secoue plus dans l’immédiat, ça oui. Mais moi, je suis quelqu’un de l’écrit et je continue à penser qu’un livre, ça reste. On le met dans sa bibliothèque, on le consulte, on le garde avec soi, c’est un compagnon plus constant qu’une image qui passe.


C. : Il y a des images extraordinaires de paysage… Tu les avais décrits dans tes reportages, ce sont des images d’espoir qui accompagnent le sourire des femmes.
C. B. : Ce sont des images de paysages paisibles, de paysages où la vie est possible, où les gens, comme dit le Docteur Mukwege, devraient pouvoir vivre ensemble, pacifiquement. Ces images sont aussi une respiration dans le film, et un élément du paradoxe congolais, les pires horreurs dans les plus beaux paysages du monde.


C. : Ce film va-t-il être montré là-bas ?
C. B. : Nous l’espérons. Certains en doute parce qu’ils disent que quelque part on met en cause le pouvoir politique, l’impunité. Moi je trouve qu’on ne peut pas l’empêcher, il n’y a pas de raisons objectives de l’empêcher, mais on ne sait jamais.

 

C. : Vous prenez un risque, comme le Docteur prend un risque en témoignant.
C. B. : C’est surtout le Docteur qui prend un risque. Souvent, dans ces pays, et pas seulement au Congo, l’image qu’on veut donner, c’est l’image un peu rose, positive d’un pays qui se relève, qui a un taux de croissance de 10%, une production minière magnifique, etc.

Mais la réalité de ce que les gens vivent n’est pas celle-là. On détruit un peu cette image idyllique que les dirigeants voudraient donner, on met de sérieux bémols en disant que la violence continue, que les femmes continuent à être des victimes. Ça, c’est en contradiction avec le discours officiel, ça ne plaît pas à tout le monde. Est-ce que cela va les entraîner à empêcher la diffusion officielle du film et même des représailles ? Le Docteur lui-même a déjà été menacé, pas par rapport au film, mais à cause de son plaidoyer et de son engagement.

 

C. : Ce film va lui servir d’arme supplémentaire.
C. B. : Cela va en tout cas faire connaître son action et faire en sorte que les gens en charge prennent leurs responsabilités et essaient de trouver une solution. Une des solutions, c’est de lutter contre l’impunité, faire peur aux violeurs. Si vous faites ça, vous tombez sous le coup de la loi, vous risquez une sanction pénale et vous allez être sanctionnés. Pour le moment, cela n’existe pas.

 

C : C’est donc bien un film de combat !
C. B. : C’est une machine de guerre. Puisqu’on est devant une machine de guerre qui brise les femmes, nous, nous mettons en place une machine de guerre qui fait du témoignage et de la protestation. Le film est engagé. Ce n’est pas une cause marquée sur le plan politique, c’est une cause humaine.

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