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Communiqué de presse du Collectif 2001

Publié le 15/07/2001 / Catégorie: Événement

ROULETTE RUSSE
A LA COMMISSION DE SELECTION
DU CENTRE DU CINEMA ET DE L'AUDIOVISUEL

 

Unanimes elles viennent de l'écrire au Ministre Miller, les associations professionnelles de la création et de la production audiovisuelles refusent le système de la roulette russe qui se met en place à la Commission de sélection du Centre du cinéma et de l'audiovisuel. Le problème ne date pas d'hier : le cinéma belge francophone se développe davantage grâce à l'énergie individuelle et aux talents des professionnels que grâce aux budgets investis par les pouvoirs publics. Pourtant, presque chaque fois qu'un film, qu'un documentaire, qu'une animation sont réalisés, les résultats artistiques ou commerciaux sont là, indéniables.

Il semble que les responsables publics n'ont toujours pas compris que la Société de l'information, celle voulue par l'Europe des 15, n'est pas seulement un lego de tuyaux et de diffuseurs. Créer des oeuvres de dimension internationale est la première nécessité pour ceux qui veulent exister dans les nouveaux secteurs culturels et économiques.
Avec moins de 350 millions de francs alloués par an[1], soit environ 3 % seulement des seules ressources annuelles de la RTBF, les professionnels de l'audiovisuel font des miracles, rassemblent les coproductions internationales, gèrent au plus près leurs projets et leurs budgets qui atteignent globalement des montants supérieurs à 10 fois ceux investis par nos pouvoirs publics, générant culture, activité économique et emplois en Communauté française.
Survivent ou plutôt espéraient pouvoir survivre. Leur niveau d'exigence artistique et professionnelle s'est vu consacré partout dans le monde, jusqu'à cette Palme d'Or du Festival de Cannes, attribuée en 2000 à Rosetta des frères Dardenne.

 

 

Mais voilà, les miracles ont un temps. L'énergie créatrice doit toujours à un moment être soutenue, amplifiée, par l'organisation d'un secteur par les pouvoirs publics. Faute de quoi les énergies s'épuisent et les talents s'en vont... là où ils trouvent les conditions dignes de leur épanouissement et de leur réelle reconnaissance. Cette vérité a été reconnue dans le secteur des Arts de la scène, elle s'impose aussi dans le secteur de la création et de la production audiovisuelles. Le temps des aumônes individuelles aussi s'achève. Cette forme perverse de charité publique qui consiste à saupoudrer quelques millions pour différer les questions essentielles. Comme celle-ci: Sachant que l'aide moyenne varie entre 2 et 20 millions, comment examiner sereinement et sérieusement 110 projets audiovisuels avec 80 millions de francs disponibles?
Comme celle-ci: Sachant que l'aide au long métrage s'élève normalement à 20 millions, comment examiner sereinement et objectivement 12 projets de long métrage, dont un des frères Dardenne, avec 24 millions de francs disponibles?
Comme celles-ci: Le gouvernement compte-t-il faire du contrat de gestion de la RTBF un véritable levier en faveur de la création? Combien de fois encore la promesse d'instaurer un "tax shelter"[2] adapté à la création des oeuvres devra-t-elle être encore trahie? Pourquoi les réserves de copie privée ne sont-elles pas mises à disposition des professionnels? Pourquoi la Communauté dissimule-t-elle aux professionnels sa capacité de garantir des projets culturels? Pourquoi les immenses marges des câbleurs ne sont-elles pas mobilisées davantage?

Pourquoi les deux chaînes privées de la Communauté française Bertelsman et Vivendi pour ne pas les nommer, qui contrôlent respectivement RTL TVI et Canal + Belgique, pourquoi ces multinationales ne sont-elles pas soumises à des conditions de retombées en Communauté françaises équivalentes à celles de leurs sociétés soeurs à l'étranger - par exemple M6 et Canal + en France? ....
Le Gouvernement de la Communauté française s'apprête, avec ses homologues des autres institutions, à animer les Conseils européens. La diversité culturelle, les aides d'Etat en matière de Culture et d'audiovisuel seront défendues, heureusement. Mais que recouvre exactement ces grandes idées en Communauté française?
Les professionnels indépendants eux aussi entendent animer les débats européens...
De leurs problèmes réels, de la négligence dans laquelle on les tient, de l'impossibilité qu'il y a à maintenir cette diversité culturelle dans un petit territoire sans un investissement massif de l'Etat.


 

Le gouvernement s'est engagé, à plusieurs reprises, la situation était comprise, les décisions allaient venir.
Hélas pour l'instant, les deux principales décisions ont été un ajustement budgétaire qui oublie pour l'essentiel les créateurs, ainsi que l'achat pour plus de 200 millions de francs d'une salle de cinéma, pour la transformer en théâtre dont les destinataires ne savent que faire! Mais le plus stupéfiant est que malgré les discours de la nouvelle majorité, il est toujours impossible de créer un dialogue sérieux, adulte autour des propositions, crédibles et documentées, des professionnels[3]. Le blocage est là, la roulette russe serait désormais la règle à la Commission de sélection.
Une table ronde de crise doit être réunie sans délai, regroupant le Gouvernement, l'administration et les associations professionnelles pour prendre les mesures qui permettront d'attendre 2004/2005. Et esquisser l'avenir d'un secteur entier. En Belgique francophone. L'ensemble des associations professionnelles Pro-spere et UPFF
Et tout le secteur de l'Audiovisuel regroupé au nom du Collectif 2001
collectif2001@swing.be

 

6 ans plus tard...

Alain Berliner est membre du collectif 2001, en 1995 il s'était déjà impliqué dans le collectif 95. Il témoigne à travers son parcours des difficultés pour les cinéastes, les producteurs et toute la profession de l'audiovisuel de mener une carrière en Belgique. Entretien avec l'auteur, entre autres de Ma vie en rose, le Mur et de Passion of Mind.
Répertoires: En 1995 il y a eu le Collectif 95, aujourd'hui le Collectif 2001 est né. Quel est le lien entre ces deux mouvements?
Alain Berliner: Le collectif 95 était né d'un mouvement de frustration et d'exaspération de la profession il y a 6 ans. Il s'agissait de tirer la sonnette d'alarme par rapport aux moyens de l'audiovisuel en général. Six ans plus tard nous en sommes toujours à gérer une misère toujours plus grande. Et cela malgré le fait que parmi notre production audiovisuelle plus importante tant en cinéma, qu'en téléfilms ou court-métrages, chaque année au moins un film belge connaît un succès qui révèle la richesse de notre cinématographie. Le Collectif 2001 souhaite une refonte du système et demande qu'un pont financier soit mis en place pour la commission de sélection jusqu'en 2004, au moment où le refinancement de la communauté prendra ses effets. De manière à ce que la commission ne se trouve plus devant le dilemme de devoir aider des auteurs confirmés au détriment d'autres projets (comme cela a été le cas lors de la dernière réunion du deuxième collège où 24 millions étaient disponibles pour les 12 projets de long métrage inscrits, dont celui des frères Dardenne qui demandaient - à juste titre- 20 millions.

 

 

R.: Comment ces manques de moyens se traduit-il dans la situation des cinéastes et des producteurs en Belgique?
A.B.: Aujourd'hui lorsqu'on parle de film majoritaire belge c'est une illusion, un tour de passe-passe. La Communauté française est dans l'incapacité de financer des projets à hauteur de 50%, on appelle donc majoritaire un film dont le réalisateur est belge par exemple. Ces films "majoritaires" sont aidés à 20 ou 30% par la Communauté française et on va jusqu'à imputer la participation de Canal + France et de Eurimages à la part belge.
L'insuffisance des possibilités de financement se fait sentir à plusieurs niveaux.
En tant qu'auteur, nous sommes obligés de renoncer à certains droits. Il y a aussi les difficultés qui commencent à naître avec certains partenaires français qui se retrouvent à investir majoritairement dans un film qui sera étiqueté majoritairement belge!
Aujourd'hui, si elle veut survivre, une société de production doit produire au moins 1 majoritaire et deux minoritaires sur l'année. Sans compter, que sans même parler de survie, il est triste de constater qu'avec la réputation du cinéma belge, aucune maison de production n'est aujourd'hui capable de passer à la vitesse supérieure, de quitter un mode de fabrication artisanal. En augmentant, cela représente une augmentation des retours, tant pour l'auteur, le producteur que la Communauté dans son ensemble. Si l'on prend en compte les recettes directes et indirectes que génère le tournage d'un film en Belgique on peut chiffrer à 80 millions le retour financier d'un investissement de 20 millions.

R.: Quelles sont les propositions du Collectif 2001?
A.B.: Nous réclamons plusieurs mesures dont la mise en place -enfin!- d'un système de Tax Shelter qui a prouvé dans de nombreux petits pays qu'il représentait une aide très efficace; nous réclamons que la RTBF qui puise la majeure partie du budget réinvestisse dans la culture à une hauteur qui soit plus proche de ce qu'on est en droit d'attendre d'elle; nous réclamons à Bruxelles la mise en place d'un Bruxelles Images, et d'autres mesures comme la taxe sur la billetterie, etc.
Et puis bien sûr, ce pont financier, le troisième collège qui permettra de "calmer la douleur" avant qu'un réel remède ne soit trouvé.

R.: Comment vivez-vous ce manque de moyens dans la poursuite de votre carrière?
A.B.: Je suis très partagé. Mes deux derniers films se sont faits sans argent belge. Avec les Américains, je n'ai même rien demandé ça devait aller très vite, trop vite par rapport à la vitesse à laquelle les projets sont traités en Belgique. Aujourd'hui je suis dans une période d'écriture et de recherche de financement de deux projets, l'un en anglais est un projet de science-fiction où j'aimerai que l'Europe - et surtout la Belgique- soient investies. Le deuxième projet pourrait être 100% français mais là aussi ce n'est pas la solution que je souhaiterai idéalement.  

 

Quelques jours plus tard...

 

R.: Au moment où nous bouclons ce numéro, une délégation du Collectif 2001 a été reçue par le Ministre Miller d'abord, les Ministres Demotte et Hasquin ensuite, et sera reçue prochainement par le ministre des finances Didier Reynders. Quel est votre sentiment par rapport à ces rencontres?
A.B.: Nous avons eu le sentiment d'avoir été entendus, il y a une prise de conscience des difficultés du secteur et une volonté de faire aboutir nos revendications. Nous avons cependant pris conscience que la Communauté française a peu de pouvoirs et de marge de manoeuvre pour l"instant. Si les accords de la Saint-Polycarpe sont signés, il y aura alors des moyens disponibles. Les Ministres Demotte et Hasquin ont obtenu que 25% du refinancement -au lieu de 10 initialement- puissent être réservés au secteur culturel. J'ai eu le sentiment également que les professionnels de l'audiovisuel apparaissaient comme un secteur organisé et pris au sérieux. Les politiques sont conscients que le secteur culturel dépasse le strict cadre de son secteur, qu'il rejoint celui de l'économie et que pour des investissements somme toute dérisoires, il génère des ressources non négligeables.

Cet article paraît dans le numéro 29 (Eté 2000) de Répertoires, le Bulletin de la SACD et de la SCAM-Belgique. Tél. : 32.2.551.03.20 Courriel : infos@sacd.be - infos@scam.be


[1] Ventilation : commission 170 ; aides automatiques 46,1 ; ateliers 50,8 ; co-prod RTBF 46.1.
A ces montants viennent s'ajouter des collaborations de chaînes privées RTL 153 ; Canal + : 86,9 ainsi que l'apport des abonnés au câble 90 et l'apport en coprod de la RTBF 42,6 (frais directs)
[2] Mesures d'incitation fiscales permettant d'encourager l'investissement privé.
[3] voir dossier des professionnels de la création et de la production audiovisuelles ainsi que les propositions de l'UPF

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