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Costume en partage de Mathias Desmarres

Publié le 13/12/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Crise en courts

Après Bye bye caravane et Les mots de Madame Jacquot qui donnaient déjà la parole à ceux qui ne l’ont jamais, le jeune cinéaste Mathias Desmarres signe une chronique de dix minutes forte et poignante : Costume en partage. Primé au festival Media 10-10 comme Meilleur court métrage documentaire, le film s’inscrit dans la collection « Chronique de la crise » initiée par Divine productions.

 

Costume en partageEn 1989, dans un documentaire bouleversant, Johan Van der Keuken achetait un costume à un garçon de café au chômage, un exclu du système faisant partie d’une catégorie que l’on appelait alors « les nouveaux pauvres ». Vingt ans plus tard, le sujet est, malheureusement, toujours d’actualité comme en témoignent les personnages de Costume en partage. À l’heure où l’apparence dicte sa loi, où l’habit fait le moine, Brigitte, couturière au Havre, a mis en place un système de résistance. Spécialisée au départ dans les costumes qu’elle loue pour des fêtes ou des mariages, elle en réserve aujourd’hui d’autres à une clientèle bien particulière.

En échange d’une attestation pour un rendez-vous d’embauche, Brigitte prête, pour le prix du nettoyage à sec, les cravates, vestons, chemises qui permettront aux demandeurs d’emploi de se présenter avec la panoplie adéquate, celle que l’on attend obligatoirement d’eux. Devant le miroir, un premier client, étonné, contemple sa nouvelle image qui lui rappelle son père. Un deuxième, âgé de 47 ans, porte déjà sur le visage l’angoisse d’un énième rendez-vous. Visiblement, ce n’est pas la première fois qu’il a recours au service de Brigitte.

Jamais en distance, toujours à portée de main, la caméra de Mathias Desmarres s’immisce, ici et là, dans l’entrebâillement de la cabine d’essayage, ou s’attarde sur les détails, une main inquiète, un dos retrouvant son assurance. Ainsi, loin d’un didactisme doctrinaire, la prise de position politique du cinéaste ne passe pas par la dénonciation, mais par l’engagement d’une sensibilité, d’un corps tout entier à l’écoute. S’engager politiquement signifie alors s’engager esthétiquement pour se faire témoin et écho d’un monde au présent. Par son jeu sur l’intérieur et l’extérieur, par ses cadrages et décadrages, Costume en partage est avant tout une évocation d’un moment ténu, presque anecdotique et qui, pourtant, renvoie l’image juste et âpre de tout un système. Et le parti pris de Mathias Desmarres effleure à chaque instant, investit chaque plan avec un air d’innocence. Un énorme navire quitte le port du Havre… Promesse de voyage, de changements, pendant que d’autres restent sur place, piétinent et ne parviennent pas à embarquer ? Image d’une délocalisation, d’un monde qui va à vaut l’eau ? Le costume, le soir venu, retrouve, lui, sa place initiale dans la vitrine du magasin.

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