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Court toujours tu m'intéresses, n°1

Publié le 01/12/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Chronique des aventures héroïques et galantes du court métrage pour arriver sans s'égarer jusqu'à vous.
Tout en restant confidentiel, le court métrage est devenu le genre le plus fécond de notre cinéma (146 productions en 1996). Hormis pendant les festivals, les spectateurs n'ont guère l'occasion de voir notre production. D'où l'intérêt de Court toujours, l'initiative de Patrice Bauduinet qui publie une cassette de courts métrages accompagnée d'une revue de 46 pages, elle aussi consacrée aux courts et intitulée Court toujours tu m'intéresses !

Court toujours tu m'intéresses, n°1

C'est une idée qu'il convient de saluer puisqu'elle nous permet de voir trois courts métrages récents, Menteur, Quelque chose et la Dame dans le tram, et de revoir l'une des perles du cinéma underground des années 70, la Fée sanguinaire que nous avions pu voir jadis, dans une copie particulièrement surexposée comme la salle très enfumée au public bigarré d'une séance semi-privée où elle était projetée (dans un centre culturel quelque part près de la Cage aux Ours). L'occasion pour nous de vous présenter ces quatre films, d'en parler autrement et davantage qu'en trois lignes.

 

La Fée sanguinaire de Roland Lethem nous renvoie à la folle ambiance de la fin des années 60. Réalisé, en 1968, peu de temps après le très agité Festival Expérimental 4 de Knokke et les folles journées contestataires de mai, ce film de 24 minutes conte la saga d'une jeune femme qui, surgissant nue d'un container d'huile, telle la Vénus de Botticelli des vagues de l'océan, étouffe une religieuse à l'aide du chapelet qu'elle porte au cou, crève les yeux d'un enfant, émascule son amant afin de pouvoir déposer son vit sans vie dans un bocal. On s'aperçoit que cette fée sanguinaire et révolutionnaire collectionne les appendices masculins célèbres. Ceux de Martin Luther King, Diem, Kennedy ont chacun leur bocal tandis que d'autres bocaux, vides ceux-là, attendent de recevoir ceux de Kossygine, Waldek-Rochet, etc. Le dernier plan nous montre le container contenant la délicieuse créature déposé devant la grille d'entrée du Palais Royal. Film provocant et scandaleux à une époque où montrer une fille nue s'ébattre, les fesses à l'avant-plan, dans une scène érotique était le comble du scandale, La Fée sanguinaire tient bien la route malgré des cadrages approximatifs et des raccords un peu sauvages. En ces temps d'ébullition artistique et sociale, l'esthétique n'était pas la préoccupation majeure de Lethem qui exprimait sa rage plus que sa révolte contre l'hypocrisie d'un monde dans lequel s'insérait la prude Belgique, telle une perle emmaillotée dans une huître ! Sachez qu'à l'époque, dans ce triste pays, les tétons féminins (les tétons, pas les seins), étaient dissimulés aux regards des populations laborieuses par de petites étoiles dorées alors que les tétons de Marie faisaient la joie des petits Jésus de centaines de toiles de la Renaissance dont quelques-unes sont exposées au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles.

 

Quelque chose (1994) est un film rare dont on a envie de conserver, jalousement, le secret de la découverte (on ne va pas vous conter les exploits que nous avons dû accomplir pour arriver à voir ce petit joyau, ce serait trop long bien qu'il y ait là le scénario d'un court métrage). Puisque le film se diffuse, nous sommes obligés de dire et de répéter tout le bien qu'on en pense. La première scène du film de Cathy Mlakar et Jean-Paul De Zaeytijd nous fait découvrir, en plan large, Philémon manipulant un cerf-volant sur une plage déserte. On voit un mec pataud se mouvant avec une lourdeur pleine de grâce, comme prisonnier de lui-même et de la pesanteur terrestre.

Au moment où il prononce d'une voix sourde : "On disait que j'étais le Bon Dieu et que les choses m'obéissaient", le cerf-volant tombe à ses pieds. Tout est dit dans le premier plan quasi emblématique de ce film surprenant d'à peine cinq minutes : un regard d'entomologiste sur le monde, une façon de filmer au microscope des images mentales, d'enregistrer le non-dit (voir le gros plan de Philémon attentif au bourdonnement d'une mouche et aussi les plans capturant le regard que pose Philémon sur les mouches captives du papier tue-mouches, fasciné par le silence animal, on entend sa voix off : "On disait que le monde ce serait de la glu. On disait que tu serais le Bon Dieu et que les mouches seraient les anges", amicalement : "Bonjour Raphaël, Bonjour Michel !, Bonjour Gabriel !"). Cela pourrait être une fable sur la survie de l'espèce brossant le portrait d'un couple détonnant, insectueux. Le tout empreint d'un humour sur le fil du rasoir. Ajoutons que Philippe Lanners alias Bouli (artiste-peintre et comédien que l'on a pu voir arpenter la Croisette grâce au Signaleur de Benoît Mariage) est criant de vérité dans le rôle de cet homme-enfant. Il ne joue pas Philémon, il l'incarne. Le dernier plan, symétrique du premier, nous le montre pataugeant dans le sable mouillé, le cerf-volant à ses pieds, en plan large, off : "On disait que je serais le Bon Dieu et que mes créatures se rebellaient. On disait que je serais un monstre".

 

La Dame dans le tram (1993), scénarisé par Jean-Philippe Laroche et Ariane Le Fort (qui a publié Comment font les gens ?, un beau roman aux Editions du Seuil), se passe dans un tram bruxellois, le 33 Madeleine (inspiré par la chanson de Jacques Brel ?). Une dame munie d'un sac à provision imposant avec armature métallique, lunettes sur le bout du nez, gratte un billet de Presto. Un noir monte et s'assied à côté d'elle, il enlève ses chaussettes. La dame dit en se cramponnant à son sac : "C'est quand même pas des gens comme nous !" et elle ajoute : "C'est pas difficile de se laver!", etc. Ces propos racistes ne provoquent d'autres réactions qu'un silence gêné. Un contrôleur monte et aussitôt, la dame montre son ticket en l'agitant sous le nez du noir qui le lui prend, l'avale et descend à l'arrêt suivant. Lorsque le contrôleur lui réclame son titre de transport la dame au sac se voit contrainte de payer une amende à la STIB. C'est une fable réaliste (l'anecdote serait vraie) qui a l'allure d'un conte moral et qui démontre la supériorité d'une malice élevée au rang des beaux-arts sur l'agressivité et la bêtise. La réalisation est de facture classique, la chute bien amenée.

 

Menteur (1997) réalisé par Damien de Pierpont a obtenu le Grand Prix de la Communauté française de Belgique à Média 10/10 et bien d'autres récompenses. Bien qu'il s'agisse d'un film de fin d'études, il est postérieur à Fin d'été (1995) et à la Supériorité de l'image au niveau de l'excitation (1996). Menteur est un film qui fait la part belle à l'enfance. Lionel, placé dans un foyer pour jeunes délinquants à la suite d'une affaire de drogue, use et abuse du mensonge pour éviter un placement qui lui pend au nez et que serait en droit d'ordonner un juge des enfants. Lionel, joué avec bonheur par Michaël Toch, manipule les adultes, les roule dans la farine avec une bonne humeur contagieuse.
Le premier plan nous montre Lionel de trois quarts face répétant le rôle qu'il va jouer dans le Foyer où il vient d'arriver ("...j'ai pas réfléchi, 2.000 balles et quand les flics se sont ramenés il s'est tiré, j'vous l'jure !, un temps, j'vous l'jure !...j'vous l'jure !"). La caméra pivote autour du visage de Lionel, on le voit de face (un sourire illumine son visage comme un acteur content d'avoir trouvé l'expression juste) puis de profil et enfin de dos, sa tête en amorce, à droite d'un plan qui nous montre l'arrivée de la psychologue ouvrant la porte dans le fond de la pièce, à gauche du cadre et s'asseyant en face de l'enfant. Elle ouvre son dossier d'un air bienveillant. Un oiseau pour le chat, Lionel !.
Que Lionel trompe la psychologue ou les éducateurs (encore que par les temps qui courent accuser un adulte d'attouchements dans les douches ? ), c'est bonnard mais gasp ! voilà-t-il pas qu'il accuse un de ses petits camarades de misère. C'est pas très sympa, le malaise s'installe suivi d'un flash, tatatsouin ! Et si Menteur était un film sur la beauté de l'interprétation ? Lionel comédien et martyr répétant, jouant et triomphant de son rôle ? Et si Menteur était un traité du savoir-mentir à l'usage des jeunes générations ? Un jeu sur le vrai et le vraisemblable, sur le mentir-vrai d'un cinéaste qui comme son héros nous raconte des histoires, affabule ? Menteur est le portrait d'un fabulateur qui file le coton comme le réalisateur la métaphore. Plutôt futé, ce Damien de Pierpont ! Le vertige nous saisit. Menteur justifierait de plus amples commentaires, ce à quoi nous nous refusons, pas par crainte de vous lasser, mais par crainte d'être traité de curé, ce qui avec un tel titre de film serait, pour le coup, un vrai scandale !


Court toujours tu m'intéresses : Patrice Bauduinet et Thierry Zamparutti.
Revue trimestrielle + cassette N°0

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