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Damien Chemin à propos de La Monique de Joseph

Publié le 05/04/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Comptine, Rendez-vous, Poulet-Poulet, Le Généraliste : Damien Chemin poursuit sa belle balade cinématographique en compagnie de La Monique de Joseph, actuellement en tournage à Haulchin. À la pause déjeuner (riz-poisson-gauffre), une conversation menée avec le réalisateur et divertie par son comédien principal, le ludique Jan Hammenecker, se met en place.

Cinergie : Tu souhaitais réaliser La Monique de Joseph avant Le Généraliste mais pour des questions budgétaires, les projets ont été inversés. Est-ce que le succès du Généraliste t’a conforté dans l’idée qu’il fallait faire La Monique ?
Damien Chemin : En fait, beaucoup de gens m’ont dit : « mais enfin, tu l’as déjà fait alors, ça ne vaut pas la peine!» (rires) Mais en fait, ce ne sont pas du tout les mêmes sous-entendus qu’il y avait dans Le Généraliste. C’est un peu la même situation, mais ce n’est pas la même histoire.

C : Comment abordes-tu ce tournage ?
D.C. : Ce qui est très différent des autres films, c’est qu’ici, il y a beaucoup de séquences, alors qu’en général, je m’attarde en gros sur une séquence, une idée principale, un lieu. Ici, il y a beaucoup de lieux et d’acteurs différents. Donc, de ce point de vue-là, c’est très bien pour moi ! Et puis, il y a un parti pris surréaliste très marqué, et un langage assez différent de ce que je fais d’habitude. Par exemple, Le Généraliste restait relativement réaliste dans la façon de découper, de cadrer, etc. En tout cas, j’apprends des choses très différentes. Alors, c’est vrai que quelque part, je pense que ça ressemble plus au travail qu’on fait sur un long métrage.

C : Pour Le Généraliste, tu disais que tu n’avais pas tellement de références mais que tu avais précisé à ton chef op’ de penser aux Amours d’une blonde [Milos Forman]. Je voudrais savoir si cette fois, tu as changé de références.
D.C. : Oui. Pour ce film-ci, il n’y avait pas de références esthétiques précises, si ce n’est une référence picturale : j’aime bien le côté un peu brut des peintures de Vermeer ou d’Ensor. Par exemple, j’ai cherché dans le choix des décors et des lieux de tournage un appauvrissement de couleurs. Pour faire certaines scènes en extérieur, on a choisi des champs boueux pour retirer des couleurs vives, végétales.

C : Généralement, dans tes films, le grand décalage entre le verbe et l’image entretient l’idée de surréalisme. Est-ce que cet écart est encore maintenu ?
D.C. : Ce n’est pas vraiment la même approche. Ce film-ci est presque un film muet : il y a très peu de dialogues. Puis, tout à coup, il y a un contraste : il y a des personnages très bavards. Ça m’amusait de mélanger un peu les genres.

C : Est-ce que tu sens que tu abordes les cadres différemment ?
D.C. : Disons que dans Le Généraliste, je voulais que ça soit très plat, que ça soit filmé presque comme un téléfilm, donc que ce soit relativement inintéressant du point de vue de l’image. Ici, j’espère qu’il y a chaque fois, dans chaque image, quelque chose d’un peu poétique.

Petite diversion : Jan Hammenecker s’installe, à table, une assiette à la main. Tout le monde sourit.

C : On va entendre manger le comédien principal (rires) !
Jan Hammenecker : Mais non… Mais… mais… !
D.C. : Bon, on va tourner le micro…
J.H. : Sinon, tu vas juste entendre, en réécoutant l’interview, un type qui mange ! Et pas de Damien !
C : Je voudrais que tu me parles du choix de tes comédiens.  On en a justement un en train de manger ! C’est la première fois que tu travailles avec Jan ?
J.H. : Je peux parler ?

C : Non, continue à mâcher (rires) !

 D.C. : En fait, ce n’est pas le premier travail. Il y a bien longtemps, j’ai fait un petit feuilleton, « L’oreille internée », pour Radio Campus, à l’ULB. Jan jouait un policier un peu désabusé (sourire). Pour tout dire, à l’origine, pour La Monique de Joseph, je cherchais un paysan wallon, mais je n’ai pas vraiment trouvé d’acteur qui me plaisait et qui semblait faire partie de cette famille. Et puis, j’ai fait un essai avec Jan. Comme ça a vraiment bien marché avec lui, je me suis dit qu’on allait en faire un paysan flamand.
Et Vera [Van Dooren] est flamande aussi ; ça me plaisait qu’elle ait un accent parce que comme elle est sous une tête de biche, je trouvais comique que sa voix ait quelque chose d’un peu exotique, d’un peu spécial. Alors, maintenant, une partie des dialogues entre eux est en flamand parce que je ne voulais pas non plus que deux flamands se parlent en français.
Donc, le choix des comédiens… Il me semble que quand on fait le casting d’un film, on fait en partie le film. Pour les personnages principaux mais pas seulement. En choisissant une brochette de comédiens, je crois qu’on établit le style, le langage du film. Je me dis : « tiens, dans quel univers est-on ? Quels comédiens pourraient s’intégrer dans ce film ? »

C : Comment Carlo [Ferrante] et Vera continuent-ils encore à t’étonner ?
D.C. : C’est intéressant avec des comédiens qui ont beaucoup de personnalité d’explorer des choses différentes. C’est comme pour Jan : il peut faire un flic désabusé et puis, un agriculteur. Je trouve que ce sont des comédiens qui sont très capables de gérer les genres de façon très nuancée.

C : C’est-à-dire qu’ils sont dans la retenue mais en même temps, fondamentalement expressifs ?
D.C. : Oui. Je pense que sur ce film-ci, tous les comédiens pourraient être des clowns et en même temps, ils sont capables d’être très touchants, très humains. C’est ce que je vois chez Vera qui a un certain charme et qui est en même temps très comique. Carlo, Jan, tous les comédiens ont cette ambiguïté que moi, j’aime beaucoup : ils sont un peu sur le fil.
Ça m’amuse beaucoup plus de travailler avec des comédiens comme ça par rapport à l’univers que j’ai envie de développer qu’avec des comédiens extrêmement dramatiques, par exemple.

C : Un élément remarqué aujourd’hui sur le plateau : tu diriges tes comédiens, mais en même temps, tu les laisses être eux-mêmes car tu les connais et après tout, ils ont déjà fait leurs preuves.
D.C. : Oui. Ce qui est un peu différent sur ce tournage-ci, c’est qu’on n’a pas assez de temps du tout. Donc, c’est vrai que pour moi, c’est précieux d’avoir l’expérience des courts précédents pour avoir déjà travaillé avec plusieurs acteurs du film : j’ai déjà un peu l’habitude de travailler avec eux donc, on peut se comprendre très vite. Et puis, je suis étonné de la rapidité de Jan : il mémorise tout de suite les modifications et en général, il n’y a pas de mauvaise prise.

C :   Finalement, tu aimes travailler en famille.
D.C. : Oui. C’est une sensation assez agréable qui ne se vit pas seulement avec les comédiens mais aussi avec l’équipe technique. Quand tu commences à connaître les gens, c’est agréable de manière générale (sourire) et puis, il y a des choses qu’on ne doit pas expliquer de long en large car elles paraissent naturelles.

C : Est-ce que tu crois que tu en as terminé avec le format court ?  
D.C. : En fait, je me suis dit - mais c’est peut-être un mensonge - que ce serait le dernier court que je ferais pour des raisons y compris économiques : malheureusement, on ne vit pas très bien en réalisant des courts. Et là, j’ai obtenu l’aide à l’écriture pour un long métrage donc, je vais me lancer…

C : Ah… Tu as déjà une idée de sujet ?
D.C. : Ah oui sinon, je n’aurais pas obtenu d’aides (rires) !

C : Oui… Bon, c’est une façon détournée de te demander de quoi il s’agit (rires) !
D.C. : À vrai dire, je n’ai qu’un embryon de synopsis. J’aimerais faire un film qui raconte l’histoire de deux personnages, qui, pendant le Moyen Âge, sont envoyés en mission à travers la campagne. Ce n’est pas du tout le Moyen Âge des chevaliers et des princesses mais plutôt celui des bouseux et des miséreux. Leur mission devient complètement absurde parce que durant leur voyage, les territoires et les alliances se modifient. Donc, c’est une sorte de film d’aventure mais avec un fond très humain, parce que c’est surtout le parcours d’un personnage principal, un soldat qui va découvrir que sa loyauté est absurde et que l’objet même de la mission devient tout à fait caduc.

C : Alors, la question corollaire : est-ce que tu as un titre en tête ?
D.C. : Oui, j’ai un très mauvais titre pour l’instant qui va sûrement changer : pour le moment, ça s’appelle Le Miracle du lapin ressuscité (rires) !
J.H. : Mais des lapins flamands ou des lapins euh… (rires).
D.C. : Ben, je ne sais pas trop dans quel territoire géographique ça va se passer mais j’aimerais bien qu’effectivement que ça se passe dans le Nord de l’Europe et qu’on traverse plein de paysages linguistiques.

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