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Rencontre avec Damien Collet

Publié le 15/07/2015 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Entrevue

Il arrive bien à l’heure, Damien Collet. Il a sa casquette de gavroche vissée sur la tête, son look de titi parisien et il pose de-ci de-là, ses grands yeux bleu pâle étonnés sur ce qu’il regarde. Il parle tout doucement Damien Collet, il chuchote presque, mais assez vite, avec assurance et vivacité. Il n’a pas trop envie qu’on le filme lui qui filme les autres, lui, qui les peint et les dessine parfois.

Rencontre avec un cinéaste-musicien-parolier-scénariste-monteur-dessinateur. On raconte qu’il lui arrive même d’écrire des alexandrins.  

Rencontre avec Damien Collet

C. : Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Où vas-tu Damien Collet ?!

Damien Collet : (Rires) Je viens de France. Plus précisément de Lyon. J’ai fait des études qui combinaient enseignement général et musique puis j’ai passé un bac scientifique qui proposait une vague option cinéma avant de m’installer à Bruxelles pour faire une école de cinéma : l’INRACI.

 

C. : Pourquoi l’INRACI ?

D.C. : J’ai fait un an dans une autre école, l’IAD pour tout dire, mais en fait, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais dans cette école qui est peut-être plus… « artistique ». Je ne voulais pas qu’on me dise quoi dire, mais comment le dire. J’avais besoin de cadres et d’outils. J’ai donc décidé de me tourner vers un enseignement plus technique et je suis entré à l’INRACI en 2002.

 

C. : Avec quel film as-tu terminé cette école ?

D. C. : J’ai réalisé un court-métrage intitulé Le sens de l’orientation, avec Christelle Cornil. C’est grâce à ce film que j’ai rencontré Christelle, sur le casting, et ça a tout de suite collé entre nous. C’est important pour moi de travailler avec des gens que j’aime, de constituer une sorte de « famille ». Du coup, sur la fiction suivante, À Peine, c’est elle qui a interprété le rôle principal.

 

C. : Ce deuxième court-métrage a beaucoup tourné en festival. Il parle d’un moment douloureux, celui où une famille se réunit autour de la mort d’un père. Ça semble une histoire très personnelle…

D. C. : Oui, je me suis inspiré de l’enterrement de mon grand-père. Mon grand-père vivait à Paris. Tous les membres de la famille étaient éparpillés en France, et on s’est tous rejoint chez ma grand-mère pour l’enterrement. Le matin, lorsque tout le monde s’est réveillé, je me suis rendu compte qu’il y avait un tas d’enjeux de pouvoir que je n’aurais jamais soupçonnés. Mon grand-père avait laissé une place vide et des choses se révélaient sur de tous petits détails… du genre : Qui choisit le chemin pour aller au cimetière ? Ou encore : Qui va prendre sa douche en premier ? On ne se rend pas compte combien ces choses minuscules peuvent en dire très, très long… 

 

C. : Il y a une scène assez particulière dans ce film sur la famille, une scène dans laquelle Christelle Cornil craque dans la cuisine et commence à chanter une chanson.

D.C. : En effet… Le personnage qu’interprète Christelle pète un câble et se met à chanter une chanson que j’ai écrite avec Frédéric Hahn. La musique a une très grande importance pour moi. D’abord, elle fait partie de la formation que j’ai reçue très jeune. J’ai appris la flûte traversière. Et puis il faut dire que je suis très influencé par les films musicaux… On peut dire qu’il y a dans ce film une sorte de « bout » de comédie musicale. 

 

C. : Les films musicaux, mais surtout Jacques Demy !

D.C. : Jacques Demy oui ! Jacques Demy est entré très très tôt dans ma vie. C’est la première VHS que j’ai reçue enfant. C’est ma grand-mère qui me l’avait offerte. C’était Les demoiselles de Rochefort. J’ai des souvenirs très précis : le film passe sur la télé de mes parents, je suis dans ma chambre, je reconnais les voix et ça me permet de suivre le film que je connais par cœur en imagination. 

 

C. : Et cet amour d’enfant ne t’a pas quitté et a donné naissance à la Demi-saison, un film qui rend hommage à son cinéma.

D.C. : D’ailleurs, je pense que dans ce film de 12 minutes, il y a une allusion à tous les films de Jacques Demy sans exception… et presque autant à ceux d’Agnès Varda qui a été sa femme. Et c’est une fois encore Christelle Cornil qui fait la voix off féminine sur La demi Saison. En réalité, je travaille un peu comme Demy, avec des actrices récurrentes (rires)… 

 

C. : Peux-tu nous parler aussi de la magnifique voix off masculine ?

D. C. : C’est encore grâce à Christelle, car c’est elle qui a pensé à Simon Duprez en le voyant jouer au théâtre. Simon est un acteur français qui vit en Belgique et qui travaille beaucoup pour le théâtre. Il fait aussi des pièces audio sur France Culture. Ça me semblait important de prendre quelqu’un qui sache vraiment dire un texte en alexandrin et qui soit capable de s’en détacher, de donner un rythme parlé, très quotidien. Il faut avoir beaucoup d’expérience pour pouvoir faire ça et je trouve qu’il a très bien réussi. 

 

C. : Le choix de l’alexandrin est directement inspiré d’une des scènes parlée dans Les demoiselles de Rochefort.

D.C. : C’est une scène que j’adore et qui est très déconcertante. C’est une scène de dîner où les propos sont très quotidiens : on découpe le gâteau etc…, mais c’est en alexandrin ! On se rend compte vraiment à ce moment-là que le film est chanté. On nous a posé dans une réalité, et là, ils devraient chanter, et ils ne le font pas.

 

C. : C’est une scène qui apparaît irréelle, assez magique et d’ailleurs comme par hasard, pour évoquer le cinéma de Jacques Demy, tu as décidé de passer pour la première fois au cinéma d’animation avec un procédé assez particulier…

D.C. : Oui, c’est la première fois que je faisais de l’animation. J’étais assez seul sur ce projet, d’autant plus que j’ai écrit le scénario, exécuté les dessins et composé la musique. C’est un peu bizarre parce que je n’ai aucune expérience en animation, et donc je me sens très très illégitime, même pour en parler. Je sais quel mot je rattache à la technique que j’ai utilisée, mais apparemment ce n’est pas tout à fait juste. C’est le mot « rotoscopie », qui consiste à prendre les contours d'une figure filmée image par image pour transcrire sa forme et ses actions. Moi, j’ai pris deux personnes qui ressemblaient à ceux que je voulais mettre en scène et j’ai filmé tous leurs mouvements dans mon salon. Et puis, j’ai tout redessiné, plan par plan en fonction de leurs mouvements réels parce que je voulais que ce soit le plus réaliste possible et aussi parce que je suis incapable de découper un mouvement sans avoir un modèle. J’imagine que ça s’apprend, enfin j’espère que je pourrai y arriver un jour… Bref ! Depuis que je dis que j’ai fait de la « rotoscopie », on m’explique que non, que j’ai dessiné d’après les images, et non sur les images, donc je n’ai pas fait de rotoscopie ! En plus, j’ai tout dessiné plan par plan, à 25 images secondes mais c’était aussi une erreur apparemment car tout le monde fait du 17 en animation ! Mais voilà, moi c’est comme ça que j’ai travaillé et je pense que les 25 images secondes participent au fait qu’il y ait une grande impression de réel. 

 

C. : Tu n’avais jamais fait d’animation, mais visiblement, tu sais quand même dessiner !

D.C. : Oui, ça, ça vient de mon père qui est peintre. Enfin, peintre du dimanche ! Ce n’est pas péjoratif quand je dis ça, c’est simplement qu’il peint énormément mais il n’en vit pas. Il nous a toujours beaucoup encouragés. Le moindre dessins que je faisais, même tout pourri, il me disait que c’était bien, que je pouvais peut-être l’améliorer de cette façon ou comme ça… J’ai toujours dessiné, et aujourd’hui, je suis moi-même un peintre du dimanche. Je peins régulièrement et j’adore la peinture…

 

C : Et du coup, nous arrivons à ton dernier film… Untitled, qui est un film qui s’intéresse à l’histoire de l’art, et beaucoup à la peinture.

D.C. : Oui, le film tourne autour de ça, mais je ne me considère pas du tout comme un spécialiste de l’histoire de l’art. C’est assez amusant d’ailleurs parce que le film a été sélectionné au dernier festival du court-métrage à Bruxelles et en parlant avec le public, je me suis rendu compte que des choses qui pour moi étaient évidentes ne l’étaient pas forcément pour d’autres. En fait, ce que je croyais être une histoire universelle, que l’on portait tous plus ou moins en nous, ne l’est absolument pas.

Par exemple, si je dis « Duchamp », je m’aperçois que très peu de gens le connaissent. Ou encore Jasper Johns et ses drapeaux… Ce que je veux dire, c’est que je pensais avoir utilisé dans ce film des éléments immédiatement reconnaissables par tout le monde, et en fait ce n’est pas le cas.

 

C. : Est-ce que cela empêche la compréhension ?

D.C. : Le fait de ne pas reconnaître les œuvres qui sont montrées n’empêche visiblement pas de comprendre et d’apprécier le film. La trame narrative reste apparemment lisible, mais il est certain que si l’on ne connaît pas les œuvres, on rate les clins d’œil et les allusions… mais dans la salle les gens riaient, ils étaient intéressés. Ils voulaient « googeler» puis revoir le film !

 

C. : Peux-tu décrire le procédé que tu as utilisé ?

D.C. : Ce sont des prises de vues réelles dans lesquelles j’ai intégré les œuvres… enfin, les images des œuvres. Elles sont comme collées, superposées aux prises de vue de New York. Le personnage principal est du dessin. En gros, j’ai filmé les vues de New York en trois jours et j’ai passé un an à régler tous les problèmes que j’ai rencontrés ! 

 

C. : Comment est venue l’idée de faire parler des œuvres d’art ?

D. C. : Ça m’est venu lors d’un voyage à New York . J’étais allé rendre visite à un ami et en arrivant là-bas, je me suis retrouvé, comme souvent, devant un choix à faire, faute de temps : visiter la ville, ou bien visiter les musées. Voilà ! J’étais à New York, LA ville du street art et c’était encore plus absurde ! S’il doit y avoir une ville où l’on ne doit pas choisir, c’est bien New York ! Ca m’a donné l’idée du film : et si les œuvres avaient la parole, que diraient-elles de ça ? Que diraient-elles d’être cantonnées aux musées ? 

 

C. : Et de là, ça te permet d’interroger le droit d’auteur ? Le droit à l’image ?

D.C. : Oui. Prenons Les Demoiselles d’Avignon de Picasso. Ce tableau est un pan de l’histoire de l’art. L’humanité a décidé que ç’en était un et en même temps il est toujours sous droit d’auteur et ne peut pas être utilisé ! C’est un peu comme si on ne pouvait plus parler de la bataille de Waterloo parce que le général Untel n’était pas mort depuis 70 ans ! Je dis 70 ans parce que c’est le délai des droits d’auteur. Ça ne peut pas être à la fois la base de notre culture et être caché pour la majorité des gens ! Je voulais poser ces questions-là à travers le regard des œuvres. 

 

C. : Et que penses tu alors du Google Art Project ? Les musées virtuels sur Internet ?

D. C. : Je ne connais pas… mais je pense que c’est logique ! C’est sûr qu’aujourd’hui, avec Internet celui qui ignore l’existence des Demoiselles d’Avignon… Internet permet ça, il peut être une sorte de musée géant ! Après il faut être clair, ce ne sont toujours pas les œuvres ! C’est de l’histoire de l’art, mais ce ne sont pas les œuvres. Un Rothko sur un écran d’ordinateur, sans sa taille réelle, c’est juste des taches de couleurs ! On pourra étudier sa structure, son rythme, mais on ne pourra pas sentir ce qu’il a à dire, même si l’image est en hyper bonne résolution.

 

C. : Le film fait référence au droit à l’image mais aussi au statut d’artiste…

D.C. : Moi, je n’ai pas le statut d’artiste, je n’ai pas de statut du tout. Je produis mes films avec Lentillebioptic une association que nous avons montée avec des anciens de l’Inraci. S’il doit y avoir une sous-couche plus « politique », plus que de parler du statut des artistes, ce serait plutôt la liberté tout court. Le mélange de toutes les voix que l’on entend (Anglais, Italien, Mexicains) renvoient aux différentes vagues d’immigration. Le film ne revendique rien, mais il y a une sous-couche qui interroge la place des gens, la libre circulation des personnes à travers une forme et un sujet joyeux.

 


 

Sons : Laura se réveille

https://myspace.com/frederic-hahn/music/song/laura-se-r-veille-91353383-101546999

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