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Dans le cochon tout est bon d'Iris Alexandre

Publié le 15/06/2012 par Sarah Pialeprat et Arnaud Crespeigne / Catégorie: Entrevue

De l’art ou du cochon ?

Avec son film d’animation Dans le cochon tout est bon, la jeune réalisatrice Iris Alexandre a séduit le jury et obtenu le prix Cinergie. De la pâte à modeler, une musique dix-huitièmiste, beaucoup d’humour et une idée pas banale, animer une nature morte, très morte… Rencontre avec la jeune cinéaste qui nous dévoile sa recette de fabrication.

Végétarienne ou omnivore ?

Cinergie : Qu’est-ce qui t’a conduite à La Cambre ?
Iris Alexandre : Je suis française et, dans un premier temps, j’ai présenté des écoles en France où je n’ai pas réussi à entrer. Il faut aussi dire qu’en France, il n’existe pas beaucoup de formations publiques en animation, à part quelques écoles très sélectives qui sont souvent des écoles post cursus pour des gens qui ont déjà une formation d’animateur. Un prof français m’avait parlé de la Belgique, de St Luc, de la Cambre. J’ai décidé de venir et j’ai présenté les deux, à Liège et Bruxelles. J’ai été prise à la Cambre.

C. : Et qu’avais-tu comme formation avant ça ?
I. A. : Mes parents habitent à la campagne, au fin fond de l’Auvergne, et le lycée où j’allais proposait un tas d’options artistiques. C’est comme ça que tout a commencé. J’ai passé un bac scientifique, physique chimie, mais avec une option théâtre et cinéma - audiovisuel. J’ai suivi cette option cinéma pendant trois ans au lycée. C’est là que j’ai vraiment découvert l’animation, surtout grâce à une formation donnée par une intervenante du studio d’animation Folimage. Elle nous a montré le grattage sur pellicule et la pâte à modeler, et là je me suis dit « Voilà, c’est ça ! ». En sortant du bac, j’ai d’abord fait deux années de prépa, puis j’ai pris le train pour Bruxelles.

 

Iris Alexandre, réalisatrice animatrice de Tout est bon dans le cochon

C. : Tu es diplômée aujourd’hui, ce qui signifie que ce film, Dans le cochon tout est bon qui a été présenté à Anima, est ton  film de fin d’études?
I. A. : Oui. À la Cambre, en première et deuxième année, on nous demande de faire plutôt des exercices. J’ai fait un tout petit film adapté d’une nouvelle qui était imposée à toute la classe. À ma grande surprise, ce petit exercice a pas mal tourné en festival. Ensuite, à partir de la troisième année, on réalise un vrai court métrage. Mon film de troisième année, Trébuchet, une petite animation très simple crayon sur papier, avait aussi tourné dans le monde entier.
J’ai co réalisé Entaché avec une camarade de classe, un film en pâte à modeler en quatrième année. J’ai beaucoup aimé cette technique, et je me suis donc lancée seule avec Dans le cochon tout est bon en dernière année.

photo Dans le cochon tout est bon

 

C. : Et de quoi est née cette envie de parler du cochon ? C’est un idée un peu étrange non ?
I. A. : Bon, je savais déjà que j’avais envie de faire de la stop motion. L’année d’avant, j’avais donc expérimenté cette technique avec Entaché et j’avais l’impression de ne pas avoir eu le temps de tester tout ce que je voulais. C’est donc la technique au départ qui m’a motivée. Je ne sais pas très bien comment j’en suis arrivée là. J’ai vu des films de Peter Greenaway, en particulier Drowning by numbers et The Cook, the thief, his wife and her lover, et je crois que ça m’a inspiré. Je ne sais pas… J’avais en tout cas envie de parler de bouffe, j’avais envie d’un banquet. Il y avait aussi Le Festin de Babette de Gabriel Axel qui m’avait marqué. Ça a été tout ça le point de départ… Puis, ensuite, est venue l’aspect chorégraphique en voyant un film d’animation de Guionne Leroy sur l’opéra de Verdi, La Traviata. En discutant un peu avec les profs, je me suis rendu compte que j’avais déjà participé à des Saint Cochon, la journée consacrée à la tuerie et à la préparation du boudin. J’avais envie d’aborder ce sujet.

 

C. : C’est un film contre les carnivores ?
I. A. : Non non, pas du tout ! Je ne voulais pas faire un film pro végétarien, je mange de la viande et d’ailleurs, je pense que ça se voit dans le film, j’adore la charcuterie ! J’ai un frère végétarien, et le film ne l’a pas choqué. Au contraire, j’ai eu des spectateurs qui mangent de la viande et qui n’ont pas aimé voir l’abattage du cochon… Beaucoup de gens mangent de la viande sans vraiment se demander d’où ça vient. Moi, ça me semble juste important de savoir d’où vient ce qu’on mange. J’ai assisté à l’abattage du cochon, mais ça ne m’a pas empêché de manger de délicieuses chipolatas juste après.

C. : Combien de temps a-t-il fallu pour faire le film ?
I. A. : L’écriture a commencé vers le mois de novembre. On a commencé à tout installer au mois de janvier et le tournage a débuté en février. J'ai tourné jusqu’au début du mois de juin. Il a fallu quatre mois d’animation.

 

Iris Alexandre, tout est bon dans le cochonC. : Peux-tu expliquer la façon dont tu as travaillé ?
I. A. : La technique principale, c’est la stop motion, donc image par image. C’est une technique qui peut s’appliquer aux marionnettes, aux objets, à la pâte à modeler. Moi, j’ai essentiellement travaillé avec la pâte à modeler et puis avec quelques objets comme des dentelles, des rubans, des fils…. Le principe, c’est une position, une photo, une autre position, une photo et ça, 25 fois par seconde…
J’ai aussi utilisé des poudres et des herbes, mais faire voler de la poudre image par image, c’est juste infaisable. J’ai donc utilisé un banc titre, c’est-à-dire une caméra à la verticale, sur un fond noir où j’animais mes paillettes, mes herbes de Provence avec un pinceau. Je les ai ensuite ajoutés à l’image. C’étaient les seuls trucages, tout le reste a été fait devant la caméra.
La plasticine, c’est une technique formidable, parce qu’on peut faire tout ce qu’on veut. L' inconvénient, c’est que ça se salit très très vite. Il faut donc être très minutieux.

 

C. : Et de quelle taille étaient les éléments ?
I. A. : En fait, il a fallu sans cesse changer les échelles. Tout ce que j’anime doit avoir la taille de mes mains. Le cochon dans son intégralité faisait environ 25 cm et une paupiette, par exemple, 5 cm.
J’ai commencé mon film sur des séquences en prises de vues réelles, avec l’abattage du cochon, et je voulais terminer avec une image sur de la vraie charcuterie. J’ai donc substitué toutes les pièces en pâte à modeler par de la viande. Pour faire cette substitution du faux au vrai, là tout devait être à l’échelle 1, c’est à dire que la tranche de jambon en plasticine devait avoir la même taille que la tranche de jambon réelle qui venait la remplacer.

 

C. : La lumière a aussi une importance primordiale dans ce film ?
I. A. : Oui. Je voulais vraiment animer une nature morte. Dès qu’on dispose de la nourriture sur une table, on pense immédiatement à la peinture, à la photo, et les lumières sont super importantes. J’ai eu la chance inouïe de travailler avec une super chef op’, Ombeline Tamboise, qui a fait toutes mes lumières sur le plateau.
Il faut dire que le film a bénéficié de la collaboration entre l’INSAS et la Cambre et qu'il y a eu coopération à plusieurs niveaux, comme avec Frédéric-Pierre Saget qui a fait le montage.

 

C. : Et la musique ?
tout est bon dans le cochon, filmI. A. : Elle est signée Michel Capelier qui est un ami de ma famille. Mes grands-parents sont tous les deux musiciens et sont amis avec Michel qui me connaît depuis que je suis toute petite. Il a été formidable parce que j’avais un premier compositeur qui m’a lâché en cours de route, et je me suis retrouvée sans personne à trois semaines de l’enregistrement. Michel m’a tout de suite répondu oui et m’a composé ce que je voulais très rapidement. Au début, il avait composé des morceaux pour un orchestre donc je lui ai dit qu’il fallait réduire un peu les instruments parce que je n’allais pas pouvoir réunir un orchestre en 15 jours ! Il a fait des adaptations. Il a décliné un même thème une fois en mineur, une fois en majeur avec différents instruments et différentes tonalités. 
Il était primordial pour moi d’avoir la musique avant d’animer, car je voulais calquer les chorégraphies sur l'enregistrement. La musique est interprétée entre autres par des étudiants du Conservatoire de musique de Bruxelles, et c’était aussi une très belle collaboration.

 

C. : Tu as aussi travaillé avec un boucher ?
I. A. : Pas vraiment… J’ai découvert les abattoirs d’Anderlecht ! J’y suis allée avec un gros sac, et je l’ai rempli de charcuteries, d’une tête de cochon etc. C’était assez compliqué de travailler ces produits avec les lumières, la chaleur. J’avais des pains de glace, il fallait tout mettre au frigo et tout ressortir au dernier moment. Il a vraiment fallut se dépêcher ! Du coup, on n’a pas pu tout manger après le tournage car par exemple ce qui était frais n’était plus consommable. On s'est quand même fait plaisir avec les charcuteries !

 

C. : Ton prochain film sera en pâte à modeler ?
I. A. : Ce n’est pas sûr… Idem pour la stop motion, j’aime beaucoup ça, mais je n’ai pas envie de ne faire que ça ! Et pour l’instant, j’ai une idée qui ne se prête pas du tout à cette technique.

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