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Daratt (saison sèche) de Mahamat Saleh Haroun

Publié le 12/01/2007 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Alors que la guerre civile y a sévi pendant de longues années, le Tchad est aujourd’hui de nouveau au bord de l’implosion. Avec Daratt (saison sèche), Mahamat-Saleh Haroun s’empare de l’histoire de son pays pour réaliser une fable atemporelle et politique, un film dur et rêche, limpide comme le désert écrasé de soleil de ses dernières images.

Orestie africaine

cover Daratt saison sècheLe vieil homme confie un revolver à son petit-fils et lui demande d’aller tuer l’assassin de son fils : pour lui, là où l’Etat a manqué à ses devoirs de justice, l’acte individuel de la vengeance doit rétablir l’ordre. L’arme, qui vient prendre la place du maillon assassiné, impose à l’enfant sa place dans une filiation, son destin dans l’histoire collective.Dans un petit village, Atim guide son grand père aveugle. Ils attendent le bulletin d’information de la radio qui proclame bientôt l’amnistie générale pour tous les criminels de guerre. Cette annonce est une fiction, une hypothèse fragile dans un après-guerre imaginaire. Elle amorce la question au cœur du film : « Comment allons-nous vivre avec notre histoire ? ».
Entre son ouverture, récit d’un départ à la ville et sa fermeture, retour au désert, l’histoire se déroule dans la maison de l’assassin, entre les rues de son quartier, la cour de sa maison et les coins sombres de son atelier, dérivant peu à peu vers le face à face d’un huis clos épuré et silencieux. A la ville, devenu boulanger, l’assassin ressasse une pâte qu’il vend tant bien que mal, en prise, comme le monde, au nouvel ordre mondial de la concurrence. En fin de journée, il distribue quelques bouts de pain à des enfants mendiants. Cette aumône, le jeune homme la refuse pour se faire embaucher comme apprenti et observer sa proie. Nassara, grand corps malade et seul, ne parle plus que par l’intermédiaire d’un appareil qu’il se met lui-même sous la gorge, à l’endroit d’une ancienne coupure qui l’a laissé sans voix. S’il vit librement, son passé tout entier est gravé dans sa chair, jusque dans ses yeux rageurs, sa violence nerveuse, son mutisme. Avec lui, Atim engage un duel silencieux.  Ils se tournent autour, s’épient, se provoquent, se testent. Entre-eux aussi, le revolver va venir marquer la place du mort. Mais par le métier, quelque chose passe.
Inévitablement, on pense au film des Dardenne. Le Fils était un face à face entre un père et l’assassin de son fils. Daratt est un face à face entre un fils et l’assassin de son père. Et jusqu’au bout, jusqu’à la dernière seconde, on ne saura pas, ici non plus, ce qui va l’emporter dans l’intimité du personnage, le pardon ou la vengeance, la raison privée ou l’ordre public. C’est que Daratt met en jeu, à la manière de la tragédie, le destin d’une histoire sans fin, où barbarie et vertu s’engendrent et s’entremêlent sans cesse, où le droit est toujours l’enjeu d’une lutte entre deux justices ennemies, celle des hommes et celle des dieux. Mais parce qu’ici les dieux sont muets et l’Etat désert, tout se joue, comme dans un western, entre les mains d’un seul, impénétrable et silencieux sous un soleil de plomb.extrait - image Daratt saison sèche
Alors la résolution du film est époustouflante. Dans ses notes d’intentions, Mahamat-Saleh Haroun s’interroge : « c’est quoi tuer un homme ? ». Si tout le film suit pas à pas Atim dans ce cheminement, la fin sera aussi l’avènement de l’homme dans le jeune garçon. Grâce à une mise en scène de mise à mort, il fonde la loi, parvenant à assumer sa filiation et son histoire, à concilier pardon et punition, devoir de mémoire et oubli, mort et vie. Meurtre, vengeance et justice sont précipités en ce seul instant, comme les trois temps d’une Orestie aride et muette. Un final superbe dans le désert, cet espace du mythe fondateur, comme dans un western, « cet immense espace du (re)commencement », dit Haroun.
Daratt (saison sèche), Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise 2006, une distribution de Cinéart.

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