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De Behandeling d'Hans Herbots

Publié le 15/02/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Traitement de choc

Avec De Behandeling (« Le Traitement »), Hans Herbots s'empare d'un sujet ultra sensible, la pédophilie, et réalise un thriller haletant, sombre et éprouvant. Il tisse deux intrigues, pour plonger le beau, jeune et brillant flic interprété par Geert Van Rampelberg, dans l'horreur d'un cas à résoudre aujourd'hui, maintenant, le plus vite possible (on sue donc à grosses gouttes). Et dans un vieux et sale trauma nauséabond qui remonte. Une vraie descente aux enfers digne d'un bon vieux Alan Parker. Du polar noir, très noir, plutôt bien foutu dont on ne sort pas tout à fait indemne.

De Behandeling d'Hans Herbots ave Geert van RampelbergPeu connu des écrans francophones, Hans Herbots est une figure du cinéma flamand. Il a beaucoup tourné pour la télévision, a réalisé plusieurs séries et deux de ses films, - en 2005, son second long métrage, Verlengd Weekend, et l'année suivante, Windkracht 10 – Koksijde Rescue, - sont entrés dans les records du box-office flamand. Autrement dit, Hans Herbots est un faiseur, comme le système hollywoodien sait si bien les produire, un réalisateur talentueux qui a le sens du spectaculaire, qui connaît les rouages de la mécanique, en use (et en abuse), et réussit des films bien ficelés et alléchants en cultivant une prédilection pour le polar noir. Mais si De Behandeling est un film de petit surdoué du cinoche, ce qui peut déjà faire bien plaisir, il a un quelque chose en plus qui laisse un goût salement amer après deux heures de projection.

Adapté du roman de Mo Hayder, L'homme du soir, Le traitement s'ouvre sur des images hallucinées qui persécutent Nick, les souvenirs toujours vivaces de la disparition de son frère quand il était enfant. Deux gosses qui, innocemment, jouent aux Indiens près d'une voie ferrée, et c'est toutes les aventures de Marc Twain qui ressurgissent. Sauf qu'on est plutôt chez Huckleberry Finn et que Jo l'Indien est à leurs trousses. Le film se rythme sur ces images de la disparition, les égrène comme un lamento entêtant. Et l'homme soupçonné à l'époque, mais relâché faute de preuves, vient régulièrement hanter sa matière. De Behandeling construit ainsi une temporalité bloquée, hallucinée, une sorte de cauchemar éveillé où Nick se débat avec sa culpabilité, sa colère et son impuissance. Jusqu'à ce qu'une famille séquestrée pendant trois jours soit découverte, que leur petit garçon soit porté disparu, et qu'une autre chasse à l'homme commence. Dans le parc, à nouveau, le flic part aux trousses de ses fantômes. L'angoisse et la rage trouvent des exutoires. Toujours en mouvement, en course, en déplacement, Nick va lutter et se débattre comme un forcené avec ses propres terreurs d'enfant.

De Behandeling d'Hans HerbotsHaletant, sans temps morts, De Behandeling rebondit de suspens en suspens, de personnages douteux en suspects possibles, de fausses pistes en fausses pistes patiemment construites, et joue sans cesse la course contre la montre. Nappée de musique glaçante, il fabrique de la menace et de la claustrophobie. Les victimes sont ligotées, enfermées ; les langues sont à délier ; les souvenirs à déplier. Les intérieurs sont des aquariums, des décors soignés aux lumières contrastées où les personnages évoluent sur des fonds flous, contre des murs et des portes, dans des halos jaunes ou bleutés. Et tous les lieux sont oppressants, même ceux qui sont ouverts. Herbots filme la forêt comme un labyrinthe organique. Les parcs sont des clairières cernées. Sa caméra scrute les visages, les souffrances, les angoisses. Quand elle prend de la hauteur, elle glisse et se fait inquiétante. Ces ambiances crépusculaires, entre chien et loup, ces images stylisées et saturées, ces atmosphères tantôt lumineuses et lyriques proches de l'enfance et de son innocence, tantôt hostiles et violentes comme des terreurs nocturnes, les nombreux enfants qui courent tout le long du film (certains ne sont pas plus que des ombres sur une cassette-vidéo), tout contribue à construire un monde d'adulte hanté par l'enfance, par ses émois, son innocence, mais surtout ses terreurs et ses saccages. Et le cauchemar prend évidemment le dessus. C'est la bête qui gronde de tous côtés, au fond des bois, lointaine et proche, au fond des hommes, la bête qui piétine l'enfance.

Parfois, les comédiens en font un peu trop. Parfois, c'est l'intrigue qui en fait un peu trop : certaines réactions paraissent incohérentes, on se demande pourquoi la parole des enfants est si peu écoutée dans un film qui raconte justement les plus grandes violences qu'on puisse leur faire subir. Et quelquefois, c'est Hans Herbots qui agace d'en faire autant et pas toujours en finesse. Mais au bout du compte, le film tient sa route et sa noirceur, son suspens et ses surprises. Sa fin laisse un goût affreusement amer, sorte de happy end en demi-teintes, où c'est l'oubli littéral de l'un qui permettra peut-être de sauver l'autre. Une remontée pas à pas des boyaux de l'horreur vers une infime raie de lumière. Il arrive que, pour guérir un trauma, il faille le revivre. Un traitement radical et noir, très noir, donc.

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