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Dead Man Talking - Trop de mots tue le rire

Publié le 03/10/2012 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Sorti en salle le 3 octobre en même temps qu’il était présenté à Namur, Dead Man Talking, le premier film de Patrick Ridremont y a obtenu le Prix du Public. Le film faisait salle comble et tous se prêtaient de bon cœur à cette comédie pleine de bons mots. Film d’un comédien, porté par des comédiens en verve et en forme, bourré de joyeusetés, Dead Man Talking tient son pari risqué de comédie noire (et belge, à l’humour grinçant) jusqu’à ce qu’un malheureux esprit de sérieux ne s’invite à la fête et que, l’envahissant de plus en plus lourdement, il ne finisse par le saborder. Snif !

Dead Man talkingHomme des planches, d’improvisations et de télévision, Patrick Ridremont aime les mots, cela s’entend, se voit et se ressent, et il ne lésine ni sur les bons, ni sur les effets. Dead Man Talking, comme son titre l’indique, flirte ouvertement avec toute une série de clichés du cinéma américain dont il se repaît avec joie, les sur-jouant jusqu’au grotesque (le gouverneur, Jean Luc Couchard en marionnette idiote y est très drôle). Et il n’y a pas que le titre du film qui soit en english, tout y sonne english : les noms, les lieux, les plans. Jusqu’ici, tout va bien, et on s’amuse beaucoup de ces ambiances gothiques qui font raisonner les plans du Dracula de Coppola et Tom Waits enfermé dans son asile, en plus léger... Si, là, on n’en est pas à manger les vers, les plongées et les contre-plongées dans la nuit pluvieuse le long des hauts murs de la prison ne manquent pas, et les branques hargneux ou à côté de la plaque non plus. La prison, en elle-même, semble en carton-pâte comme tous les décors du film, sortis d’un imaginaire cinématographique contrefait. La bonne vieille comédie belge trashy, noire, aux limites du mauvais goût n’est pas loin, et le film s’amuse beaucoup, multipliant les clins d’œil, les œillades et les sketchs. Le tout tient par la grâce d’un suspens en forme de compte à rebours et l’entremise de la parole, grand personnage du film. Jusqu’ici, tout va bien, ou presque. Dead Man talkingParodique donc, grinçant et drôle, Dead Man Talking double narre à profusion deux histoires, celle du film et celle de son personnage qui sauve sa vie grâce à la parole… (tout cela écrit par un homme de théâtre, la métaphore n’est plus à filer). En effet, s’il continue à parler, son exécution est suspendue à partir d’une certaine heure et jusqu’au lendemain. Avec une certaine intelligence, le film, dont on s’attendrait à ce qu’il narre la vie du condamné, réussit plutôt à se poser en trois actes autour de cet instant fatidique toujours repoussé. Certes, il y aura bien quelques mise en images des souvenirs, et notamment ce qui l’a conduit là, mais quelques souvenirs d’enfance douloureux viendront expliquer tout ça, comme l’annonce le début du film, une suite de plans fixes mystérieux, des tableaux face caméra qui sont des moments à venir ou des instants passés que le film va revisiter. Enfin bon, jusque-là tout va bien, même si ça s’alourdit, lentement, mais sûrement.
Sauf que, peu à peu, et on ne sait pas bien quelle mouche le pique, voilà que de cocasse et drôle (et pour rire d’un condamné à mort, il en faut, de la distance et de l’humour – ou du mauvais goût, on ne sait plus trop), le film commence à s’enliser dans une sorte d’esprit de sérieux qui le sape de plus en plus et ce, jusqu’à l’absurde, puisqu’on ne saura pas vraiment pourquoi ce condamné à mort accepte sa condamnation quand on veut le sauver à pleines grâces. Dead Man talkingBref, le film, qui se voulait satire, se met à dénoncer à tout-va (le monde politique, le monde carcéral, le monde télévisuel etc., etc.), et vient se pendre au jeu des bons sentiments. Or, d’une part, la satire, qui restait légère et caricaturale, n’est pas à la hauteur de ce soudain esprit de sérieux. Et d’autre part, les lamentations larmoyantes autour du personnage principal avec qui on nous veut en empathie envahissent d’une lourdeur éreintante toute la cocasserie du film.
Dead Man Talking
finit aussi lourd et assommant qu’il avait commencé cocasse et drôle (où l’on finit par rire de lui plutôt qu’avec lui), comme si, n’arrivant pas tout à fait à assumer sa vulgarité (qui n’est rien d’autre que le degré zéro du symbole), le film tentait de se racheter en se prenant au sérieux. Tout aussi lourdingue, mais beaucoup moins drôle.

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