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Dicky Parlevliet à propos du Festival de Rotterdam

Publié le 01/01/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Du 23 janvier au 3 février, le festival de Rotterdam tiendra sa trente-septième édition. Une semaine avant Berlin, cette plateforme du cinéma indépendant et contemporain présentera son propre regard sur les talents actuels et à venir, d’Europe et d’ailleurs. Pour évoquer ce festival de type A, rencontre avec Dicky Parlevliet, membre du comité de sélection des longs métrages et juré au dernier FIFF.

dicky parlevliet

C. : Comment as-tu été amenée à travailler pour le festival ?
Dicky Parlevliet : Pendant quelques années, j’ai vécu en France. Quand je suis revenue en Hollande, on m’a demandé de travailler pour la Fondation des Arts. Je collaborais à un festival international de poésie qui avait lieu pendant l’été à Rotterdam. J’accompagnais les poètes et je vérifiais les traductions des textes en français. À l’époque, le fondateur du festival de Rotterdam, Hubert Bals, m’a demandé de travailler pour lui. J’ai fait un peu de tout, dont la presse avant de devenir son assistante. Le festival n’était pas aussi grand que maintenant. Hubert menait sa propre sélection et moi, je l’aidais pour trouver des films. Il se rendait aux festivals de Cannes, de Venise et de Berlin. Pour le reste, j'organisais des projections privées dans chaque grande ville. On a été très proche dans le travail. Après sa disparition, en 88, différents directeurs se sont succédés et le festival a gagné en importance. Je me suis tournée vers la télévision en 1991 avant de revenir au festival en 2001 pour faire partie du comité de sélection des longs-métrages. 

 

C. : Quelle était la personnalité d'Hubert Bals ?
D.P. : Il avait une très grande personnalité et une très grande présence. Il soutenait toujours le cinéma d’auteur et aimait aussi provoquer. Par exemple, il n’a pas du tout aimé le film de Milos Forman sur Mozart. Par contre, il a montré Honour, Profit & Pleasure, un très beau petit film sur Haendel réalisé par une Anglaise, Anna Ambrose, la même année que le Forman. On n’a jamais montré de grands films américains, mais ça ne nous empêchait pas d’organiser des rétrospectives comme celle de Jonathan Demme : on a montré ses premiers pas au cinéma à travers des films qui n’ont jamais été présentés auparavant.

 

C. : Comment as-tu appris à devenir programmatrice ?
D.P. : J’ai toujours aimé le cinéma, même si je n'ai pas été formée comme d’autres personnes. Pour être programmateur, on apprend en voyant beaucoup de films. Je dis toujours aux jeunes qui commencent qu’il faut en voir le plus possible, que ce soit Hairspray ou des vieux films pour comprendre le langage cinématographique. Moi-même, je vais en voir beaucoup dont des grandes productions américaines. Ce n’est pas ce qu’on programme chez nous, mais c’est aussi du cinéma. C’est juste un autre cinéma. Pourtant, par moments, on ne montre pas que des petits films. On a déjà programmé des films de David Cronenberg et on va essayer de présenter No country for Old Men, le dernier film des frères Coen qui est proche du cinéma d’auteur.

 

C. : Comment la programmation se construit-elle ?
D.P. : C’est difficile à monter. Chaque semaine, on a des réunions. On a toujours des listes de films, et on discute souvent avec les autres programmeurs. On va à Cannes, à Venise et à Pusan, et on voit aussi des films d’autres territoires. On a besoin de travailler avec des gens qui connaissent bien le cinéma. En ce qui concerne la sélection de longs métrages, on est plusieurs. Le travail est partagé entre territoires. Moi, je couvre la France et les autres régions francophones parce que je suis la seule à parler le français. Avec un collègue, on s’occupe de la Belgique par intérêt. Personnellement, j’aime beaucoup Joachim Lafosse et de manière générale, je trouve que la Belgique a de très bons réalisateurs en ce moment. En ce qui concerne la programmation, même si je m’occupe d’une certaine zone, je ne peux pas proposer 50 films français. On a des limites : il faut que la programmation soit équilibrée. C’est pour ça aussi qu’on discute des films. Moi, je mets des options tout le temps car je ne peux pas m’avancer tant que je n’ai pas tout vu.

 

C. : Combien de films français peux-tu choisir ?
D.P. : 20 films, en général. En présélection, il y en a beaucoup plus naturellement. Unifrance Films nous les fournit. Il y a des moments où il y en a plus, par exemple, pendant la rétrospective Jean-Claude Brisseau ou Catherine Breillat où on montre à peu près toute leur œuvre.

 

 dicky ParlevlietC. : Comment les longs métrages sélectionnés s’insèrent-ils dans la programmation, hormis dans les rétrospectives ?
D.P. : Le festival est doté d’une compétition, « Les Tigers », qui recense à peu près 15 films et qui est accessible aux premiers et deuxièmes films. Parallèlement, pendant longtemps, on avait un programme principal qui reprenait le reste de la programmation. Il y a quelques années, on a eu de longues discussions à ce sujet. On a eu le sentiment que cet ensemble de films était perçu comme un melting-pot opaque par le public ; on a donc opéré des changements. On a envisagé trois catégories : « les jeunes réalisateurs de demain » comme Jia Zhang-Ke qu’on a découvert à l’époque, « Les maestros » comme Hou Hsiao Hsien, Eric Rohmer et « Vues sur le monde » soit des films sur le monde. Pour chaque catégorie, on prospecte pour trouver les meilleurs films. Ce qu’on cherche toujours, c’est une signature de Rotterdam. 

 

C. : Est-ce que vous demandez l’exclusivité des films ?
D.P. : Oui. Mais de temps en temps, on perd (rires) ! On est en concurrence avec Berlin au niveau des dates et, de temps en temps, avec Cannes. Ça nous arrive même avec les films soutenus par la fondation Hubert Bals. On aide des projets à deux stades : la post-production et le développement du scénario. Mais voilà, il y a un risque de perdre les films à Berlin, surtout avec les post-productions. Le festival de Berlin est tellement fort !

 

C. : Historiquement, vous êtes les premiers à avoir lancé un marché de la coproduction, Cine-Mart et avoir investi autant dedans.
D.P. : Oui. CineMart est une idée de Bals envisagée après celle de la fondation. Il estimait qu’il n’y avait pas assez d'initiatives en faveur des pays du tiers-monde, trop pauvres pour soutenir leur cinéma. Beaucoup de projets nous parviennent. On opère une sélection et on en retient normalement entre 40 et 50. Le but du marché est d’aider des gens et leurs projets de films à trouver des financements. Pendant cinq jours, de 10h à 18h, des rendez-vous sont organisés avec différents producteurs et financiers.

 

C. : L’année passée, lors de la 36ème édition, vous vous êtes posés une question étonnante : « est-ce la fin des festivals ? » Comment en êtes-vous arrivés à cette interrogation ?

D.P. : Il s’agit de la question posée dans un programme monté par un de nos programmeurs, Gertjan Zuilhof. Il a fait beaucoup de recherches en Inde, aux Philippines, en Chine et en Thaïlande et il a rencontré beaucoup de gens. Il s’est rendu compte qu’en Asie, les jeunes réalisateurs se réunissent pour faire du sport et parler de cinéma. Il a alors eu l’idée d’organiser un match de foot à Rotterdam. Il a transformé une grande salle de cinéma en stade de foot et a constitué des petites équipes de réalisateurs thaïlandais, chinois et argentins : 6 contre 6 donc moins qu’au vrai football !

 

C. : Est-ce que c’est ça, l’avenir du cinéma : se retrouver tous en tenue de sport ?!

D.P. : Non, je ne crois pas (rires) ! Le programme s’appelait « Happy Ending » et était plutôt une constatation sur le cinéma dans laquelle on a ressenti beaucoup de convivialité. Je ne pense pas qu’on reconduira l’idée car l’organisation a coûté cher et était compliquée. Mais c’est évident qu’en tant que festival, on doit évoluer. On constate aujourd’hui qu’il y a beaucoup de copies de festivals; c’est pour ça qu’à Rotterdam, on réfléchit beaucoup entre nous pour être toujours un peu en avance.

 

C. : Comment perçois-tu le cinéma asiatique ?
D.P. : Je trouve que les meilleurs films viennent d’Asie. D’ailleurs, il y a une grande participation des films asiatiques chez nous. Il y a un talent là-bas qui est incroyable. En ce moment, je trouve ce cinéma beaucoup plus intéressant que l’européen. Ce qui passe ici est très traditionnel : les situations ont été vues tant de fois, la parole est abondante, les films relatent toujours des histoires de A à Z aux fins assez prévisibles. En Asie, c’est totalement différent.

 

C. : Est-ce que le public hollandais s’identifie au cinéma de son pays ?
D.P. : En Hollande, il n’y a pas de grande culture du cinéma. Chez nous, on va surtout au cinéma pour voir les films américains. En France, je trouve que l’offre de films est beaucoup plus diversifiée qu’en Hollande. À Paris, si tu ne connais pas les vieux films de Hollywood, il y a toujours une chance d’en voir. Je trouve aussi que le cinéma est beaucoup plus intégré dans la vie en France et en Belgique que chez nous. Le festival de Rotterdam fait partie des exceptions. C’est incroyable : les gens viennent voir des films qu’ils ne voient pas ailleurs et en général, ils nous suivent au fil des éditions. Je crains toujours que le public diminue mais c’est tout le temps le contraire.

 

C. : Vous posez la question de la fin des festivals. Est-ce qu’il ne faudrait pas revoir celle du début du public ?
D.P. : C’est joli que tu dises ça… « Happy Ending, sad beginning ! » Peter Greenaway a toujours dit que le cinéma était mort. Je ne pense pas que ce soit vrai : le cinéma n’est pas mort. Voir un film dans une salle obscure est très appréciable. Bien plus que voir un film à la télévision.

Le site du festival : http://www.filmfestivalrotterdam.com/

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