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Die andere Heimat d’Edgar Reistz

Publié le 15/06/2014 par Serge Meurant / Catégorie: Sortie DVD

Edgar Reitz, né en 1932 en Allemagne, est un auteur réalisateur célèbre pour ses films sur la vie contemporaine de ses concitoyens dans le Hunsrück. Sa trilogie Heimat (1973-2006) embrasse l’histoire politique, sociale et culturelle de son pays au XXe siècle, racontée à travers celle de la famille Simon, originaire d’un village fictif, Schabbach. Une œuvre monumentale, unique dans l’histoire du cinéma. Internationalement reconnue, elle a été saluée par les spectateurs allemands pour sa puissance narrative, la pertinence de ses analyses historiques, la sensibilité de ses portraits. 

jaquette dvd Die andere Heimat d'Edgar ReitzDie Andere Heimat (2013) constitue un retour aux sources, une chronique originelle de la famille Simon. C’est un récit fondateur, dont les personnages enracinent l’immense arbre généalogique déployé à travers la trilogie. Le film d’Edgar Reitz s’appuie sur la réalité historique de la vague d’immigration massive survenue en Allemagne au milieu du XIXe siècle. Les causes de celle-ci ont été analysées par les historiens en termes politiques et socio-économiques. En 1842, le village de Schabbah subit de plein fouet la misère et la faim. De mauvaises récoltes se succèdent. L’Eglise et les seigneurs locaux maintiennent les paysans et les artisans dans un état de soumission idéologique et économique. À la même époque, l’empereur du Brésil envoie des recruteurs de main d’œuvre en Allemagne, particulièrement dans les régions où les petits fermiers exerçaient, pour survivre, des métiers artisanaux. Beaucoup d’entre eux ne résistent pas à la tentation de quitter leurs villages, croyant trouver en Amérique une terre d’accueil. Mais le cinéaste introduit, dans son film, un élément jusqu’ici insuffisamment éclairé. Depuis 1810, en effet, la Prusse, dont les frontières englobaient le Hunsbrück, avait instauré la scolarité obligatoire. L’alphabétisation progressa tellement dans les régions rurales que l’on vit apparaître une génération nouvelle pour laquelle la lecture fut un instrument d’émancipation des croyances traditionnelles, la découverte du monde et de la liberté de pensée. Ces événements correspondent, en littérature, à l’épanouissement du romantisme.

La famille Simon cristallise la confrontation entre le monde rural traditionnel et la naissance d’une vision moderne du monde. Deux personnages incarnent cette opposition : Johann le père de famille qui est fermier et forgeron, Jakob Simon le fils cadet, un beau personnage de rêveur éveillé qui dévore les livres de la littérature de voyage et étudie les langues des Indiens d’Amazonie. Le retour de son frère Gustav du service militaire dans l’armée prussienne vient bouleverser leurs rapports, en durcir les contours, dénoncer la fragilité des rêves de Jakob.

Le rythme du récit, au fil des saisons, pourrait faire songer à Symphonie paysanne d’Henri Storck, par la beauté classique des paysages, la description des travaux de la ferme et de la forge.

Mais on y trouve, au-delà de la justesse des portraits, les ferments d’une utopie, l’espérance d’une société meilleure.

Le jeu des acteurs est porté par la conviction d’Edgar Reistz qu’avant de tourner un tel récit épique, il s’agissait de s’imprégner de la vie toute entière des personnages, par le biais de biographies fictives.

Le village de « Schabbah » a été entièrement reconstitué, transformé en un décor de cinéma. Et les moindres détails des traditions villageoises et des savoir-faire artisanaux, les outils et les costumes, ont fait l’objet d’un remarquable travail d’ethnographe.

Die Andere Heimat est un chef-d’œuvre qu’il faut saluer au-delà des frontières qui séparent le film historique du documentaire. Un film d’une absolue modernité.