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Dominique Lefever, monteuse et professeur de montage à l'IAD

Publié le 13/07/2007 / Catégorie: Métiers du cinéma

Monteuse « free lance » depuis 20 ans de films de fiction ou de documentaires, j’enseigne à l’IAD depuis 5 ans. Croyez-moi avec ces films d’étudiants je n’arrête pas d’apprendre ce qu’est le métier de monteur(euse) ! Pour vous parler de l’exercice de montage documentaire BAC2 que j’encadre, j’ai voulu aussi donner la parole aux étudiants. Ils m’ont chacun envoyé quelques lignes parlant de leurs impressions et apprentissages. J’ai sélectionné leurs remarques et j’ai tenté de les structurer. Les extraits choisis ne sont pas nominés, mais une petite indication indique qu’il s’agit d’une réflexion d’un étudiant de l’option montage (MS) ou de l’option réalisation (R).

Pendant 2 jours les étudiants de réalisation filment le portrait d’un lieu, d’un personnage.
Il faut penser en terme de « cinéma », et non « reportage » ; il faut UN POINT DE VUE.
Il ne peut pas y avoir de séquence « fictionnalisées », il s’agit d’une confrontation avec le réel.
Le film terminé aura une durée variant de 6 à 12’, et il ne peut pas y avoir de musique ajoutée.
Le premier jour de montage, le réalisateur nous expose ses choix, son regard, son point de vue. Où se situe t-il par rapport à son sujet ? Quelle est la question posée dans le film?

Qu’est ce que j’ai envie que le spectateur retienne après avoir vu mon film ?
On est parfois loin des intentions de départ, et là, dans la salle de montage il faut travailler avec « la matière existante », parfois faire le deuil de ce qui n’a pas pu se réaliser !

« Il faut pouvoir maîtriser une quantité énorme d'informations et surtout ne pas se perdre dans ce qu'on veut dire. La première difficulté est de savoir si ce qu'on veut raconter est réellement présent dans les rushes. La deuxième étant d'être sûr qu'il n'y a pas quelque chose de plus intéressant, présent sans qu'on en soit conscient. »(R) 

Bien plus que dans le montage fiction, le montage documentaire est une réelle réécriture du film et même si j'ai retrouvé des similitudes entre mon film fini et mon dossier de départ, le débroussaillement étape par étape du film fut indispensable. (R)

J’attire leur attention sur l’importance de la première vision : « Elle est fondamentale, c’est votre 1er regard, votre premier ressenti face à une matière, vous êtes frais et critiques. Gardez toujours bien en tête vos premières impressions, vos choix sont souvent les bons ! ».

Ensuite, on est devant la feuille blanche ! A deux !

« Il s'agissait là de ma première collaboration avec un monteur. C'est peut-être l'apprentissage que je trouve le plus douloureux, celui de faire confiance, et d'accepter de céder à un autre. J'ai été très surprise de constater à quel point "mon" monteur s'est approprié ce projet, que pourtant, il n'avait pas choisi. Il s'est impliqué comme s'il s'agissait d'un travail personnel et l'a enrichi d'un regard "neuf" et pertinent. Il m’a tenu lieu de garde-fou, me retenant lorsque j'étais trop pressée, m'orientant lorsque j'étais perdue, me rassurant lorsque je perdais pied. »(R)

« Le travail en binôme avec le monteur force à formuler et à apprendre à communiquer ses choix, à argumenter et chercher vraiment le sens du film. Dès lors qu'on réécrit le film à deux, chaque plan est pensé et justifié. Nous avons déconstruit, tordu la matière dans tous les sens, construit une architecture compliquée pour finalement revenir à un montage épuré et très simple composé de deux plans séquences. »(R)

« Personnellement j'ai découvert aussi  le pouvoir psychologique que l'on peut avoir sur le moral du réalisateur... je veux dire par là que quand il pleure on peut et on doit réussir à le faire rire pour le bien du travail. »(MS)

« Pour moi, c'est un des meilleurs exercices que nous ayons eu jusqu'à présent et qui nous confronte réellement à la relation réalisateur / monteur....pas toujours facile tout ça ! Je pense que le plus dur, c'est de s'attacher à un film qui n'est pas le sien....finalement, pas de « final cut »....tout n'est que proposition...

Je pense qu'il faut d'abord  un grand respect pour la matière, puis vraiment établir une relation "franche" et "saine" avec le réalisateur...... » (MS)

« Je m'y attendais, mais j'ai tout de même été surprise de voir à quel point nos regards sont différents... D'un côté, un réalisateur qui rêve un projet, le couve et le fantasme, de l'autre, un monteur mis en présence d'une matière qu'il découvre, sous le regard attentif (inquisiteur?) du premier... » (MS)

Je conseille alors de « prémonter » des séquences, des interviews, de faire des « bouts à bouts » des meilleurs propos, des meilleurs évènements. En visionnant ces sélections ensemble, on a alors une bonne base de travail, de réflexion, on voit souvent mieux de quelle manière commencer le film, quel pourrait être le fil conducteur…, parfois une structure se profile, parfois la confusion reste… « On va fumer une cigarette… ».

« Ce montage du docu a été une expérience assez déstabilisante, parce qu'à certains moments tout va bien, l'écriture se fait facilement, et à d'autres moments c'était le chaos total, plus rien n'allait, ça n'avançait plus et l'entente n'y était plus. Je ne savais justement plus gérer tous ces hauts et ces bas. J'avoue m'être remise en question plus d'une fois sur mes capacités, tellement je pataugeais parfois. Au bout du compte on est arrivé à quelque chose parce qu'on avait tout essayé! 
C'est là la force d'essayer jusqu'au bout, à un moment on découvre le passage! » (MS)

Et si la confusion persiste, parfois les choses tournent mal…

« Le montage s’est donc très, très mal passé, avec des portes qui claquaient, des engueulades et des longs silences boudeurs. Ils venaient des deux côtés, nous nous sommes donc tous les deux comportés comme des adolescents. Après s’être bien crié dessus, on se calmait assez vite et on pouvait continuer à travailler dans une ambiance de cessez-le-feu un peu moins tendue.
Je crois que le plus gros problème a été celui de la communication. Je dois avouer que la plupart du temps je n’avais pas la moindre idée de ce dont le réalisateur parlait.
Je comprenais bien les mots, mais dès que je me concentrais sur le contenu, tout devenait flou et contradictoire. Trois jours après le commencement du montage, je n’avais toujours pas la moindre idée de ce que le réalisateur voulait raconter avec son documentaire. » (MS)

Les versions et les visions se succèdent, nombreuses et fréquentes sont les déceptions, les désillusions, on croit y être arrivé… et il faut tout recommencer. Grand découragement !

Alors il faut rentrer chez soi, la nuit porte conseil, et le lendemain on regarde le désastre comme si on le voyait pour la première fois ! Et ainsi le déclic se fait et on peut assister petit à petit à la naissance d’un film ! Certains y arrivent, d’autres pas, mais le travail est derrière soi et on a appris.
« J'ai découvert de nombreuses possibilités pour ce montage, j’ai expérimenté pour la première fois les différentes réécritures de l'histoire en essayant au mieux de ne pas me détourner de l'objectif (càd, à ne pas "chiffonner" la matière de base). Mais surtout, j'ai appris à préparer les films différemment; les nombreuses choses à penser et à réaliser AVANT et PENDANT le tournage! » (R)

« Les différentes visions entre profs/élèves ont vraiment permis de faire avancer le travail. Il est certain que je garderai bon souvenir de cet exercice car il fait partie des premiers et ce sont ceux qui nous forgent une identité en tant que monteur et nous prenons vraiment conscience du besoin de collaborer entre nous car un beau film ne résulte que d'un bon travail d'équipe. » (MS)

« Cet exercice m’a aussi permis de tester mes « premiers ressentis » J’ai beaucoup apprécié ce travail de documentaire car d’une même matière de base, il était possible de construire 1000 films différents,» (MS)
« Se furent 7 jours intenses en créativité et en prises de têtes, l'exercice documentaire (écriture-tournage-montage) est l'exercice le plus enrichissant que j'ai eu sur mes 2 années à l'IAD. »(R)

« Ecoute, ouverture d'esprit et complicité ont été les maîtres mots de ce travail. Si le documentaire n'était pas dans mes orientations de base, elles le sont devenues, j'y ai trouvé une plus grande liberté de travail qu’en fiction. » (MS)

 « J'ai aussi compris pourquoi 12 minutes de film nécessitaient toute une semaine de montage. J'ai appris une méthode de travail. Et c'est assez précieux... » (R)

« Lorsqu'en milieu de semaine on se rend compte que l'on a une seule version du montage, que l'on commence à "voir trouble" c'est à dire qu'on a perdu le recul initial qu'on avait sur la matière et que l'on commence à expérimenter les premiers accrochages entre notre point de vue et celui des autres en général (du réa en particulier), là on est pris d'un certain vertige créatif très intéressant. A mon avis c'est à ce moment là que j'ai réalisé la place du monteur dans un projet, son importance décisionnelle et j'ai imaginé que cela devait être ça de monter un film; ressentir ce "vertige". » (MS)


Diplômée de l’IAD prom. 86

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