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Dossier Ateliers : Atelier Graphoui

Publié le 01/11/2003 / Catégorie: Dossier

L'atelier Graphoui est particulier à plusieurs niveaux. Il s'adresse à tous, s'ouvre à une perspective plus large du cinéma que le film d'animation de ses débuts, mais est surtout spécial par ses différents aspects : l'atelier de production, le Centre d'Expression et de Créativité, mais aussi, et c'est ça qui le met dans une catégorie à part, l'ONG. Trois facettes d'une même association, trois subsides différents pour former un tout complémentaire. Donner un moyen d'expression à ceux qui en ont besoin, former aux techniques de l'animation, tenter le pari du documentaire de création, le tout entouré d'un atelier de production, c'est le pari que l'atelier Graphoui s'est donné depuis plus de 20 ans.

les ateliers

 

Saint-Gilles, rue de la Rhétorique, à deux pas de la place Morichar. En face, l'athénée royal VictorHorta. L'Atelier Graphoui se situe dans des locaux préalablement occupés par une crèche qui utilise toujours les étages inférieurs. L'atelier est donc baigné dans un environnement de jeunes, beaucoup d'entre eux issus de familles d'immigrés, en mal de moyens d'expression. Pour tous, l'atelier Graphoui permet de mettre en oeuvre cet art de la rhétorique par le biais du 7ème art. Geneviève Antoine, une des responsables de l'atelier, me reçoit dans une salle servant de salle de réunion et de visionnage et offrant une vue sur une grande partie de la commune.

 

La genèse

"En 79 nous étions trois à être sortis de la Cambre. Nous avons commencé à travailler ensemble sur des petits projets, des commandes. Ensuite nous avons créé des cours du soir et l'équipe s'est agrandie petit à petit." L'atelier effectue des travaux de commandes, ses premiers courts-métrages Lionneries, L'Egoût, Quatre à Voyager, mais également la série Yakari pour Casterman. "Il fallait bien vivre" dit Geneviève Antoine avec un petit sourire. "Quand l'argent a commencé à rentrer dans nos caisses, nous avons créé une société. Jusque- là l'atelier n'était qu'une asbl. L'équipe s'est encore agrandie, jusqu'à une vingtaine de personnes pour réaliser la série Quick & Flupke. D'autre part, nous avions l'atelier de production qui développait les films d'auteurs, projets de création et projets internes de Graphoui, ainsi que le Centre d'Expression et de Créativité pour initier les jeunes au cinéma d'animation." De cette époque date le projet d'une série, Dérapages. "Nous en avons réalisé L'Architecte et La Flûte en Bois de Rose. Nous avons ensuite entrepris un long métrage, mais nous avons eu quelques problèmes et la société a pris fin."
L'asbl a cependant tenu bon, effectuant de temps en temps des commandes pour faire tourner la machine, mais surtout des projets moins commerciaux. "Nous fonctionnons essentiellement avec les subsides de la Communauté française, du secteur de l'Education Permanente et de l'Agence Générale de Coopération au Développement, puisque nous sommes une ONG depuis 94."

 

Une ONG

"Grâce aux ateliers que nous faisions ici en Belgique, on nous a proposé d'aller travailler en Afrique. Deux animateurs sont partis un mois à Kinshasa dispenser des ateliers dans deux écoles primaires. Ces ateliers ont abouti à un court-métrage d'animation autour duquel nous avons réalisé un documentaire de création, Mômimages Zaïre." Ce concept de documentaire de création m'intrigue. Geneviève éclaire ma lanterne : "Il s'agit d'un film qui traite de sujets puisés dans la vie réelle des jeunes de l'atelier, mais les décors sont faits de photos traitées, coloriées, et les personnages évoluant dans ces décors sont en animation. Le point de vue et la démarche sont une création en tant que tel." Cette première expérience auprès des jeunes africains ne fut pas la dernière. "Il y eut le Burundi en 91 et 92. Nous n'y sommes pas retournés l'année suivante à cause des évènements qui s'y sont produits. Nous avons pourtant pu y faire un chouette travail de formation avec des enseignants, qui ont ensuite relayé l'expérience dans leurs écoles. Ces ateliers ont chaque fois débouché sur des films. Nous sommes ensuite partis de plus en plus souvent en Afrique ; au Bénin, au Sénégal où nous sommes toujours présents, par un partenariat en Casamance et à Dakar, et au Burkina où nous avons créé une cellule audiovisuelle." Burundi, Bénin, Mali, mais aussi Bolivie viennent s'ajouter à la liste des pays dans lesquels l'atelier Graphoui va dispenser ses formations audiovisuelles.

 

"En 93, voyant tout le travail effectué en Afrique, on nous a fait remarquer que cela pouvait parfaitement relever du travail d'une ONG. Nous avons donc fait la demande - c'était beaucoup plus facile à l'époque que maintenant - et nous avons été reconnus ONG en 1994. Depuis nous avons pu développer le travail déjà entamé là-bas." Les formations dans le cadre d'ateliers d'initiation au cinéma d'animation en Afrique ou en Amérique latine ne se contentent pas de produire quelques petits films d'animation :
"L'idée, c'est de faire une formation avec des gens dans des contextes particuliers, d'école par exemple, pour que les gens ainsi formés puissent ensuite monter eux-mêmes leurs studios sur place. Ce fut le cas à Dakar, où un studio a été créé. Nous y sommes aussi en partenariat avec les étudiants de l'Ecole Nationale des Arts (l'ENA) et y retournons ponctuellement pour les suivre. Il en va de même avec les personnes ayant suivi les formations au Centre National de Cinématographie au Burkina, qui ont ensuite créé leur propre structure d'animation." Christian Coppin, responsable de la cellule son nous montre L'Ile, le petit dernier des courts-métrages d'animation de Graphoui, pour lequel il a travaillé la bande son avec le réalisateur en mélangeant deux dialectes africains : "En Afrique de l'ouest, ils sont tous caméramen, réalisateurs - je dis ça respectueusement - mais il n'y a presque pas de preneurs de son. Il est très important que nous leur donnions aussi une approche du son."

 

L'atelier de productionAtelier graphoui

En plus des services "classiques" d'un atelier de production, comme le prêt de matériel, il existait aussi l'aide au montage et l'aide à la réalisation, mais jamais de la monnaie sonnante et trébuchante, l'atelier de production reste étroitement lié aux ateliers de formation. "Nous accueillons aussi des projets de personnes extérieures qui n'ont jamais réalisé. Si nécessaire, nous leur proposons une courte formation de manipulation de la caméra, des micros, des techniques d'animation. Nous avons notre méthodologie de travail propre. Nous préparons aussi au voyage ceux qui partent en Afrique." Il y a bien sûr également les projets internes à l'équipe de Graphoui. "Des membres de l'équipe amènent directement des projets et nous fournissons le matériel, comme pour les autres, mais nous recherchons aussi des financements. Nous ne le faisons pas pour des projets extérieurs car nous n'avons pas une équipe suffisamment grande que pour nous le permettre. Rentrer des dossiers pour financer les projets peut être extrêmement lourd. On se contente de le faire pour les projets internes."

 

Le Centre d'Expression et de Créativité (CEC)

L'atelier Graphoui participe aussi de l'éducation permanente par son travail avec les jeunes au sein des ateliers dispensés en Belgique ou ailleurs. "Ce travail se fait avec des jeunes et des enfants, des adultes. Ce sont Aline Moens et Christian Coppin pour le son qui s'en occupent. Les thèmes naissent soit des jeunes, soit de partenariats avec d'autres associations ou CEC d'où naît un projet commun, soit de demandes extérieures, comme de l'UNICEF par exemple. Actuellement Aline suit le projet J'accuse avec le CVB et d'autres associations. Lorsque les jeunes de l'atelier ont envie de s'exprimer sur un thème, de communiquer leurs idées, ils en font un scénario, puis passent à la réalisation, le tout sous la supervision d'Aline, qui assure, par son expérience et sa méthodologie, la réalisation finale des films issus des ateliers. Le matériel de tournage est mis à disposition par Graphoui et les films sont des productions de l'atelier." Ainsi les trois facettes de Graphoui sont en étroite collaboration. Le CEC forme, l'atelier de production produit, et il en va de même à l'étranger pour la partie ONG. Ces ateliers sont ouverts à tous, avec pour seule condition d'avoir huit ans minimum. "Il faut être capable de manipulations techniques. En ce moment, ce sont surtout des adolescents. Cela fait un moment qu'il n'y a plus eu de tout jeunes enfants. Ces jeunes viennent de tous les horizons, c'est à chaque fois différent."

 

La Diffusion

Atelier graphoui

"Nous n'avons pas une diffusion classique. Nos films sont diffusés en télévision et en festivals, mais nos productions sont particulières et nous ne trouvons pas toujours les créneaux adéquats. Il y a des créneaux spécifiques pour les films des ateliers. Par exemple, pour les films faits actuellement au CEC, nous diffuserons via tout un circuit d'associations et d'autres CEC et par l'émission Coup de Pouce de Télé Bruxelles." Comme les films produits diffèrent en fonction de leur origine au sein même de Graphoui, les films provenant directement de l'atelier de production ont un autre système de diffusion. "Les derniers films de l'atelier de production sont difficiles à diffuser, ils ne sont pas très vendables. Ce sont des documentaires de création mais qui n'ont pas la qualité technique requise pour être passés à la télévision. La plupart du temps on les lance sur le circuit des festivals. Pour les courts-métrages, c'est plus facile. Il y a quand même encore pas mal de demandes pour la télévision et dans les festivals."

 

Les objectifs

Alors que deux personnes de Graphoui sont en pause carrière, c'est l'occasion pour l'atelier de redéfinir ses objectifs. "Nous voulons travailler avec un public qui a des choses à dire. Nous sommes portes ouvertes quant au contenu, mais nous avons notre propre méthodologie de travail. Nous voulons continuer à développer le travail effectué en Afrique, notamment les ateliers de formation, et faire part à un public le plus large possible de toutes les possibilités d'expression qu'offre un moyen de création tel que l'animation. Au départ, notre objectif principal était la réalisation de films d'animation, mais nous avons vraiment dévié. Nous sommes ouverts à une plus large définition du cinéma, au documentaire de création dans lequel il y a de l'animation, par exemple. Il s'agit d'une technique moins lourde, moins longue et moins onéreuse que l'animation propre. On peut également faire passer beaucoup plus de choses lorsqu'on ne se limite pas à une seule technique d'expression. Nous ne nous cantonnons pas à un style défini, nous sommes ouverts à tout, pourvu que le contenu rejoigne ce qui nous importe : faire passer un message."

 

Muriel Kuypers

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