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Dossier Ateliers : L'Atelier de Production du Centre Vidéo de Bruxelles

Publié le 01/02/2003 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Dossier

De qui, de quoi, où ça ? Une enroule ? Pas du tout ! Mais qui l'eût cru  lors de leur création ? Fondés il y a un quart de siècle et subsidiés en partie par les pouvoirs publics francophones, les ateliers d'accueil et de production sont devenus des lieux où les films et vidéos à petit budget peuvent être réalisés rapidement grâce à la souplesse des structures mises en place. Vingt-cinq ans déjà ! Bon anniversaire ! De la pré production à la diffusion en festival, à la télé voire même en salle, en passant par la post-production, les ateliers équipés de matériel léger, caméras, mandarines (spots), son, bancs de montage, etc. sont un lieu de travail qui rassemblent des équipes aux projets de films documentaires, de fictions, de dessin animé ou de film sur l'art.Les ateliers ont affirmés, au fil des ans, une ligne éditoriale où la diversité prend le pas sur le formatage : originalité, souplesse, innovation, ouverture aux nouveaux langages.
Les Festivals (le FIPA, Visions du réel, Rotterdam, Marseille, etc.) constituent une vitrine idéale pour ces films qui y sont sélectionnés et y rencontrent un succès grandissant. Il est vrai que des cinéastes comme les frères Dardenne ou Jaco Van Dormael ont fait leurs premiers pas dans les ateliers

Mieux. Les ateliers ont récoltés 250 prix sur quelques 2500 films produits, coproduits, tournés et ont vu la diffusion de certains de leurs films être programmés en salles. Actuellement, en Communauté française on compte deux ateliers d'accueil le CBA et le WIP, l'un à Bruxelles, l'autre en Wallonie, dix ateliers de production : AJC, Atelier Alfred, Atelier Graphoui, Caméra Enfants admis, Centre Multimédia, de Création, formation et diffusion , le Centre de Promotion Culturelle (CPC), CVB, Clara,Dérives, Gsara. Ainsi que trois ateliers liés aux écoles de cinéma francophones du pays : La Cambre, l'IAD et l'INSAS. Ce modèle des ateliers n'existe nulle part ailleurs (sauf exception en Suède). Nous avons voulu en savoir plus sur les mécanismes des lieux qui, s'ils sont connus de certains professionnels, sont tout à fait méconnus du public belge et étranger. C'est donc avec un regard candide que nous avons décidé de consacrer des reportages à certains d'entre eux et auquel nous vous convions. Internautes, franchissez le Rubicon avec nous, vous ne le regretterez pas. Nous démarrons avec le CVB (Centre Vidéo de Bruxelles). La suite, vous la lirez dans les prochains webzines.

L'Atelier de Production du Centre Vidéo de Bruxelles - Le documentaire vidéo au coeur de la vie sociale


 

Au coeur du quartier des Halles, animé, vivant, coloré, où l'on se retrouve une bonne partie des commerçants turcs de Schaerbeek, une ancienne maison patricienne abrite les locaux du Centre Vidéo de Bruxelles. "C'est au premier" me dit une voix au parlophone. J'escalade quatre à quatre le vieil escalier qui mène au local d'accueil. "Ils sont déjà dans le bureau de Marianne", m'explique la réceptionniste. "Grimpez l'escalier et c'est juste devant vous."

 

Allons bon, encore des marches. Hors d'haleine, je déboule comme le lapin d'Alice dans le bureau directorial où m'attendent Marianne Osteaux, responsable de l'atelier de production et Luc Petitot, notre comparse du site http://www.cineuropa.org/. Bonjour bonjour. Je récupère un peu, le temps de préparer mon enregistreur. En effet, nous avons pris rendez-vous avec Marianne Osteaux pour parler de l'activité de l'atelier de production du CVB. Parlons-en.

 

Marianne: Nous pouvons nous permettre davantage de souplesse qu'un producteur privé

"L'atelier de production est intégré dans la structure plus large du Centre Vidéo de Bruxelles. Ce Centre existe depuis plus de 25 ans. Nos objectifs sont d'être présents sur le terrain social et de permettre à un large public l'accès aux moyens d'expressions audiovisuelles. A côté de l'atelier, le CVB a aussi ses propres productions, notamment pédagogiques. Il fait encore de la formation aux techniques de l'audiovisuel et de l'animation de groupes. Par exemple, avec des maisons de jeunes bruxelloises nous menons depuis quelques années une expérience qui a abouti à la réalisation de l émission Coup de pouce sur Télé Bruxelles. A l'atelier de production, nous travaillons essentiellement du documentaire vidéo".

 


 

Soyons pratiques. Imaginons qu'un futur réalisateur arrive au CVB avec un projet de film à produire. La procédure de travail de Marianne est bien rôdée. "Je vais d'abord en discuter à fond avec lui. Déterminer en quoi, tout d'abord, l'entreprise rencontre les objectifs du CVB. Il arrive en effet qu'une production soit refusée, non par manque d'intérêt, mais parce que nous estimons qu'elle concerne davantage d'autres producteurs. Une TV par exemple. On examine ensuite, à quel public le film est destiné et par quels moyens il va trouver son public. Nous n'avons pas vocation de faire du profit, mais nous estimons malgré tout qu'un film est réalisé pour un public. Enfin, on cherchera à voir si le film proposé n'a pas déjà été fait par ailleurs. Tous les sujets ne sont pas originaux. Alors, nous allons voir avec le candidat ce que son film peut réellement apporter."
Une fois trouvée la réponse à ces questions, l'examen du projet peut passer à l'étape suivante, celle de la recherche de moyens. "Il arrive que nous produisions seuls certains films, mais nous travaillons aussi en coproduction avec d'autres ateliers, ou avec un partenaire classique ou une télé. Si nous sommes les initiateurs du projet, nous ferons le travail d'un producteur "ordinaire": recherche de financement, engagement de l'équipe, résolution des multiples problèmes administratifs, techniques et de logistique. Mais en plus, nous accompagnons le projet, et s'il le désire, le réalisateur pourra trouver auprès de nous toute l'assistance qu'il souhaite. Il travaillera avec notre matériel, bénéficiera de nos conseils, et pourra compter en finale sur notre service de promotion - diffusion pour aider le film à trouver son public."

 

Le Centre compte environ 25 personnes: administratifs, techniciens, réalisateurs, producteurs, animateurs. Le CVB a son propre matériel de tournage et de montage. L'atelier de production sort en moyenne une dizaine de films par an (bien que cela soit très difficile à chiffrer avec précision). Tout cela est presque entièrement subsidié et, personnellement, je trouve intéressante cette forme originale d'aide publique à la création audiovisuelle. Par ce système, le choix des oeuvres aidées est laissé à des acteurs de terrain et non à des décideurs institutionnels comme cela se fait généralement (cela même si le politique est évidemment présent au conseil d'administration qui examine rigoureusement chaque projet). Lorsque j'en parle à notre interlocutrice, elle voit l'intérêt de ce financement public plutôt sous un autre angle.

"Le fait de ne pas être directement dépendants de critères de rentabilité nous permet de faire un travail réellement intéressant avec les réalisateurs. Du fait de notre structure et de notre financement, nous pouvons être des courroies de transmission entre les écoles de cinéma et la vie professionnelle. Avec nous, le réalisateur inexpérimenté apprendra à mettre en pratique des choses bien concrètes, ce qu'il ne pourrait pas faire dans une structure de production classique. Ecrire un projet de façon à le faire accepter, gérer un tournage, respecter un format, un minutage, ce sont des expériences que nous pouvons aider à acquérir parce que nous ne sommes pas, justement, gouvernés par des marges de rentabilité. Par exemple, si le jeune éprouve des difficultés au montage et dépasse le temps imparti, pour nous c'est un problème mais pas un drame. Un producteur classique devra louer le studio de montage des journées en plus, donc envisager des frais. Nous avons nos propres bancs de montage, et nous pouvons nous arranger pour donner un peu de temps de rabiot, tout en sachant qu'il y a quand même des limites parce que, le monteur doit quand même être payé. Ainsi, grâce à l'encadrement d'une équipe moins soumise à une loi de rentabilité économique au sens strict, nous pouvons assumer cette fonction de formation complémentaire. Cela rentre même tout à fait dans les objectifs premiers de notre asbl. Ceci dit, ce n'est pas notre fonctionnement exclusif. Nous travaillons aussi avec des réalisateurs chevronnés qui trouvent chez nous une structure adaptée à leurs projets".

 

Nous demandons s'il est possible de faire un tour de la maison, histoire de voir concrètement comment les choses se passent. A la suite de Marianne Osteaux, nous grimpons une nouvelle volée d'escaliers qui nous amène sous les combles où les anciennes chambres de bonne ont été aménagées en locaux techniques. Dans l'un d'eux, une toute jeune fille s'affaire devant deux écrans vidéos et un moniteur d'ordinateur qui affiche la dernière version d'Adobe Première.

 

 

 

Tatiana: Ici, j'apprends plein de choses

A ses côtés, des notes qu'elle suit avec une attention appliquée. C'est Tatiana Kerref en train de monter un petit reportage sur une maison de jeunes près de Namur. "Je suis étudiante de dernière année dans une école de communication pas loin d'ici", explique-t-elle. "Depuis fin novembre, je suis en stage au CVB où j'apprends beaucoup. Il y a toujours des choses intéressantes à faire et ils me laissent travailler sur le matériel en toute confiance. Il faut dire que j'avais déjà une petite expérience de montage, acquise à l'école avec ce même logiciel. D'habitude, le réalisateur est à côté de moi, mais il m'a laissé seule cette après-midi. Je suis ses instructions et demain, on vérifiera ensemble mon travail."

 

Sylvie: Nous essayons de mettre sur pied mon projet et de le faire aboutir
Dans la pièce voisine, des images défilent en accéléré sur un écran. Sylvie Antonio Bonsangue procède au "dérushage" d'Azzuro, le film qu'elle a tourné l'été dernier en Sicile. "C'est un documentaire un peu particulier, dans la mesure où je suis originaire de ce pays et que j'ai gardé avec lui et ma famille qui y est restée, un rapport très fort.

 


 

Je suis arrivée au CVB pour y présenter un autre de mes projets et, de fil en aiguille, je me suis retrouvée à travailler au Centre comme animatrice vidéaste, mais le film d'auteur me manquait. L'été dernier, j'ai eu la possibilité d'aller tourner là-bas et je suis partie, un peu comme une barbare sans trop avoir pris le temps de négocier mon film. Maintenant, avec Marianne, nous essayons de mettre sur pied le projet et de le faire aboutir. Mais ne croyez pas que je suis favorisée parce que je travaille ici. Les bancs sont souvent occupés, donc je dois m'intégrer dans la structure comme n'importe quel réalisateur et le temps est limité. Par exemple, pour cette opération-ci, je dispose de deux jours. Après viendra le montage proprement dit, mais c'est une autre histoire."

 

Fred: Je préfère travailler au banc de montage

Nous rejoignons le premier étage pour aller saluer Claudine Van O, responsable de la promotion et de la diffusion. En descendant les marches, Marianne nous confie qu'elle adore travailler dans cette magnifique maison ancienne qui offre des locaux où elle se sent à l'aise, mais avec comme corollaire moins agréable qu'on est souvent dans les escaliers. Je crois la comprendre.

 

 

 

 

Claudine étant provisoirement occupée, nous décidons d'aller rendre visite à Fred Leroy, responsable du matériel et monteur attitré du CVB qui a la haute main sur le banc de finition Beta, équipé en AVID. Pour cela, il faut redescendre au rez-de-chaussée, traverser des locaux techniques (on admire en passant un studio de mixage-son actuellement en construction) et remonter (encore) un petit escalier."Nous avons ce banc depuis trois ans à peu près. Je suis le seul dans la maison à savoir l'utiliser et donc je suis très souvent occupé ici, mais encore trop peu à mon goût car je préfère nettement le montage à la "technique" où on me cantonne souvent. Quand un "collaborateur extérieur" vient utiliser le banc, je m'assure qu'il sait le maîtriser. A défaut, je suis évidemment très présent. Ce banc sert essentiellement à la finition, au montage virtuel et à la conformation. Les montage "cut -cut" et le maquettage se font de préférence au troisième, là où Tatiana travaille actuellement, et nous sommes en attente d'un second banc de montage AVID.

 

Claudine: La promotion est un partenariat avec le réalisateur

 

 

Retour au premier étage où nous croisons brièvement Marcel Wynands, père fondateur et figure tutélaire du CVB qui, dans 15 jours, goûtera aux joies de la retraite, avant de rejoindre le bureau de Claudine. "Je m'occupe de tout ce qui est promotion et diffusion: contacts avec les distributeurs, contacts avec les festivals, et contacts avec le monde associatif (notre partenaire privilégié), édition, achats... Nous disposons aussi d'une vidéothèque avec plus de 150 de nos titres que nous proposons à la location pour toute personne intéressée (voir le catalogue sur Cinergie.be). Tous les films produits par l'atelier de production bénéficient d'une promotion à leur sortie, mais les actions menées seront évidemment différentes pour chacun d'eux. Certains films seront davantage orientés vers les festivals, d'autres vers l'associatif, d'autres vers la télévision et d'autres enfin, vers les ciné-clubs et, qui sait, une diffusion en salles. C'est encore assez rare pour le documentaire, mais cela arrive de plus en plus fréquemment. Notre préférence va aux projections suivies de discussions ou de débats avec un vrai public, pas seulement consommateur mais réactif. Le travail de promotion est un travail qui se fait avec les auteurs. Pour l'instant, par exemple, je travaille avec Patric Jean, le réalisateur de Lettre à Henri Storck, les enfants du Borinage (une autre production de l'atelier du CVB) dont le nouveau film, la Raison du plus fort, sortira en mars. Et donc on discute, on met sur pied une première, on négocie des passages en France, et à la TV, qui reste un partenaire indispensable du documentaire."

 

Il nous reste à remercier tout le monde pour l'accueil et la disponibilité dont ils ont fait preuve à notre égard et nous quittons cette grande maison calme. Dehors, un soleil timide donne au quartier un petit air d'avant printemps assez agréable. 2003 commence, la nouvelle saison du CVB aussi, entre les idées en gestation, les productions en devenir, celles qui deviennent et celles qui sont devenues. Bon vent!

 

Photos Luc Petitot pour http://www.cineuropa.org/

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