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Eclipse de Jacky de Groen

Publié le 05/03/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

L'enfance de l'art 

À côté des divagations humoristiques et érotiques de Deep Space, le prix du jury Cinergie cette année à Anima, il y avait les hallucinations poétiques et hypnotiques d'Eclipse, un petit film d'un peu plus de 5 minutes proposé par Jacky de Groen, étudiant au KASK. Construit sur un principe narratif simple mais riche de ses potentialités, Eclipse semble travailler les techniques d'animations de la peinture sur verre, où les couleurs sont souvent chaudes et un peu brouillonnes d'être effacées, puis recouvertes avant chaque prise de vue. Le dessin, lui, se construit entre peinture maori et gravure expressionniste, traits épais, touches jetées, où la forme se crée non pas à partir de ses pleins mais depuis ses vides. Et de ce dessin presque primitif, surgit une danse envoûtante, hypnotique, qui joue d'apparitions et de disparitions, et vient ré enchanter l'image par ce qu'elle nous raconte, grâce à ses jeux, sa naissance.  

Eclypse de Jacky de GroenSur l'écran noir, une poursuite, celle des spectacles, fait surgir du noir chaotique, les formes qu'elle capture dans sa lumière. Elle court après deux corps qui se pourchassent et se guettent : celui du dompteur et celui du lion. Imaginaire du cirque, imaginaire de l'enfance. De ce noir profond, sur cette découpe de lumière, jaillissent les couleurs qui donnent forme, suites de touches qui déclinent les bleus. Eclipse fonctionne par hallucination : les coups de pinceaux tracent une forme qui naît sous nos yeux, devient patte, tête, corps de bête ou jambe d'homme. Les formes sont instables, elles mutent, se dédoublent, se démultiplient. Les mouvements se décomposent, apparaissent à un point de l'écran, disparaissent et se recomposent ailleurs. La musique scande ces mutations, elle les suit, les souligne, les annonce. Ce qui se donne à voir ici, c'est la manière dont un mouvement se construit sur l'écran, c'est la façon dont une forme se crée, se reconnaît puis se libère d'elle-même, mutante, lions à trois têtes, homme animal. Retour aux premiers pas du dessin, du cinéma, et liberté de tout inventer.

C'est à une danse que nous invite Eclipse, danse infinie de l'homme et de l'animal qui se pourchassent, se jaugent, se dédoublent ou finissent par se confondre. Les frontières se décalent, tombent. L'art de dompter est une danse sans doute et peut-être faut-il, pour arriver à dompter un fauve, se prêter à cet échange, sorte de transsubstantiation qui laisse la barrière entre l'homme et l'animal très loin derrière la complexité du vivant. Mais par delà cette narration, la danse qui se joue ici est surtout celle de l'imaginaire, qui déconstruit les catégories et les formes. Car ce fond noir de l'écran, c'est ce néant premier d'où tout peut surgir. Ce travail minutieux, primitif et lumineux, cette vive construction de couleurs éclatantes qui donnent littéralement forme tantôt à des mouvements, tantôt à des corps, nous proposent de redécouvrir avec vivacité et douceur la joie des apparitions au cinéma, le plaisir de créer, la liberté d'inventer.

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