Cinergie.be

Edwige Baily, comédienne

Publié le 12/01/2007 par Grégory Cavinato et Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Edwige Baily, jeune et belle actrice ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme nous avait épatés par sa performance toute en silences et en intensité dans L. de Vania Leturcq. Sachant pianoter sur la gamme qui va du grand sourire aux larmes (merci Michel, tu peux sortir de ce corps maintenant…), Edwige n’en est pourtant qu’à l’aube d’une carrière prometteuse. Un talent que les réalisateurs de demain devraient s’arracher… dès aujourd’hui ! Rencontre à trois dans les bureaux de Cinergie…

Cinergie : Peux-tu te présenter et nous résumer ton parcours ?
E.B. : J’ai toujours beaucoup apprécié le théâtre et pourtant j’ai commencé le jeu assez tard, vers 20 ans. Après avoir entrepris des études de traduction qui m’ont déçue par leur caractère étriqué, j’ai présenté le concours d’entrée à l’IAD et j’y ai donc fait 4 ans d’études. Aujourd’hui, j’essaie d’appartenir le moins possible à une école, uniquement à moi-même ! Depuis, j’ai joué au théâtre dans plusieurs pièces dont les plus marquantes sont American Witch, au Poche, un premier rôle important sur lequel j’ai beaucoup appris et qui fut déterminant. Ensuite, il y a eu Hanock’s Cabaret, mis en scène par Lara Hubinont et Céline de Bo à l’Arrière Scène, et cette année, Maison d’Arrêt, d’Edward Bond mis en scène par René Georges au Théâtre de Poche. J’y tenais un rôle totalement muet. C’est un rôle qui recelait des ingrédients très cinématographiques, vu que mon travail était de ne rien montrer, mais de rester tout de même habitée par une émotion, en somme un voyage intérieur !C’est une expérience qui m’a prouvé, comme dans le court métrage L. que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de texte que l’on ne raconte rien. Dernièrement, j’ai également joué Hippocampes de Laetitia Ajanohun.
Parallèlement au théâtre, j’ai tourné dans une poignée de courts métrages. Pas mal de courts de fin d’études mais aussi deux ou trois plus importants comme L. de Vania Leturcq. C’est vraiment sur ce film que, pour la première fois, il y a eu un vrai travail avec la réalisatrice, une recherche commune autour de la sincérité. J’ai essayé de rentrer dans son cœur, quelque chose que je n’avais pas ressenti auparavant dans les autres courts où je ne savais pas toujours exactement ce que le réalisateur voulait raconter. Ici c’était le cas.

 


C : On le voit souvent à Cinergie : l’IAD est un vivier de jeunes talents. Y as-tu fait des rencontres importantes ? Profs, élèves ?
E.B. : Ma rencontre avec Vania s’est faite à l’IAD sur un premier court métrage, Emilie en 2003. Une autre rencontre importante fut avec une prof de théâtre, Sylvie De Braeckeleer. Elle m’a énormément aidée à « sortir de moi-même » et c’est aussi grâce à elle que j’ai accumulé les projets. À l’examen d’entrée, j’ai vraiment fait n’importe quoi, mais elle a eu envie de me défendre. C’est quelqu’un d’humainement formidable.
Artistiquement, je me cherche. J’ai de plus en plus envie de me diriger vers le cinéma. À l’IAD, on n'abordait les tournages qu’en superficie. C’est plus tard, avec Vania, que j’ai eu l’occasion de défendre L. mais c’est maintenant que je vais faire des rencontres.

 


C : Pourquoi Vania Leturcq t’a-t-elle choisie pour L.?
E.B. : On s’était très bien entendues sur Emilie, même s’il s’agissait plus d’un exercice que d’un vrai film. Elle m’a donc ensuite proposé L.. Vu qu’il s’agit du thème central du film, sans doute était-elle intéressée par mes silences. C’est un film sur le silence, à l’extérieur en tout cas, et Vania a dû reconnaître dans mon œil quelque chose d’elle, car c’est un peu son histoire qu’elle a eu envie de raconter, en partant d’un postulat tout simple qui la touchait.
C’était sans ambition, c’est ça qui m’a plu : Vania restait honnête envers elle-même. A l’IAD, on a parfois tendance à vouloir tout mettre dans son film et on en oublie parfois l’essentiel, ce pourquoi on a choisi ce métier, même si évidemment, on est là pour apprendre. Ici, Vania abordait un thème personnel qui lui était cher. Donc, je n’ai pas hésité à participer à l’aventure.

 


C : Comment s’engage-t-on sur un tel projet au scénario minimaliste ? J’imagine que ça requiert une confiance totale avec la réalisatrice… Car la caméra ne te lâche jamais, elle est sur toi, sur ton visage, sur ton corps du début à la fin. Une mise à nu au propre comme au figuré…
E.B. : Pour pouvoir défendre un tel rôle, il faut absolument pouvoir se laisser toucher. On a eu la chance de tourner ce film en vidéo, et donc de pouvoir prendre notre temps, de chercher, d’expérimenter, de faire des prises de quinze minutes selon qu’il se passait quelque chose ou pas. C’est au montage que le film s’est construit, car le monteur avait énormément de matière. Grâce à la vidéo, on n’était pas dans l’urgence de devoir produire un résultat immédiat sous prétexte que la pellicule coûte cher. Sur ce tournage, je me suis sentie à l’aise, j’ai senti que je pouvais respirer
C’est là une chose très difficile que j’aimerais apprendre : respirer devant une caméra. Sur L., j’ai eu la sensation d’y arriver, car Vania a réussi à créer une ambiance de tournage excellente, en petit comité, dans une seule pièce et avec énormément de respect. Ce climat d’intimité m’a mise en confiance et ça m’a plu de ne pas avoir de texte, car je pouvais me laisser aller, m’abandonner à mes émotions. Ouvrir la bouche est une autre étape. Là, je vois que, pour le moment, j’ai plus de facilité dans le silence, en tout cas au cinéma.
L’année passée, j’ai suivi un stage de jeu face caméra avec Frédéric Fonteyne. Il nous a fait travailler sur le non-dit, l’intérieur, comment les silences parlent. C’est quelque chose qui semble le préoccuper et donc j’étais heureuse de continuer dans ce sens-là. Encore une belle rencontre !

 

C : Etait-ce effrayant de penser que le film repose pratiquement sur tes seules épaules ?
E.B. :
C’est vertigineux en effet. C’est risqué aussi. Ça passe ou ça casse, on déteste ou on accroche. Mais c’est vrai qu’avant ce film, je ne me connaissais pas, je ne savais pas ce que j’allais donner à voir à l’écran. J’ai donc eu très peur. Quand le film a été terminé, je n’ai plus voulu le regarder. Ce n’est pas toujours facile de se voir en gros plan pendant 15 minutes. Il y a des plans que j’adore, d’autres que je déteste, mais c’est normal, on n’aime pas tout de soi, et c’est difficile d’être objectif.

 


C : Ton personnage passe par toute la gamme des émotions. C’est impressionnant ! Tu as plus de matière à défendre en 15 minutes que certaines actrices sur certains longs métrages…
E.B. : Le grand thème, c’est l’attente, mais dans cette attente, il y a de tout : de la tristesse, de l’amour, de la colère, du désir charnel, de l’ennui, de l’impatience… J’ai l’impression que tout en restant pudique, il y a, dans ce personnage, un côté sauvage sous-jacent : elle passe d’un état à l’autre dans ce trajet émotionnel imaginé par Vania avant d’abandonner et de claquer la porte de cette chambre.

 


C : On imagine que c’était une performance éreintante !
E.B. : A la fin du tournage, je ne parlais même plus tellement j’étais crevée émotionnellement. Sur ce film, c’était impossible de tricher, je n’avais rien pour me cacher. Quand tu es pratiquement nue, en nuisette dans une chambre blanche, sans mots, sans action, tu ne peux pas tricher. Je me sentais vulnérable. C’était épuisant mais je me sentais malgré tout assez en confiance pour m’ouvrir. J’ai utilisé l’objectif pour arriver à m’isoler dans cette chambre, à me sentir seule.  Mais à la fin, je n’en pouvais plus, car c’était du matin au soir des gros plans sur mon visage.

 


C : Le film a été présenté dans plusieurs festivals. Etais-tu heureuse des réactions du public ?
E.B. : On ne m’a pas énormément parlé du film en lui-même, plus de mon interprétation. On ne m’a pas donné beaucoup de détails à part la critique de Cinergie. Je suis contente de ce qu’on me dit, des compliments sur le travail que l’on a fait car je reconnais qu’il y a quelque chose de juste qui se dégage du film. Mais c’est plus difficile pour moi d’en parler… Devant un tel film, chacun se retrouve avec son propre ressenti. On ne fait pas appel à autre chose qu’aux émotions du spectateur, on ne lui impose rien. Après les projections, peu de gens sont venus me voir. Par contre, j’ai reçu plusieurs mails de félicitations, des gens que je ne connais pas.  Une femme d’Albanie - et je suis heureuse que ce soit une femme - m’a dit à quel point elle a été touchée par le film. Et ça, ça fait du bien ! C’est  totalement gratuit. C’est également une belle carte de visite. Depuis, quelques personnes m’ont proposé de participer à leurs projets. J’ai reçu une mention, un prix spécial d’interprétation pour L. au Festival « Le Court en Dit Long » à Paris. J’étais très étonnée, et j’ai pris ça comme un encouragement. Ça m’a fait du bien parce que je trouvais le film risqué. C’est une petite récompense, c’est sympathique. Le film voyage, ça me fait plaisir. Mais maintenant, ce n’est pas pour autant que je me dis que c’est gagné. Je ne me dis pas que je suis une bonne comédienne parce que j’ai fait L. et que ça a marché. C’est génial et j’en suis fière, mais maintenant, je vais « m’attendre au tournant. »

 


C : Le titre original, « Lili attend » est devenu simplement « L. » Pourquoi ?
E.B. : Je pense, et c’est certainement l’avis de Vania, que Lili attend était trop explicatif, ça faisait un pléonasme avec les images, c’était moins intéressant. C’est devenu L. parce que Lili incarne un ressenti humain, une attente amoureuse, des thèmes universels : il n’y a pas de mot, ni dans le film ni dans le titre. Ne pas donner de prénom je trouvais ça bien. Et puis évidemment, L. désigne la femme ! Finalement je trouve ce titre simple et riche.

 


C : Quelles sont les difficultés principales rencontrées par une jeune actrice belge ? Ressens-tu la concurrence ? De l’entraide ?
E.B. : Je ne sens pas vraiment d’entraide ou de solidarité entre les actrices, si ce n’est, bien entendu, avec mes amies comédiennes que je soutiens et que j’aide. Ceci dit, je comprends petit à petit que chacun est ce qu’il est, et je ne pense pas qu’il y ait concurrence. Aux castings, même si on est 50 candidates, on est toutes uniques. Maintenant, bien sûr, plus on est nombreux et plus c’est difficile. La difficulté pour une jeune comédienne encore fraîche et jolie c’est qu’on peut facilement l’utiliser exclusivement pour des rôles de putes, de bimbos, de serveuses.
Il faut être vigilante, car on risque vite de te réduire à ton physique. J’aimerais faire des films où l’on voit derrière l’enveloppe. C’est vrai que jusqu’ici, en dehors de L., je n’ai pas eu à défendre des rôles qui me correspondaient vraiment, et même si je sens que je peux être « là » devant une caméra, toutes les conditions ne sont pas toujours réunies pour bien travailler. La direction de l’acteur est essentielle. C’est pour ça que je tiens à la rencontre avec des réalisateurs, il faut que quelque chose se passe entre quatre yeux. Moi, je peux entrer dans leurs imaginaires, et eux, dans le mien. Tout doit se faire dans des échanges et des envies communs. Mais c’est rare les vraies rencontres.

 


C : Tu n’as pas été tentée de partir en France ?
E.B. : Quand je sentirai que je suis armée, quand je me sentirai en confiance, avec de la matière qui me correspond, j’irai. Je crois aussi aux hasards et aux belles rencontres en Belgique. Je manque d’image. Des courts que j’ai envie de défendre d’un bout à l’autre jusqu’ici, en dehors de L., il n’y en a pas. J’ai bien quelques images, quelques petits plans dont je suis fière et dont j’ai fait une petite maquette pour montrer à ceux que ça intéresse. Mais en attendant, je n’ai pas à me plaindre. Depuis ma sortie de l’IAD, je n’ai pas arrêté de travailler. C’est un métier angoissant, on panique quand rien ne se présente, mais je ne suis pas de celles qui peuvent se plaindre.

 

C : Comment définirais-tu ton jeu ? C’est une question vaste mais selon toi, qu’est-ce qui te différencie des autres ?
E.B. : J’apprends à me connaître, je ne souhaite pas  me définir.  Je sens qu’il y a chez moi quelque chose d’explosif que je contiens, un côté mi-ange mi-démon que j’aimerais apprendre à exploiter. C’est une chose que je décèle, dans les images que je vois, dans les retours qu’on me fait. Je ne me détruis pas en jouant, même quand je me laisse toucher et que je vais chercher en moi des sentiments très forts. Je presse mon « jus » émotionnel mais mes rôles ne déteignent pas sur moi. J’essaie de ne pas avoir d’emploi bien précis, j’essaie de défendre des rôles tragiques, comiques, de toucher à tout. Même si au cinéma on a souvent tendance à vous ranger dans un certain type de rôle. J’aime les rôles de composition.  Composition ne veut pas dire que le personnage est dessiné : c’est intérieur, et cela agit sur mon corps. J’ai besoin de me dire que je suis l’autre pour me révéler davantage, pour trouver plus de sincérité, c’est curieux. Je plonge alors plus profond dans ma faille et mon vrai visage apparaît.Je ne trouve pas intéressant de me jouer moi, je veux dire ce que je suis à priori, mon visage social, je me remplis mieux quand je pense au personnage. Au théâtre, je me sens en puissance dans des rôles dont je peux me distancier. Dans L., ce qui m’a permis d’aller aussi loin dans l’émotion, c’est de me dire que j’étais Vania. J’aime bien travailler comme ça.

 


C : Que cherches-tu en particulier chez un réalisateur ?
E.B. : J’aime qu’il ait quelque chose à raconter sans avoir de leçon à donner, surtout pas même ! J’attends d’un réalisateur qu’il ait envie de raconter une histoire et que nous cherchions ensemble à la raconter, qu’il m’emmène dans sa tête, que dans le travail, il suggère sans imposer, qu’il ne me dise pas comment je dois jouer. « Et si on allait par là ? » Un scénario bien écrit au niveau des dialogues, qui puisse introduire un sous-texte. Ça c’est important. Dans le stage que j’ai suivi avec Frédéric Fonteyne, il insistait sur le fait que derrière le mot, il doit toujours y avoir une intention, c’est ça qui produit le jeu. Et c’est ce à quoi je veille : qu’est-ce que mon personnage veut derrière ce qu’il dit ?

 


C : As-tu des envies d’écriture, de réalisation ?
E.B. : Pour le moment je me limite au jeu, mais j’aimerais faire une création sur scène, développer un univers personnel. Dans une pièce ou un film ? On se met au service d’un univers et j’aimerais un jour pouvoir imposer le mien. Je note des idées quand j’en ai, et un jour, je les ressortirai. Ce sera un mélange expérimental. Ça ne veut pas dire que je ne me ferai pas aider d‘un metteur en scène, mais c’est vrai que parfois, je me sens freinée dans mes envies artistiques. Mais cela reste dans mes tiroirs pour le moment, je préfère me concentrer  sur le jeu et évoluer au cinéma, peut-être, cette fois-ci, avec du texte ! (rires)

 


C : Quels sont tes projets immédiats ?
E.B. : J’ai surtout des projets précis au théâtre. Je vais jouer en mars dans Motortown, au Poche, mis en scène par Derek Goldby, et en mai au Z.U.T. dans une pièce de Neil LaBute, Bash, mis en scène par René Georges. J’y tiens le rôle d’une jeune américaine, tragiquement superficielle; et comique je l’espère.  Au théâtre je fonctionne bien dans l’explosif. Même si dans Maison d’Arrêt j’avais un rôle totalement immobile et implosif, je crois que ma force est dans le corps, dans le comique, la sensualité, dans l’expression et l’extériorité, quand je peux oublier ma timidité et sortir de moi-même, ce qui est mon objectif.

Tout à propos de: