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Elève libre de Joachim Lafosse

Publié le 14/11/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Tournage

Depuis le début du mois de septembre, Joachim Lafosse tourne son quatrième long métrage, Elève libre, une histoire de transmission et de transgression vécue entre un adolescent et un adulte. Pour Joachim, le cinéma est avant tout un art collectif. Il aime à s’entourer de ceux avec lesquels il a déjà travaillé (entre autres son équipe). Produit par Versus Production, Elève libre se dote d’une forme fluide au service de son sujet délicat. Pour servir cette interrogation sur le dépassement des limites, Jonathan Zaccaï, Yannick Renier déjà présent dans Nue Propriété, Anne Coesens et Claire Bodson entourent le jeune Jonas Bloquet qui expérimente pour la première fois un tournage. 

Tournage d'Elève libre de Joachim Lafosse © JMV/Cinergie

 

Bruxelles, en septembre : les trois Jo en aperçu.
Cela fait une semaine que la réalisation d’Elève libre a débuté. Au moment de notre visite, il pleut et la scène à tourner se déroule dans une voiture. Dans une rue résidentielle de Forest, les rares passants sont intrigués : une effervescence anormale a lieu dans le quartier. Le long du trottoir, il y a des camions remplis de choses cinématographiques, devant une maison, un espace catering a été improvisé et des jeunes gens s’activent autour d’une voiture dont le toit est couvert de balles de tennis fixatrices de barres métalliques. Tour à tour, Jonas Bloquet (première fois, première caméra) et Jonathan Zaccaï (Bord de mer, Entre ses mains, De Battre mon cœur s’est arrêté, Le Tango des Rashevski, Reines d’un jour, Le Plus beau jour de ma vie, Le Rôle de sa vie, …) sortent de la maison, se prêtent à une retouche maquillage, avant de prendre place à bord de la voiture. Joachim s’engouffre dans le coffre en expliquant à Jonathan de faire une boucle autour du parc. Le véhicule démarre, tout de suite emboîté par une voiture de police. « Ils vont faire des plans. Personne ne sait quand ils reviendront » nous signale t-on. L’attente commence : le café est avalé, les passants passent, une discussion sur Pialat s’installe. Zut, ils ont un problème de pneu. On n’assistera donc pas à leur retour…

Louvain-la-Neuve, en octobre : du cinéma en marche.

Un mois plus tard, l’équipe d’Elève libre observe une galerie d’individus menant des actions étranges, entre autres celle de casser des œufs sur leur tête. Des figurants ? Pas vraiment : les étudiants de Louvain-la-Neuve mettent du zèle à réussir leur baptême. Devant la faculté des sciences, le film commence à prendre forme à travers les propos livrés par Jonas Bloquet, seul comédien présent ce jour-là : « Mon personnage a 16-17 ans, il échoue à l’école et au tennis. Il veut passer le Jury Central, se fait aider par un groupe d’adultes mais celui-ci abuse un peu et même beaucoup de lui. Avant le film, je me suis présenté au casting, mais je n’avais aucune idée de ce qu’était le cinéma. Au départ, je me demandais comment ça allait se passer, mais l’équipe m’a très vite mis à l’aise et ne m’a mis aucune pression Et Joachim m’aide toujours à préparer mes dialogues ainsi que la scripte : ils me disent comment jouer. »

Quelques minutes plus tard, l’équipe repart tourner. On les rejoint en sautant dans la voiture d'Hélène (Versus) déjà occupée par Gazou, chouette chien sensible à la musique et aux langues germaniques. Dans une petite rue calme, Jonas, en jeans, t-shirt gris et sac à dos, répète sa scène : il marche, suivi par la caméra (une Arriflex 35 mm), se retourne vers elle tout en poursuivant sa route. Gros plan sur son visage.

 

Tournage d'Elève libre de Joachim Lafosse © JMV/Cinergie

 

Accroché à son petit combo Sony, Joachim, tient son casque à la main et donne des indications à la ronde : « Allons-y vite. Après, il n’y aura plus de lumière», « Benoît, tu entends la tondeuse au loin ? », « Hichame, tu maintiens le point sur Jonas ». Jonas, justement, l’interroge : « Je garde les mains en poche ou non, Joachim ? ». Réponse : « Comme tu veux ». On vous évite le suspense : Jonas gardera bien les mains dans les poches pendant la scène…

 

Jonas revient à son point de départ, gonfle ses joues et ronge ses ongles avant de recommencer la prise. Joachim le rejoint et lui explique qu’il doit se retourner deux autres fois tout en maintenant un regard fixe : « Tourne-toi tout en continuant de marcher. Tu dois avoir un regard super décidé ». Lorsqu’il en avise la maquilleuse, il a une idée : « Michèle, donne-lui un appui pour le regard. Tu te mets à côté d’Hichame. Dis à Jonas de marquer le regard, de vraiment te regarder. »

 

Et quand le moniteur se bloque momentanément, Joachim réagit directement : « Ok, je vais marcher avec vous. » Il rejoint la procession composée d’individus devant, derrière et aux côtés de la caméra en levant la tête pour visualiser la scène dans le petit écran incorporé. Il s’agit probablement de la plus belle et de la plus simple application du travail d’équipe vue ce jour-là…

 

Bonus : le film rencontre déjà ses premiers spectateurs. D’abord, Nicolas Provost, réalisateur de courts métrages, qui suit le tournage pour son propre apprentissage (Versus va produire son premier long, L’Envahisseur, en 2008). Ensuite, un jeune garçon muni d’un grand sourire et d’un sac de piscine qui a observé pendant quelques minutes l’animation en cours avant d’enfin se décider à dire timidement : « Bonjour, Monsieur. Est-ce que je peux passer ? ». Enfin, quelques minutes plus tard, lorsque la scène est testée dans une rue avoisinante, des tout petits ayant sorti leur vélo, leur épée et leur langue, deviennent sérieux en se mettant à respecter la consigne : « Silence ! ». Si le cinéma se nourrit de la vie, l’inverse est vrai, lui aussi.

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