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Stephan Streker à propos de Michaël Blanco

Publié le 01/10/2004 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Stephan Streker, journaliste de cinéma et de sport, est le réalisateur de deux courts métrages de fiction : Shadow boxing et La femme de Pierre ainsi que d'un documentaire : Le jour du combatMichaël Blanco, son premier long métrage n'est pas sans renouer avec la veine formelle de Shadow boxing que nous avions soulignée lors de sa présentation en festival à une époque où Cinergie était encore une revue imprimée. 

Stephan Streker, réalisateur

 

C. : Oui, mais ce qui est touchant dans l'obsession du personnage c'est qu'il s'interroge comme tout un chacun, sur une des questions essentielles de la vie : comment vivre sa vie en suivant ses désirs profonds en sachant qu'on est de passage sur cette terre et que l'éternité c'est long, c'est même très long !

S. S. : Ce que tu dis là me touche parce que c'est le vrai sujet du film. Il y a une séquence qui montre que ce n'est pas crypté et que c'est de cela qu'on parle. On est en vie pour pas longtemps et que la plus grande chance qu'un être humain puisse avoir est de trouver sa voie. Et, on montre clairement quelqu'un qui ne l'a pas trouvé. Il y a dans le film une séquence où Michaël court de plus en plus vite mais la caméra va plus vite que lui, le dépasse et on se retrouve au cimetière. A l'écriture cela semblait épouvantablement lourd symboliquement, mais dans le film la séquence fonctionne. Elle me permettait de montrer le destin de Rudolph Valentino - des femmes se sont suicidées pour lui - qui est maintenant dans un tiroir parmi d'autres tiroirs de stars. Même les stars sont mortelles.

 

C. : On a l'impression que le film joue la fiction et le documentaire, sur le fil du rasoir.
S. S.
 : Beaucoup de gens me le disent. Alors qu'en réalité il n'y a qu'une séquence tournée dans les conditions du documentaire, celle de l'avant-première avec Brad Pitt et Jennifer Aniston.
Tout le reste est de la fiction y compris les séquences avec Larry Moss que tout le monde croit improvisées. Même lorsqu'ils s'engueulent. Ce n'est pas du live, c'est la troisième prise qui a été choisie. Le plan dans lequel Michaël parle de l'éternité et où il est incroyablement habité semble aussi improvisé. Hors, tout le film est très installé, très cadré (les deux noirs sont toujours pris en plan fixe), la séquence du producteur est irréaliste mais c'est un hommage à tous les films que j'ai aimé dans lequel on voit des scènes semblables. Le film était donc très découpé. De même que toutes les séquences avec Larry sont voulues. Dans la vie, Larry Moss est un des coachs les plus importants d'Hollywood donc un débutant ne pourrait travailler avec lui. Larry n'improvise pas son propre rôle. Par contre, ayant pu assister à ses cours, je me suis inspiré de lui pour construire le personnage.
Ce rapport au documentaire est étrange parce que dès le début du film j'ai dit à l'équipe « osons faire un film qui ne ressemble à rien de connu. ». Tout est bizarre dans cette histoire, notamment le fait que Michaël est à la fois le producteur, c'est-à-dire qu'il doit régler tous les problèmes d'intendance du film et être l'acteur principal qui se met tout le temps en danger. 
On était une toute petite équipe et le tournage a été très fort. On est parti en se connaissant bien et on est revenus soudés à vie. C'est ce qui a permis au film d'exister. On a tourné en S16 parce que je désirais tourner en pellicule. L'avantage c'est que les gens nous prenaient pour des amateurs.

 

C. : As-tu passé beaucoup de temps pour les repérages ?
S. S. : L'un des plus grand plaisir que m'a procuré ce film est le temps des repérages. Tu n'as pas idée du temps que j'ai pris pour faire les repérages et du soin que j'y ai apporté. J'ai trouvé un endroit incroyable qui est le Belmont tunnel ou le fameux cimetière d'Hollywood.

 

C. : Michaël Goldberg paraît tellement vrai qu'on a l'impression qu'il désire être comédien, qu'il improvise ses répliques.
S. S. : Ceci dit on a joué sur l'ambiguïté entre fiction et documentaire. Et Michaël, je n'ai pas de recul, c'est mon film, est un acteur incroyable.
La question du film est : comment chaque être humain deale avec ses ambitions dans la vie ? Sachant que la durée de celle-ci est limitée. Michaël est suffisamment formidable pour incarner cela. Larry le pense aussi puisqu'il lui offre un rôle dans un film qu'il va tourner en 2005.

 

C. : Donc, il y a un fond de vérité dans la vocation de Michaël Goldberg ? C'est un producteur qui désirait devenir comédien.
S. S. :
C'est évident. Qui n'a pas l'ambition d'être Tom Cruise ! Mais c'est cela l'ambiguïté. Dans la séquence où il dit : « Je suis jaloux, je suis jaloux, je suis jaloux », c'est moi qui ait écrit le texte mais tu as vu comment il l'exprime ! Il donne l'impression que cela vient de lui, qu'il improvise. Michaël est parti vivre à Los Angeles 6 mois avant le tournage en n'étant pas payé. Il a vraiment fait la plonge dans un restaurant, il a vécu tous ces petits jobs.

 

C. : Tu dis qu'il y a 900.000 acteurs potentiels à Los Angeles...
S. S. :
Oui, C'est tout Bruxelles. Après avoir publié une petite annonce pour demander le C.V. de comédiens pouvant jouer le rôle du producteur, du manager, etc., on a été inondé de candidatures d'aspirants acteurs. On a choisi 16 acteurs et actrices. On a organisé un casting. Ils sont tous venus, en avance, sur l'heure du rendez-vous. Le second à s'être présenté nous a annoncé qu'il était à Los Angeles pour devenir comédien depuis quatre ans et que c'était sa première audition. Et, il n'a pas été pris ! C'est affolant. Imagine que Spielberg peut changer la vie de ces gens en un claquement de doigts.

 

C. : Crois-tu que tu aurais eu la même liberté en réalisant ton film en Belgique, c'est-à-dire en faisant le parcours du combattant que pratiquent les réalisateurs de longs métrages?
S. S. : La liberté absolue, je l'ai obtenue des gens qui ont fait le film avec moi et qui l'ont produit : Michaël Goldberg et Boris Van Gils qui sont deux producteurs artistiques et qui ont été mes interlocuteurs permanents. Par rapport aux Etats-Unis, ce que je peux te dire est que l'on a été très étonné du hiatus entre ce qu'on nous avait dit que ce serait et ce que cela a été. On nous avait prédit les pires ennuis à Los Angeles. On nous avait même conseillé de tourner le film à Toronto. Ce qui eut été difficile puisqu'il y a deux personnages dans le film : Michaël Blanco et la ville de Los Angeles. Le film étant le « clash » des deux. Celui d'un individu pris dans son intimité face à la ville la plus élargie du monde. J'ajoute qu'on a obtenu à peu près tout ce qu'on a voulu. On n'avait pas l'autorisation de filmer l'avant-première avec Brad Pitt mais il y avait tellement de caméras qu'on s'est glissé parmi elles avec la nôtre.

 

C. : Je voudrais revenir sur la scène où Michaël court, court et se fait dépasser par la vie...
S. S. :
...et même par le cinéma puisque c'est une caméra qui le dépasse.

 

C. : C'est un moment très fort.
S. S. :C'est ma scène préférée.

 

C. : Tu dis qu'il n'y a pas de suspens mais ce n'est pas vrai, Michaël évolue, il grandit énormément pendant la durée du film. Il prend de l'épaisseur. Tu dis que tout était préparé avec Larry. J'étais persuadé qu'ils travaillaient ensemble. Parce qu'on sent une évolution.
S. S. : Ils ont vraiment travaillé ensemble mais off caméra.

 

C. : Tu as tourné dans l'ordre chronologique ?
S. S.
Le premier plan est celui de la fin. La caméra cadre le visage de Michaël. Mais la scène du théâtre avec Michaël et Larry a été tournée à la fin du film, effectivement. De même que la séquence du producteur.

 

C. : Il y a aussi cette scène superbe où Larry dit à Michaël : reviens quand tu auras quelque chose à nous apporter, quand tu seras toi-même ! C'est la morale du film ?
S. S. : C'est exactement cela. Quand tu dis que c'est la morale du film c'est en fait ce que le film veut dire. Sur le sujet, en lui-même, j'ai très peu de choses à dire. J'ai une émotion à faire passer. Mon propos était de faire un film sur un être humain ayant l'ambition d'être sous les sunlights à l'âge qu'il a par rapport au monde, celui-ci étant symbolisé par la ville de Los Angeles.

 

C. : Le rêve de Michaël est un rêve inaccessible. Quelqu'un qui connaît mal l'anglais et qui veut devenir non pas comédien mais star, c'est l'impossible. Mais en même temps c'est ce qui le fait vivre. S'il n'a pas cela, il n'a rien.
S. S. :Ce qui m'a motivé, c'est de porter le regard le plus généreux possible sur quelqu'un ayant une ambition aussi forte et qui, d'une certaine façon nous touche tous. On a tous joué de la guitare avec une raquette de tennis, devant un miroir dans sa chambre. A un moment donné on est allé un peu plus loin et on a construit notre vie avec d'autres satisfactions et/ou certaines frustrations. Tous les êtres humains sont passés par une phase où ils ont voulu être une star de rock ou de cinéma. Le problème de Michaël Blanco est qu'il est resté bloqué à cette étape de la vie. Je ne voulais filmer que des scènes ayant un rapport avec cela. Il n'a pas de passé, on ne sait pas d'où il vient. Il sort de la mer. Ce n'est pas par hasard.

 

C. : L'idée de cet acteur qui sort de la mer et qui est là comme un naufragé, t'est venue rapidement ? Il rigole et il soupire. Ouf, je suis sur la terre promise.
S. S. : Cette scène n'était pas écrite par contre. En fait ce qui était prévu c'est un rail de train avec un train qui avance à la Lawrence d'Arabie, dans la séquence du puits lors de l'arrivée d'Omar Sharif. C'est l'un des plans les plus célèbres de l'histoire du cinéma et on l'a tourné. C'était le générique du film. Le plan était chouette. Cependant, au début du tournage, j'avais insisté pour qu'on se déplace à la mer. J'ai eu l'idée de faire entrer Michaël dans celle-ci. On ne savait pas si on allait utiliser le plan. C'est au montage que l'évidence est apparue, cela devait être le début du film. C'est beaucoup plus fort que l'idée du train.

 

C. : Michaël Goldberg, ton producteur, avait-il une expérience d'acteur ?
S. S. :
Toute personne qui fréquente Michaël s'est dit qu'il devrait être acteur un jour. Il est incroyablement expressif. Il donne envie qu'on le filme. Il n'avait jamais tourné avant Michaël Blanco. Un jour, Michaël m'a parlé de son amour pour Los Angeles et son ambition, non vécue, d'être acteur. C'est comme cela que tout a démarré !

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