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Fien Troch, Unspoken

Publié le 01/02/2009 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Le silence peut être lourd de sens

Qu’est-ce qui motive une jeune femme à raconter l'histoire du vide dans lequel déambule un couple qui a perdu la raison après la disparition d’un enfant ? Comment a-t-elle fait pour créer cette atmosphère oppressante ? Pourquoi avoir choisi de travailler avec Emmanuelle Devos et Bruno Todeschini ? 
Nous avons rencontré Fien Troch, la réalisatrice de 
Unspoken et essayé d'élucider ces questions.

Je savais, en écrivant, que c'était avec Emmanuelle Devos et Bruno Todeschini que je voulais travailler car j'aime leurs visages. Ils ont tous deux un mystère dans le regard qui fait qu'on ne se lasse jamais de les regarder. Je voulais construire une atmosphère claustrophobique, en huis clos, dans laquelle le spectateur se sent presque mal à l'aise, trop proche des protagonistes. Je voulais faire sentir l'idée que ces deux êtres sont enfermés dans leur propre tête, dans leurs propres émotions. J'ai donc recherché deux comédiens que j’avais envie de regarder longtemps.
Pour moi, Emmanuelle, c'est une belle femme avec un voile de mystère sur le visage ; une femme qui suscite le désir de la contempler.
On n'arrive pas à savoir ce qu'elle pense vraiment, même dans une simple discussion. C'est pour cette opacité que je l'ai choisie. C’est la même chose pour Bruno, c'est une beauté, mais pas dans le sens classique du terme.

Unspoken est un film d'amour, mais comment parler de l'amour autrement que de le montrer en danger ? J'ai commencé à écrire une histoire de couple et pour la rendre intense, j'y ai mis de la douleur. Je ne voulais pas d'une douleur stérile, je voulais une douleur qui unit, même si elle anéantit par sa nature. J'avais besoin d'émotions extrêmes pour raconter l'histoire de personnes qui ne parlent plus, qui n'arrivent plus à communiquer. Mon film, ce n'est pas l'histoire de la disparition d'une fille, mais l'histoire des gens qui restent. La vie continue, même après une épreuve aussi insupportable. Comment survivent-ils quatre ans plus tard ? Comment font-ils pour s'adapter à la vie quotidienne, même obsédés par une seule et même quête ?
Jai voulu créer une atmosphère de suspens, où mes personnages sont toujours dans l'ombre, où l’on a l'impression que le danger peut surgir de derrière chaque coin du cadre. C'est pour cela que j'ai éclairé mes personnages de façon à ce que la lumière soit un peu trop loin d'eux. Ils sont toujours dans l'ombre, ou l'ombre se trouve sur le mur. J'ai recherché cette ambiance pour donner l'impression que chaque parole peut avoir un autre sens, un sous-entendu, mais ni exprimé, ni suggéré. C'est comme si Lisa, la jeune fille disparue, était toujours là sous une forme fantomatique.
Pour l'écriture de ce deuxième long, j'ai reçu l'aide de la Cinéfondation – la Résidence du Festival. Le principe de la Cinéfondation est de permettre de vivre pendant cinq mois la situation idoine à l'écriture d'un scénario. J'ai vécu cinq mois à Paris, avec d'autres réalisateurs qui écrivaient leur propre scénario. Nous en discutions entre nous et l’on ne devait plus penser à l'argent et faire des boulots qu'on n'aime pas. On pouvait aller au cinéma, aux expos, etc., et si on ne voulait pas écrire, rien ni personne ne nous y obligeait. Quand je suis arrivée à Paris, j'avais presque fini mon scénario. À ce stade de l'écriture, c'est une période difficile pour moi, car je dois lire et relire, fignoler les détails, et j'ai tendance à vouloir bâcler cette phase pour réajuster au moment du tournage. Pour Unspoken, j'ai été obligée de remettre mon texte à l'ouvrage. Rencontrer des réalisateurs qui vivent les mêmes incertitudes que moi lors de l'écriture m'a rassurée.
Je suis née dans le monde du cinéma (mon père, Ludo Troch, est monteur) et réaliser un film me semblait accessible, mais je n'étais pas certaine de vouloir le faire. Je savais que je désirais m'exprimer sous l'une ou l'autre forme artistique, mais il m'a fallu passer par Sint Lukas pour en être certaine.
Je suis en train d’écrire mon troisième long, et je voudrais revenir à un style plus rock'n'roll, proche de WOOWW, mon court métrage que je considère comme le plus abouti.

Emmanuelle Devos est venue à Bruxelles rencontrer la presse avant la sortie du film.
C'est l'histoire d'une famille qui n'en est plus une car les parents ont perdu leur enfant. Avec la disparition de son mari, le personnage que j’incarne va reprendre pied dans la vie. Bizarrement, souvent, une douleur remplace une autre douleur.
Elle n'oubliera jamais évidemment - je pense que c'est une des pires situations que de ne pas savoir ce qu'est devenu son enfant - mais la douleur a changé. Elle cherche son mari, elle le retrouve, et grâce à cela, elle retrouve quelque chose. Je pense que cela ira mieux pour eux après.  Ce n'est pas tant un élément du scénario que l'écriture de Unspoken qui m'a donné envie d'y participer. J'avais lu le synopsis avant de lire le scénario, et j'avais dit non : je ne voulais pas jouer dans l’histoire d’un couple qui a perdu son enfant. Mon agent a insisté. C'est l’écriture cinématographique de Fien Troch qui accroche tout de suite, ce n'est pas le scénario. Le fait que cela ne soit ni psychologisant, ni mélodramatique, sans crise de larmes…

Fien a une pré science de ce que la douleur a comme effet sur les gens. Je trouve cela très juste. Après cinq ans passés à attendre un enfant, on en est plus à pleurer. C'est difficile de filmer cela, cette espèce d'attente, de vie décalée. C'est cela qui était intéressant à jouer. 
Frédéric Fonteyne, le réalisateur de la Femme de Gilles et Fien Troch, sont tous deux Belges, mais ils n'ont rien en commun dans leur manière de filmer. Par contre, on peut dire qu'il y a une façon de s'intéresser à l'esthétisme d'un film dans le cinéma belge. C’est une chose que j’adore, parce que c'est très beau, mais sans maniérisme, sans chichi. Il y a toujours un soin particulier dans les plans chez les réalisateurs belges. 

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