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Film expérimental: les deux nouveaux films de Nicolas Provost

Publié le 13/09/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

L’art de détruire

Nicolas Provost fait partie de ces réalisateurs qui, quoique aguerris, n’ont pas encore signé de long métrage. Loin, bien loin du circuit commercial, son nom appartient au monde de l’art contemporain, et ses films s’accrochent aux cimaises des galeries, ou hantent, à la rigueur, les écrans de festivals plutôt cinéphiles. Une chose est sûre, c’est que les images si singulières qu’il crée depuis dix ans s’impriment de manière irréversible dans la mémoire, créant un imagier qui résiste à l’oubli.
Ici un homme-lion errant dans un parc, là une biche égarée sur un circuit de karting, et des volutes de fumée, silencieuses, suspendues…
Avant de s’attaquer à son premier long (prévu pour septembre), Nicolas Provost flirte cette année encore, avec les grands cinéastes pour deux petits, tout petits films de quelques minutes.

Pour ceux qui ignoreraient tout des expérimentations cinématographiques de certains réalisateurs, qui n’auraient jamais entendu parler de found footage, ou qui ne sauraient pas que certaines galeries exposent des vidéos sur les cimaises comme d’autres des tableaux, simple et court retour sur l’histoire.
Dans les années 60, quelques réalisateurs tels Bill Morrison, Bruce Conner, Gustav Deutsch, Mathias Muller et bien d’autres, s’ingénient à réutiliser les films nitrate, des films industriels, publicitaires ou amateurs pour créer une nouvelle œuvre. En accaparant une matière première qui n’est pas la leur, ils explorent un nouveau territoire, s'emparant d’images existantes pour les faire renaître autrement, par ralentis, remontage, griffures, répétitions, explosions, surimpressions, collages etc. Un phénomène comparable au sampling dans le domaine musical, qui réutilise, des sons, des extraits connus pour en tirer une composition originale.

À partir des années 1980, un dialogue différent s’installe avec l'art vidéo et l'art numérique et l’utilisation des images devient monnaie courante.
Un esprit du temps ? Certes, mais pas seulement… On a souvent tendance à occulter les raisons concrètes qui poussent certains créateurs à de nouvelles pratiques. N’est-ce pas, outre l’air du temps en effet, grâce à l'invention du tube de peinture dans la moitié du XIXème siècle que de jeunes peintres parisiens ont pu sortir des ateliers, et travailler dehors, en pleine lumière ? L’impressionnisme était né, une nouvelle vision du monde aussi.
Ce n’est évidemment pas le tube de peinture qui a rendu possible les explorations formelles de ces cinéastes (souvent appelés « vidéastes »), mais bien l’avènement de la vidéocassette, premier outil qui leur a, tout à coup, donné accès aux images des autres.
Avec la technologie numérique, les choses se sont bien sûr encore accélérées, et nombre de réalisateurs se sont lancés dans l’escamotage visuel, créant une nouvelle narration, voire une dysnarration joliment chaotique et transgressive. En bref, une façon de parler du cinéma avec du cinéma, de considérer les images comme une matière tangible et réutilisable à souhait, comme si un plan n’était autre qu’une couleur ou une note de musique.
Depuis 1999, Nicolas Provost revisite les films, des classiques japonais à la Nouvelle Vague française en passant par les mélodrames hollywoodiens ou encore les joyeuses parties de jambes en l’air des années 70. Il revisite aussi les codes, tentant de percer à jour les systèmes narratifs, qui, dès lors, deviennent son véritable propos.

Avec Abstract Action, court métrage de 4’, Nicolas Provost s’attaque au film d’action avec course poursuite, gros calibres, bagnoles accidentées, cadavres et tout le reste… Cette scène, il l’a empruntée à Heat de Michael Mann et la déconstruit visuellement, faisant à la fois correspondre le fond et la forme et transformant un problème technique propre au numérique en atout artistique. Sous l’impact des balles, l’image se morcelle, se brise. Les héros, déjà pris, dans le film initial, dans les sidérations d’une mise en scène déréglée, sont entraînés plus avant dans un carambolage d’images épileptiques secouées jusqu’à l’abstraction.

Quant à la bande-son, elle semble tout droit sortie d’un jeu électronique, une sorte de flipper antique. Mais le cinéma, après tout, n’est-il pas un jeu ?

C’est encore dans le film de genre hollywoodien que le réalisateur belge puise son inspiration et ses images avec Long live the new flesh. Ce film de 14’, dont le titre évoque le célèbre Vidéodrome, délire psycho-biologique de Cronenberg, se promène du côté de l’horreur (ShiningMassacre à la tronçonneuseAlien…). Au programme, psychopathes réjouissants, monstres dévorants et autres bestioles déconcertantes. Mais non content de nous « dégouffrayer » avec les meilleurs (donc les pires) moments du cinéma d’horreur, Nicolas Provost éventre son matériel jusqu’à la panique, et nous plonge dans un chaos visuel et sonore totalement halluciné.

Et le sale gosse s’ingénie, grâce à une défragmentation des images, à décomposer ses héros, à transformer les victimes en monstres, les poussant contre l’appareil cinématique jusqu’à ce que les images se déchirent, soient mises en charpie. Sur une bande-son qui grince et craque, des forces étranges et convulsives semblent s’introduire d’elles-mêmes dans l’image, créant un enfer d’une sublime monstruosité. Détruire pour reconstruire, certes, mais pas sans une bonne dose d’humour.


Abstract Action de Nicolas Provost - 4' - 2010
Long live the new flesh de Nicolas Provost - 14' - 2010

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