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Fin de mois de Pierre Joassin

Publié le 01/02/1999 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

La vie rêvée des anges

Le grand blond à la veste en cuir et à la chaussure noire approche son visage le plus près possible de Véronique et la regarde droit dans les yeux sans rien dire. Crispée, Véronique (Olivia Brunaux), une rousse aux yeux émeraude, en cuissardes noires et manteau blanc ouvert découvrant le haut des cuisses, le dévisage silencieusement, sans cligner des yeux. Il la prend par le col, la soulève, puis la bouscule. Elle recule en titubant sous le choc, bascule, finit par tomber à la renverse. Véronique pousse un hurlement et s'écroule à terre (sur un matelas pendant les répétitions). Sitôt couchée au sol, elle adopte une position fœtale, les bras repliés autour de la tête, comme si elle s'attendait à recevoir des coups de pied.

Fin de mois de Pierre Joassin

C'est là que Joséphine (Mimi Mathy), l'ange gardien, en imper bleu acier, foulard noué autour du cou intervient permettant à Véronique de se soustraire aux coups. Menacée d'expulsion par son propriétaire, Véronique, qui a besoin d'argent pour rembourser les dettes contactées par un mari disparu opinément après avoir fait faillite et pour nourrir ses deux filles décide de se prostituer. Mais dans la rue, sur le boulevard des putes, les tapineuses professionnelles n'aiment pas la concurrence des amateurs et leurs souteneurs encore moins. Attentif, l'œil rivé au moniteur de la vidéo, le casque sur les oreilles, l'écharpe à carreaux en bataille, Pierre Joassin trouve que le mouvement, l'enchaînement des gestes, n'est pas suffisamment dynamique.

Claude Carliez, le conseiller en combat, sec mais souriant, casquette prolo sur le crâne, demande au souteneur un mouvement plus ample, moins proche de la gifle, "Tu l'agrippes par les bras et tu la pousses". Jan Rubbens, l'opérateur steadicam, change d'angle et accompagne davantage l'action. "C'est ça, O.K., On va pouvoir tourner" et on enlève le matelas.

Réalisation

" On a un cahier des charges lié aux personnages récurrents de la série ", nous confie Pierre Joassin, qui vient d'obtenir le prix SACD-France pour l'ensemble de son œuvre et Le Trophée du téléfilm (Meilleure audience de l'année 98 pour Un amour de cousine). "Ainsi pour Mimi Mathy, dans son rôle d'ange gardien il y a toute une série de normes qu'il faut conserver à la fois dans l'écriture du scénario et dans la mise en scène. Fin de mois, c'est le mélange de ce qu'on appelle une comédie sentimentale, avec des personnages à créer, celui de la fille qui, perdue dans des problèmes financiers insolubles se trouve amenée, petit à petit, à la prostitution. C'est un personnage de femme à écrire, à créer, donc c'est intéressant et aussi de gérer la magie du personnage de Joséphine. Josephine est là pour adoucir les drames dans les deux sens du terme puisque c'est un ange gardien qui est envoyé par le ciel pour aider des gens qui sont en grande difficulté. Elle vient apporter de l'aide aux gens et le sourire aux spectateurs. J'aime bien parce que ça me ramène à la comédie américaine, à tout ce que j'aime au cinéma, c'est-à-dire Capra ou plus récemment les films de Rob Reiner et de Ron Howard. C'est la première fois que j'utilise la steadycam pour une fiction, je l'avais fait pour des documentaires auparavant.

Les réalisateurs qui avaient réalisés les précédents épisodes me l'ont conseillé : vu la taille de Mimi, l'usage de la steady permettait de descendre la caméra à sa hauteur tout en avançant et j'ai découvert par la même occasion que c'était un moyen de faire des plans plus compliqués ou de les faire plus rapidement. Je vais donc l'utiliser plus souvent. Dans la série des Maigret c'est le personnage qu'on adapte. Il faut le conserver dans l'esprit de Simenon et de la série mais à partir de là on peut tout inventer. Ce qui me passionnait, c'est adapter l'univers de Simenon à notre pays, à ses paysages et à ses environnements datant des années 50. Ce qui est intéressant c'est que chaque film est spécifique par rapport à l'ensemble de la série. On a une grande liberté dans l'écriture et la réalisation tout en sachant que les choses doivent être vues du point de vue de Maigret. Et France2 est moins directif que TF1, on laisse plus de liberté aux réalisateurs et à la production."

Production

"Dans notre production, il y a grosso modo, un tiers de longs métrages de fiction, un tiers de téléfilms et puis des documentaires", nous précise Paul Fonteyn, l'un des responsables de Saga Films. "On en est fier car il y a très peu de maisons de production qui osent miser sur le documentaire. Dans le cas de Saga, ça s'explique historiquement. Le doc fait partie de notre vision de la vie, la plupart des docs que l'on fait ont un caractère social ou politique.

Par exemple, on produit le Mur de Taniperla de Dominique Berger qui est un film consacré à la situation vécue, au jour le jour, par les indiens du Chiapas. On est persuadé que les combats pour une société juste ou meilleure se livrent partout. Il n'y a pas de raison de tolérer des situations injustes au Mexique sous prétexte qu'on serait épargnés. On produit régulièrement des documentaires de combat et de constat social, notamment avec Marian Handwerker (films pour lesquels Marian a été récompensé par le prix SACD, l'an passé) mais aussi avec Christophe Fraipont et Marie Mandy.
Au départ, Saga film misait essentiellement sur le long métrage, le court de fiction, le doc de création, et ce n'est que récemment qu'on a élargi aux téléfilms unitaires ou aux épisodes de séries. En travaillant aux Etats-Unis, j'ai constaté que les équipes et les sociétés de production étaient pratiquement interchangeables, du cinéma à la télé (excepté que là-bas on travaille tout le temps en 35mm alors qu'ici c'est en Super 16). Mais finalement on retrouve les mêmes talents, les mêmes compétences de l'un à l'autre et personnellement je ne vis pas du tout le cloisonnement culturel entre cinéma et télé. Il y a beaucoup de choses qui sont le territoire commun entre le cinéma et la télévision. (Channel four en Angleterre et Arte en France en ont fait la preuve). Par exemple certains films produits, comme les Hirondelles d'hiver d'André Chandelle, que nous préparons en ce moment, est un film pour lequel plusieurs coproducteurs dont moi espèrent une sortie en salles."

Télé et cinéma

"N'émergent que les réalisateurs qui sont capables de produire de la qualité dans un laps de temps court. Ce qui est le cas de Pierre Joassin. Si c'est bien fait on ne se demande pas si on a mis 25 ou 35 jours. Il est vrai que pour tenir le coup dans un rythme télé il faut savoir ce qu'on veut avant d'arriver sur le plateau le matin. Il faut que tout soit prédécoupé, on doit connaître ses axes, ses angles, avoir repéré et avoir déterminé les positions caméras, avoir déjà transmis une bonne partie des informations à l'équipe de sorte que le temps passe à tourner, pas à se demander ce qu'on va faire! Dans nos projets il y a deux longs métrages de fiction, de deux jeunes réalisateurs, Christophe Fraipont et Michel Cauléa. Ce sont des films d'auteur. L'un du côté du burlesque, chose devenue rare de nos jours, et l'autre avec une précision de cadre et une rapidité de mouvement qu'on pressent comme un peu rock."

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