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Folioscope: Philippe Moins et Doris Cleven

Publié le 08/04/2011 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

L’asbl Folioscope, créée en 1988 par Philippe Moins et Doris Cleven, a pour objectif de promouvoir et de diffuser un cinéma d’animation de qualité en Belgique et à l’étranger. Le public connaît généralement l’asbl de manière indirecte puisque son occupation principale réside dans l’organisation du festival du film d’animation Anima qui fêtait ses 30 ans à Flagey du 4 au 13 mars 2011. 

Au-delà de l’organisation du festival, l’activité de Folioscope est dense. En effet, l’association collabore avec d’autres festivals, notamment pour concevoir des programmes d’animation sur des thématiques particulières. Elle organise des expositions pendant le festival Anima et le festival d’Annecy. Elle joue également un rôle dans l’édition de vidéos et de DVD de courts et longs métrages d’animation. Actuellement, Folioscope distribue trois ou quatre films par an. Afin de faciliter le contact avec son public, l’association a mis sur pied un site Internet consacré à l’animation, La Gazette du Loup. Enfin, l’association propose aussi un vaste centre de documentation comprenant une bibliothèque, une photothèque et une vidéothèque liées à une trentaine d’années de festival.

Cinergie : Quelles sont les origines de l’association ?
Philippe Moins : J’ai manifesté un intérêt précoce pour le cinéma d’animation, surtout artistique, mais ces films d’animation n'étaient que peu accessibles au grand public. J’ai donc décidé d’organiser, après mes études en histoire de l’art à l’ULB, les « Rencontres du cinéma d’animation » au centre culturel des Riches-Claires à Bruxelles, en collaboration avec la Confédération parascolaire pour laquelle je travaillais. Lors de ce premier festival, j’ai rencontré le directeur de Graphoui, studio qui faisait, à l’époque, des ateliers et des dessins animés, et, dès que j’ai terminé mon service civil, le directeur m’a engagé pour que je m’occupe de la communication. En 1984, Graphoui a repris seul les rênes des « Rencontres » qui sont devenues la « Semaine du dessin animé ». L’appui de Graphoui était positif puisqu’il m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur l’animation. De plus, on avait le soutien logistique d’un studio dans lequel on pouvait réaliser un spot télé pour l’annonce du festival.
Doris Cleven : Lorsque j’ai terminé mes études de traduction anglais russe, il y a une trentaine d’années, il y avait peu de débouchés pour le russe ? J’ai donc voulu travailler dans le milieu artistique. J’ai fait plusieurs boulots dans des associations (Maison des femmes, Centre de la vie ouvrière), et j’ai atterri chez Graphoui en 1984. Par la force des choses, je me suis familiarisée peu à peu avec l’animation. En 1988, Graphoui a fait faillite et on a donc décidé, Philippe et moi, de continuer le festival ensemble et de créer l’association Folioscope afin de mettre en place, dès 1989, « le Festival du dessin animé et du film d’animation ». 

 

C. : Comment fonctionne l’asbl ? A-t-elle connu de grands changements dans son organisation ?
P.M. : Lorsqu’on a quitté Graphoui pour mettre en place notre propre festival, on a rencontré des difficultés financières importantes : on se payait six mois par an, et on allait six mois au chômage. Mais, je ne me voyais pas travailler dans autre chose : le festival avait un côté très ludique qui me plaisait. On s’est toujours battu pour que ça fonctionne, d’autant plus que le public ne cessait d’augmenter. Aujourd’hui, l’asbl est subsidiée par la Communauté française et la Communauté flamande, par la Cocof, par la région bruxelloise, par le programme Média de l’Union européenne et elle reçoit des aides de partenaires privés.
D.C. : Comme nous n’étions que deux, on faisait un peu de tout, mais dès 1992, l’équipe de permanents s’est agrandie car le festival prenait de plus en plus d’ampleur. Aujourd’hui, Philippe et moi sommes assistés de trois collaboratrices permanentes : Françoise Cathala, attachée de presse et co-responsable sélection, Karin Vandenrydt, responsable des contacts néerlandophones et des jurys et Dominique Seutin, responsable du sponsoring et des rencontres professionnelles. Actuellement, je m’occupe de la gestion générale de l’asbl et du festival, tandis que Philippe s’occupe essentiellement de la promotion (affiches, etc.). Il donne également des cours d’histoire du cinéma d’animation à la Cambre. Comme chaque membre de ce noyau dur est très autonome dans son travail, la confiance, la motivation et la démocratie règnent. 
Pendant la période environnant le festival, d’autres personnes viennent compléter l’équipe de base afin d’effectuer certaines tâches ponctuelles : un responsable technique, un responsable des copies, une présentatrice, etc.

 

C. : Pendant ces trente années, comment a évolué la programmation du festival Anima ?
P.M. : Lors des « Rencontres », la programmation ne contenait pas de films inédits. On allait les chercher du côté des distributeurs, des services culturels des ambassades, des cinéastes belges eux-mêmes. Je choisissais les films de manière impulsive et subjective. C’est encore le cas aujourd’hui d’ailleurs, même si la sélection s’opère collectivement. On a toujours voulu couvrir tous les aspects du cinéma d’animation : commerciaux, expérimentaux, etc. De plus, la frontière entre cinéma d’animation commercial et cinéma d’animation d’auteur est de plus en plus ténue. Le succès du festival réside dans cette programmation exhaustive et hétéroclite. On tient au côté populaire de l’animation : il faut être ouvert à tout. On a dû faire des choix parmi la production annuelle lors de la 2e et 3e année du festival puisqu’on commençait à recevoir de plus en plus de films.
D.C. : Cette année, on a reçu plus de mille films, et dans la compétition, on en a sélectionné 129, dont des longs métrages, mais surtout des courts venant des pays européens, des écoles et des professionnels. L’offre est de plus en plus élevée car la production ne cesse de s’accroître. Ce qui peut expliquer cet attrait croissant, c’est que le festival est devenu compétitif en 2000 : cela provoque la motivation des réalisateurs. C’est aussi dû aux écoles et aux sociétés de production qui ne cessent de se développer. Aujourd’hui, le festival Anima occupe la deuxième place en Europe après le festival d’Annecy dans le domaine de l’animation.

 

C. : Qu’en est-il du public du festival ? À qui vous adressez-vous ?
P.M. : La spécificité de notre festival, c’est qu’il ne s’adresse pas seulement aux professionnels, comme le font les autres festivals d’animation, mais également au grand public.
D.C. : On fait beaucoup de promotion pour le festival (médias, presse, affichage, spots télé, spots radio) et, après autant d’années, on acquiert une certaine renommée. On attire environ 32.000 personnes par an. Les décentralisations jouent également : surtout à Liège, mais aussi à Charleroi, Gand, Namur, Mons. 
Autrefois, le cinéma d’animation, et les entreprises Disney en particulier, intéressait essentiellement les enfants. Nous voulions, grâce au festival, offrir d’autres types de films. Notre défi était donc d’attirer les adultes, mais aujourd’hui, c’est un peu l’inverse qui se produit.De nos jours, les enfants consomment autrement le cinéma : ils regardent des films sur DVD, sur l’ordinateur et les sorties cinéma sont de plus en plus rares et vont généralement de pair avec les blockbusters et le pop corn. Notre objectif est de reconquérir ce public enfant en soignant leur accueil : qualité de la programmation, petits ravitaillements, ateliers, prix avantageux, visites d’expositions facilement accessibles, présentation du programme. On veille désormais à soigner le côté pédagogique du festival qui n’est pas présent lors d’une sortie cinéma ordinaire.
P.M. : Une des caractéristiques du festival depuis son origine, c’est la création d’ateliers. La Belgique est une des pionnières dans le domaine avec les ateliers Graphoui et Caméra Etc. Ces dernières années, on avait demandé aux ateliers ABC de réaliser les ateliers. Cette année, c’est Zorobabel qui va organiser des ateliers d’initiation au cinéma d’animation.
D.C. : On tente également de créer un lien avec les écoles d’animation en sollicitant les films des étudiants, mais aussi en les invitant à se rendre au festival. On leur offre des abonnements avantageux, on organise les journées Futuranima, journées professionnelles du festival. Cette année, on a décidé d’organiser, avec les écoles Albert Jacquard (Namur), la Cambre (Bruxelles) et le Kask (Gand), un atelier pendant le festival. Plusieurs étudiants sélectionnés réaliseront une animation collective sur la thématique : « Vision d’Europe ». Les professeurs viendront les encadrer de temps à temps, mais ils jouiront d’une grande liberté. Leur film sera montré à la fin du festival.
P.M. : On organise également une master class pour les plus âgés. On a déjà invité les gens des studios Aardman, un ancien de chez Pixar, pour donner des ateliers pratiques de réalisation. Cette année, le festival propose plusieurs master class : avec Benoît Feroumont (auteur des Triplettes de Belleville), avec Max Hattler et avec Gil Alkabetz.

 

C. : Qu’est-ce que vous voudriez améliorer pour les années à venir ? 
D.C. : Ce qui nous tracasse fortement aujourd’hui, c’est qu’on reçoit beaucoup moins de films sur support 35 mm, mais bien sur support numérique.On faisait les projections en Bétacam numérique dans la grande salle, mais l’exigence du public devient de plus en plus grande par rapport à la qualité des projections. Et, comme Flagey n’accueille que quelques festivals par an, il ne s’est donc pas équipé en matériel de projection haut de gamme. Cette année, on va tester des diffusions numériques directement à partir d’un disque dur. De plus, les films d’animation se font de plus en plus en 3D, et le problème qui se pose, c’est que Flagey ne dispose pas d’un équipement 3D. Nous voulons rester à Flagey car on travaille en collaboration avec l’équipe technique du site. Une réflexion sur les projections en 3D et en format XDC devrait être engagée par les pouvoirs publics, car les salles d’Art et d’Essai et les centres culturels ne sont pas équipés.
P.M. : Anima est une des manifestations les plus populaires de Flagey : non seulement il y a beaucoup de monde, mais il y a aussi une population variée. Mon objectif serait de faire moins, mais mieux. On ne veut pas devenir un festival comme celui d’Annecy qui prend des proportions de plus en plus grandes.

 

C. : Un petit mot sur l’affiche du festival ?
P.M. : Cette année, l’affiche du festival a été réalisée par le jeune illustrateur et auteur de bandes dessinées Brecht Evens édité chez Actes Sud BD. Il vient de remporter le Prix « audace » au tout récent Festival d’Angoulême 2011. Depuis les origines du festival, les affiches sont presque exclusivement conçues par des artistes et non par des graphistes – j’ai d’ailleurs réalisé les premières. On aime les affiches qui ne se révèlent pas au premier coup d’œil, mais qui racontent une histoire qui se dévoile progressivement.

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